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Catégories professionnelles dans les plans de sauvegarde de l’emploi : l’infléchissement de la jurisprudence du Conseil d’État

Catégories professionnelles dans les plans de sauvegarde de l’emploi : l’infléchissement de la jurisprudence du Conseil d’État

La définition des catégories professionnelles est un enjeu stratégique pour les entreprises puisque c’est au sein de celles-ci que vont s’appliquer les critères d’ordre des licenciements. Autrement dit, la combinaison des catégories professionnelles et des critères d’ordre permet de passer de la liste des postes supprimés à la liste des salariés licenciés.

Le Gouvernement avait envisagé de légiférer sur cette question puisque la loi d’habilitation l’autorisait à le faire.

Le Gouvernement y ayant renoncé, c’est à la jurisprudence qu’il appartenait de préciser cette notion.

Le Conseil d’État était bien conscient des critiques suscitées par l’arrêt Fnac du 30 mai 2016 (n°387.798) dans lequel il s’était purement et simplement aligné sur la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation en jugeant « qu’il appartient à l’administration de vérifier qu’elles regroupent, chacune, l’ensemble des salariés qui exercent au sein de l’entreprise des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune ». Dans cet arrêt, le Conseil d’État avait jugé que relevaient d’une catégorie professionnelle commune les vendeurs de disques et les vendeurs de livres de la Fnac, ce qui était en contradiction totale avec toute la politique de l’entreprise.

Le Conseil d’État a rendu le 7 février 2018 une série de cinq arrêts de section précisant la définition, dans le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), des catégories professionnelles visées par le licenciement pour motif économique et la nature du contrôle de l’administration.

Dans les quatre premières affaires portant sur des plans de sauvegarde de l’emploi élaborés unilatéralement par l’employeur, le Conseil d’État apporte une importante précision sur la notion de catégories professionnelles. En effet, le Conseil indique que pour définir ces catégories il y a désormais lieu de prendre en compte les « acquis de l’expérience professionnelle ». Ainsi, il précise que « les catégories regroupent, en tenant compte des acquis de l’expérience professionnelle qui excèdent l’obligation d’adaptation qui incombe à l’employeur, l’ensemble des salariés qui exercent, au sein de l’entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune ». Cet ajout assouplit la définition des catégories professionnelles, retenue dans l’arrêt FNAC qui s’appuyait uniquement sur l’existence d’une formation complémentaire excédant l’obligation d’adaptation incombant à l’employeur pour apprécier le caractère distinct des catégories professionnelles.

Par ces mêmes décisions, le Conseil d’État définit les limites du contrôle que doit exercer l’administration sur la définition des catégories professionnelles retenue par l’employeur qui s’apparente à un contrôle restreint. Il appartient à l’administration de s’assurer :

  • d’une part, que les catégories n’ont pas été définies en fonction de considérations étrangères au regroupement « des salariés par fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune », telles que l’organisation de l’entreprise ou l’ancienneté des salariés : il s’agit d’un contrôle objectif de la démarche de l’employeur, qui s’intéresse, de façon globale, à la logique sous-jacente au découpage des catégories ;
  • d’autre part, que les catégories professionnelles n’ont pas été dessinées de façon à cibler certains salariés, soit à raison de leur affectation dans un service ou une branche d’activité que l’entreprise souhaite fermer, soit à raison d’un critère discriminatoire (en fonction de l’âge des salariés, de leur sexe, de leur appartenance syndicale, etc.) : il s’agit d’un contrôle subjectif de l’intention éventuelle de ciblage.

Cette limitation du contrôle de l’administration laisse à l’employeur une certaine marge de manœuvre pour définir les catégories professionnelles, dès lors que ce dernier a défini une bonne méthode et n’a pas entendu cibler certains salariés.

C’est ainsi que le Conseil d’État a validé l’homologation d’un plan de sauvegarde de l’emploi dont les catégories professionnelles étaient définies en fonction de critères reposant sur la prise en compte de la spécialisation des salariés dans l’un ou l’autre des deux procédés industriels de fabrication de plaques de plexiglas que sont le procédé du plexiglas « coulé » et le procédé du plexiglas « extrudé » (CE, 7 févr. 2018, n°403.001).

Il a, par ailleurs, annulé le raisonnement tenu par une cour administrative d’appel selon lequel définir les catégories professionnelles en fonction de critères reposant sur une différence de formation à des logiciels spécifiques, au sein des salariés d’un même bureau, avait un caractère trop restrictif. En effet, compte tenu des limites présentées ci-dessus, cette seule considération ne remettait pas en cause la validité du plan. Néanmoins, dans la mesure où, d’une part, plus de 25 catégories professionnelles avaient été définies, dont 18 ne comportaient qu’un seul salarié et, d’autre part, l’employeur avait, lors d’un précédent plan, défini pour les mêmes services et les mêmes fonctions un nombre beaucoup moins important de catégories, le Conseil d’État a tout de même annulé l’homologation (CE, 7 févr. 2018, n°407.718).

Dans les deux autres affaires, le Conseil d’État a confirmé l’annulation de décisions d’homologation d’un PSE qui avait défini des catégories professionnelles en nombre très élevé en fonction de l’organisation de l’entreprise ( CE, 7 févr. 2018, n°399.738) ou des catégories professionnelles systématiquement subdivisées en sous-catégories correspondant à l’organisation adoptée par l’entreprise compte tenu de ses différents marchés et de ses différents types de clientèles (CE, 7 févr. 2018, n°409.978).

Dans la cinquième affaire, s’agissant d’un plan de sauvegarde de l’emploi conclu par accord collectif, le Conseil d’État consacre la liberté des partenaires sociaux pour la définition des catégories professionnelles. Il retient que la circonstance que l’accord collectif « se fonde sur des considérations étrangères à celles qui permettent de regrouper les salariés par fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune, ou ait pour but de permettre le licenciement de salariés affectés sur un emploi ou dans un service dont la suppression est recherchée, n’est pas, par elle-même, de nature à caractériser une méconnaissance des dispositions légales » sous la seule réserve d’une éventuelle discrimination. Il en résulte que les partenaires sociaux peuvent s’affranchir des critères précédemment définis pour caractériser les catégories professionnelles, dans la limite des motifs discriminatoires prohibés par le Code du travail (CE, 7 févr. 2018, n°403.989).

Cette solution trouve son fondement dans l’article L.1233–57–2, qui fixe le bloc de légalité applicable au PSE négocié, et qui ne parle pas, à la différence de l’article L.1233–57-3 relatif aux PSE unilatéraux, du respect de l’ensemble des « dispositions législatives et stipulations conventionnelles ».

En desserrant son contrôle, en lui donnant un caractère global, comme pour l’appréciation des mesures du PSE, le Conseil d’État a apporté un infléchissement notable à sa jurisprudence et redonné aux entreprises une marge de manœuvre sur ce sujet important.

 

Auteur

Olivier Dutheillet de Lamothe, avocat associé, droit social

 

Catégories professionnelles dans les plans de sauvegarde de l’emploi : l’infléchissement de la jurisprudence du Conseil d’État – Article publié dans Les Echos Exécutives le 4 avril 2018
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