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La Commission européenne sanctionne lourdement un cartel de producteurs de câbles électriques

La Commission européenne vient d’infliger 302 millions d’euros d’amende à des producteurs de câbles électriques à haute tension pour leur participation à un cartel, condamnant ainsi solidairement les sociétés mères des entreprises concernées pour avoir exercé une influence déterminante sur celles-ci. (Communiqué IP/14/358 du 02/04/2014).

Onze producteurs de câbles électriques à haute tension souterrains et sous-marins (six producteurs européens, trois producteurs japonais et deux producteurs coréens) ont participé à une entente d’une durée de près de dix ans en convenant de se partager les marchés de grands projets d’infrastructures liés aux énergies renouvelables, tels que des parcs éoliens en mer, et en s’accordant sur la répartition des clients à une échelle quasi mondiale de 1999 à 2009.

Parmi ces onze entreprises, ABB a échappé à toute sanction car, en qualité de demandeur de clémence, elle a été la première à révéler l’existence de l’entente à la Commission dès 2006. Elle a bénéficié à ce titre d’une immunité totale d’amende, échappant ainsi à une amende de 33 millions d’euros pour sa participation à l’infraction.

Le producteur japonais J-Power Systems et ses deux sociétés mères, ont également bénéficié d’une réduction de 45% du montant de l’amende pour avoir coopéré à l’enquête.

L’amende frappe également les sociétés mères en ce compris les fonds d’Investissement, dès lors que ces derniers sont considérés comme ayant exercé une influence déterminante sur les sociétés ayant participé à l’entente.

Le fait que l’auteur principal de l’infraction soit systématiquement condamné par la Commission pour sa participation effective à l’entente n’exclut nullement la possibilité de condamner aussi les sociétés mères des producteurs concernés.

C’est le cas en l’espèce pour la société d’investissement Goldman Sachs qui, propriétaire de Prysmian à compter de 2005, a cédé sa participation après le début de l’enquête de la Commission européenne en 2009. Si la société Prysmian est condamnée en qualité d’auteur principal à 104 613 000 euros d’amende, Goldman Sachs est condamnée solidairement à une amende de 37 303 000 euros au même titre que l’ancien propriétaire de Prysmian, la Société Pirelli, qui se voit infliger une amende de 67 310 000 euros.

La Commission a ainsi appliqué le principe bien connu en droit européen de la concurrence selon lequel une société mère peut être tenue pour responsable des agissements de sa filiale, lorsque cette dernière ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de la société mère dans la pratique reprochée.

Le droit de l’Union — repris à leur compte par la plupart des Etats membres — pose en effet la présomption qu’une société mère qui détient 100% du capital d’une de ses filiales exerce une influence déterminante sur le comportement de celle-ci de sorte qu’il est permis de considérer, en application de la théorie de l’unité économique, que la société mère et sa filiale ne forment qu’une seule et même entité économique ou «entreprise» (CJCE 10 septembre 2009, aff. C-97/08, Akzo Nobel c/Commission).

Il semblerait toutefois qu’au cas présent le fonds d’investissement n’ait pas toujours détenu une participation — directe ou indirecte — à hauteur de 100% dans la société Prysmian la Commission devra donc avoir établi l’exercice par Goldman Sachs d’une influence déterminante sur le compor-tement de la société auteur des pratiques sanction-nées. La lecture de la décision de la Commission, une fois publiée, devrait permettre de confirmer ce point.

De remarquables pouvoirs d’investigation

Comme fréquemment dans les cartels, les participants sont conscients d’enfreindre les règles de concurrence et se livrent à leurs agissements de manière secrète et dissimulée. Ils prennent souvent des précautions afin de ne pas être découverts, telles que l’emprunt de faux noms ou le recours à des mots ou lettres codés. Dans la présente affaire, les membres de l’entente s’appelaient eux-mêmes les entreprises «R», «A» et «K», pour désigner les entreprises européennes, japonaises et coréennes.

Les membres de l’entente se rencontraient régulièrement dans des hôtels en Asie du Sud-Est et en Europe et entretenaient d’autres contacts au moyen de courriers électroniques, de télécopies e d’appels téléphoniques.

Un employé de l’une des entreprises condamnées avait même supprimé des milliers de documents en relation avec l’entente.

La Commission a récupéré l’intégralité de ces documents en utilisant ses techniques de perquisition informatique.

Il convient de rappeler que la Commission peut procéder à toutes les inspections nécessaires auprès des entreprises et associations d’entreprises, qui doivent s’y soumettre. Ses agents sont investis des pouvoirs suivants’1:

  • accéder aux locaux, terrains et moyens de transport des entreprises et associations d’entreprises ;
  • accéder à tous autres locaux, terrains et moyens de transport des entreprises et associations d’entreprises, y compris au domicile des chefs d’entreprise, des dirigeants et des autres membres du personnel, s’il existe le soupçon raisonnable que des livres ou autres documents professionnels liés au domaine faisant l’objet de l’inspection pourraient y être conservés ;
  • contrôler des livres ainsi que toute autre documentation professionnelle, quel qu’en soit le support ;
  • prendre ou obtenir, sous quelque forme que ce soit, copie ou extrait des livres ou documents contrôlés ;
  • apposer des scellés sur tous les locaux ou documents professionnels pendant la durée de l’inspection ;
  • demander à tout représentant ou membre du personnel de l’entreprise ou de l’association d’entreprises des informations et enregistrer ses réponses.

En ce qui concerne l’accès à la documentation numérique de l’entreprise, la Commission européenne a formalisé sa pratique dans une note explicative accompagnant les décisions d’autorisation d’inspection2. Concrètement, lors d’une inspection, les enquêteurs peuvent mener leurs investigations dans l’ensemble de l’environnement électronique de l’entreprise et sur tout support de stockage de données (ordinateurs, tablettes, téléphones, clés USB, etc.).

Afin de découvrir des documents informatiques en lien avec l’infraction suspectée par la Commission, les agents peuvent effectuer des recherches simples par mots-clés. Les entreprises parties à un cartel prennent cependant parfois le soin, comme dans la présente affaire, de dissimuler voire de supprimer certains documents sensibles. Les enquêteurs disposent néanmoins de logiciels perfectionnés leur permettant de retrouver et de réaliser des copies authentiques des documents ayant malencontreusement disparu.

Les pouvoirs de la Commission ne sont toutefois pas sans limites, celle-ci ne pouvant pas procéder à une copie globale de l’ensemble des documents accessibles sur les supports informatiques. Le Tribunal de l’Union européenne avait en effet partiellement annulé les décisions d’inspection dans la même affaire en raison d’une absence d’indices suffisamment sérieux concernant les câbles électriques autres que les câbles électriques sous-marins et souterrains de haute tension. Une partie des documents copiés lors des inspections surprises diligentées en janvier 2009 clans les locaux des parties à l’entente n’a donc pas pu être exploitée par la Commission.

En France, la loi de consommation n° 2014-344 du 17 mars 2014 est venue renforcer les pouvoirs de l’Administration dans le cadre des enquêtes simples (celles intervenant sans autorisation judiciaire).

Pour le contrôle des opérations faisant appel à l’informatique, la loi précise que les agents ont dorénavant accès aux logiciels et aux données stockées ainsi qu’à la restitution en clair des informations propres à faciliter l’accomplissement de leurs missions. Ils peuvent demander la transcription, par tout traitement approprié, des documents directe-ment utilisables pour les besoins du contrôle3.

Cette nouveauté confère en réalité un pouvoir considérable aux agents qui interviennent en dehors de toute perquisition ou saisie. L’accès ainsi autorisé aux logiciels et données informatiques dans le cadre des enquêtes simples constitue en effet un nouveau risque que les entreprises doivent connaître. Les entreprises doivent être informées de l’étendue exacte des pouvoirs de l’Administration pour en limiter, le cas échéant, les abus. Ainsi l’agent ne pourra procéder lui-même à la «fouille» de l’ordinateur et devra se contenter de «demander» communication d’un document qu’il sait déjà exister clans l’ordinateur. Le nouveau texte ne permet pas aux agents de contraindre l’entreprise à fournir ses données informatiques et logiciels.

Notes

1. Règlement (CE) n°1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en ceuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité devenus les articles 101 et 102 du TFUE), article 20.

2. Explanatory note to an authorisation to conduct an inspection in execution of a Commission decision under Article 2014) of Council Regulation No 1/2003, révisée le 18 mars 2013.

3. Nouvel article L. 450-3 du Code de commerce.

 

A propos de l’auteur

Nathalie Pétrignet, avocat associée, spécialisée en matière de droit de concurrence national et européen, pratiques restrictives et négociation commerciale politique de distribution et aussi en droit des promotions des ventes et publicité.

 

Article paru dans la revue Option Droit & Affaires le 9 avril 2014

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