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Crédits d’impôts forfaitaires ou fictifs : les enseignements de la récente décision du Conseil d’Etat ?

Crédits d’impôts forfaitaires ou fictifs : les enseignements de la récente décision du Conseil d’Etat ?

Les crédits d’impôts forfaitaires ou fictifs prévus par les conventions fiscales sont parfois refusés par l’administration fiscale. Le Conseil d’Etat s’est prononcé le 25 février dernier dans une affaire Natixis sur leur applicabilité au regard de 5 conventions fiscales signées par la France.

La décision du 25 février (Conseil d’Etat n°366680 Natixis) fait suite au pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles du 4 décembre 2012.
Deux sujets étaient abordés par l’arrêt: un sujet de fond sur l’interprétation des clauses des conventions fiscales concernées et un sujet de forme sur les preuves à apporter par le contribuable pour justifier du crédit d’impôt en France. Le sujet de fond est sans nul doute le plus complexe, le Conseil d’Etat ne s’étant d’ailleurs prononcé sur ce sujet qu’une fois auparavant en 2006, pour le même contribuable, à propos de la convention fiscale franco brésilienne.

L’interprétation des clauses des conventions fiscales concernées

Les clauses prévoyant des mécanismes de crédit d’impôt forfaitaire ou fictif se trouvent dans l’article relatif à l’élimination des doubles impositions. Leur rédaction diffère suivant les conventions fiscales.

Dans l’affaire examinée par le Conseil d’Etat, les conventions fiscales étaient celles avec l’Argentine (avant l’avenant de 2001 qui a supprimé les crédits d’impôt forfaitaires), la Chine (la convention examinée n’est plus en vigueur depuis le 1er janvier 2015), l’Inde, l’Indonésie et la Turquie.

D’après nous, les conventions en cause sont à classer en 3 catégories :

  • Celle avec la Chine est unique en ce qu’elle prévoit que pour les revenus provenant de Chine, le crédit d’impôt est égal à l’impôt perçu en Chine et indique également que pour certains revenus l’impôt chinois perçu est considéré comme étant égal à x% des intérêts.
  • Les conventions signées avec l’Argentine et l’Indonésie. Pour celles-ci, la clause d’élimination des doubles impositions prévoit que pour les revenus provenant d’Argentine ou d’Indonésie, l’impôt perçu à l’étranger ouvre droit à un crédit d’impôt en France et que le crédit d’impôt est maintenu lorsque l’impôt étranger n’est pas perçu ou perçu à un taux inférieur aux taux conventionnels en vertu d’une disposition législative interne particulière ou visant à promouvoir le développement économique local.
  • Les conventions signées avec l’Inde ou la Turquie. Elles prévoient que pour les revenus qui sont imposables dans le pays étranger, l’impôt payé à l’étranger ouvre droit à un crédit d’impôt en France. Une clause expresse définit le terme « impôt payé » comme étant l’impôt qui aurait été exigible/ payé en vertu de la législation fiscale locale si une exonération n’avait pas été accordée en application de dispositions incitatives sur le développement économique du pays.

Le Conseil d’Etat, dans une précédente décision du 26 juillet 2006, avait rendu une décision à propos de la convention fiscale franco brésilienne (Conseil d’Etat 16 juillet 2006 n°284930 conclusions Pierre Collin). Cette convention prévoit que pour les revenus qui ont supporté l’impôt au Brésil, l’impôt brésilien perçu ouvre droit à un crédit d’impôt tout en indiquant que l’impôt brésilien est considéré comme perçu au taux de x%. Faute de disposition expresse contenue dans la convention prévoyant une dispense de tout prélèvement à la source, le Conseil d’Etat a jugé que les dispositions conventionnelles ne permettaient pas d’octroyer un crédit d’impôt en l’absence de tout prélèvement au Brésil.

A priori, les clauses examinées dans les cinq conventions soumises à l’examen du Conseil d’Etat auraient dû, à notre avis, permettre, sur le plan des principes, d’obtenir le crédit d’impôt forfaitaire/fictif sans qu’un impôt ait nécessairement été payé à l’étranger, les clauses d’élimination des doubles impositions dans les 5 conventions concernées n’ayant pas une rédaction comparable à celle qui a été retenue dans la convention avec le Brésil.

La Cour administrative d’appel avait pourtant jugé qu’ à défaut d’avoir effectivement payé l’impôt à l’étranger, le crédit d’impôt forfaitaire n’était pas validé dans le cas de la Chine, ni dans le cas de l’Inde et de la Turquie. Elle a en revanche validé le principe du crédit impôt fictif dans les conventions avec l’Indonésie et l’Argentine, s’inspirant sans doute des conclusions du rapporteur public Pierre Collin sous l’arrêt de 2006 sur le Brésil qui les citait comme exemple de clause explicite.

Le Conseil d’Etat casse l’arrêt de la Cour administrative d’appel concernant le cas de la Chine en jugeant que la Cour a commis une erreur de droit en jugeant qu’il était nécessaire de payer un impôt en Chine pour justifier du crédit d’impôt.

Concernant la Turquie et l’Inde, le Conseil d’Etat juge que l’octroi du crédit d’impôt est subordonné à la condition que les intérêts aient fait l’objet d’un prélèvement dans ces Etats ou aient été exonérés en vertu d’une disposition de droit interne telle que visée par la convention visant à promouvoir le développement économique du pays. Dès lors que la société ne justifiait ni avoir payé un impôt ni avoir été exonérée en vertu d’une telle disposition, le Conseil d’Etat invalide le crédit d’impôt et confirme l’arrêt de la Cour administrative d’appel.

Preuves à apporter par le contribuable pour justifier du crédit d’impôt en France

Même dans les cas où la Cour n’a pas conditionné le crédit d’impôt forfaitaire à un paiement effectif d’impôt local, l’absence de preuve apportée par le contribuable l’a conduit à invalider le crédit d’impôt forfaitaire.

Par exemple, pour les intérêts de source indonésienne, le Conseil d’Etat valide le jugement de la Cour, qui, s’attachant à vérifier que les conditions posées par la convention indonésienne étaient remplies, a constaté que la société n’a pas justifié que l’exonération dont elle a bénéficié sur les intérêts résultait d’une mesure spéciale telle que visée par la convention.

De même pour les conventions avec la Turquie et l’Inde, le Conseil d’Etat précise qu’en demandant à la société tous éléments permettant de justifier que l’exonération relève d’une des dispositions visée par la convention, justification, la Cour administrative d’appel n’a pas inversé la charge de la preuve.

La charge de la preuve incombe donc à la société qui réclame le bénéfice du crédit d’impôt forfaitaire. Mais justifier d’une exonération peut s’avérer plus difficile pour les contribuables que de justifier du paiement de l’impôt.

Les contribuables doivent donc s’assurer de disposer des justifications permettant d’établir que l’exonération s’inscrit dans le cadre des dispositions incitatives telles que décrites dans la convention fiscale.

La décision du Conseil d’Etat ne lève pas toutes les zones d’ombre mais elle permet de disposer d’une grille de lecture tant pour le contribuable que pour l’administration fiscale française. Du côté du contribuable, elle rappelle la nécessité d’apporter les justifications pour se prévaloir du crédit d’impôt forfaitaire. Pour l’administration fiscale, elle ne peut qu’inciter à négocier une clause explicite et limpide, qui sécurise l’interprétation pour les entreprises.

 

Auteur

Agnès de l’Estoile-Campi, avocat associée en fiscalité internationale et Conseiller du Commerce Extérieur de la France

 

*Crédits d’impôts forfaitaires ou fictifs : les enseignements de la récente décision du Conseil d’Etat ?* – Article paru dans le magazine Option Finance le 23 mars 2015

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