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Déductibilité des impôts étrangers : position du Conseil d’Etat

Selon le Conseil d’Etat, une retenue à la source étrangère ne peut augmenter le déficit d’une société française lorsque la lettre d’une convention fiscale y fait obstacle.

1. Rappel de la question

La société titulaire d’un revenu ayant subi à l’étranger une retenue à la source qui, sur le fondement de la convention fiscale conclue entre la France et l’Etat de la source, forme crédit sur le montant de l’IS à sa charge, recueille un produit égal au montant du revenu brut. Lorsque la société bénéficie du crédit d’impôt conventionnel, elle ne déduit pas le montant de la retenue à la source qui forme crédit d’impôt. Mais lorsque la société constate un déficit fiscal, elle ne peut pas bénéficier de l’imputation du crédit d’impôt conventionnel. La retenue à la source étrangère ampute donc définitivement son revenu.

Les sociétés déficitaires peuvent-elles traiter la retenue à la source comme une charge déductible de leur bénéfice imposable qui viendrait donc majorer leur déficit reportable ? C’est ce qui se passerait tout naturellement si aucune convention fiscale n’avait été conclue entre la France et l’Etat de la source. Mais lorsqu’une convention existe, il n’est pas rare que l’administration refuse ce droit à déduction, en invoquant une décision Lummus du Conseil d’Etat du 11 janvier 1991 pour justifier sa position. D’après elle, lorsqu’une convention s’applique, la seule méthode d’élimination des doubles impositions est le crédit d’impôt, et les stipulations de la convention font alors obstacle, quelle que soit leur rédaction, à la déduction de la retenue à la source.

2. La position de la CAA Versailles dans les affaires Céline et Egis

Par un arrêt min. c/ société Céline du 16 juillet 2012, la CAA de Versailles avait estimé que lorsque l’article d’élimination des doubles impositions d’une convention fiscale, qui précise les conditions dans lesquelles la France doit accorder un crédit d’impôt imputable sur l’impôt français à raison de l’impôt dont ont été grevés les revenus en question dans l’Etat de source, prévoit que « l’impôt [acquitté dans l’Etat de source] n’est pas déductible des [revenus provenant de l’Etat de source et compris dans les revenus imposables en France] », il faudrait en conclure que les Etats parties à la convention auraient « entendu explicitement exclure la possibilité de déduire du résultat imposable en France les impôts » en question.

Par un arrêt min. c/société Egis du 18 juillet 2013, la même Cour de Versailles a toutefois jugé, dans un sens cette fois favorable au contribuable, que si la convention fiscale n’exclut pas expressément la déductibilité de l’impôt étranger (c’était le cas de la convention franco-grecque en cause dans l’affaire), l’impôt étranger est déductible. On peut néanmoins penser qu’il ne le serait que dans l’hypothèse où la société française est déficitaire, puisque, dans le cas inverse, le cumul de l’imputation du crédit d’impôt et de la déduction irait au-delà de l’élimination de la double imposition.

3. La position du Conseil d’Etat dans l’affaire Céline

Par une décision min. c/ société Céline du 12 mars 2014, n°362528, le Conseil d’Etat confirme la thèse de l’administration faisant obstacle à la déductibilité des impôts étrangers.

Selon le Conseil d’Etat, ni le principe de subsidiarité selon lequel une convention ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l’imposition, ni l’interprétation conforme à leur objet des stipulations d’une convention fiscale visant à éliminer la double imposition ne peuvent faire échec à l’application des stipulations claires des conventions lorsqu’elles interdisent cette déductibilité. Se prononçant sur le pourvoi en cassation formé par la société Céline contre l’arrêt par lequel la CAA de Versailles avait annulé le jugement du TA de Montreuil qui avait fait droit à la thèse de la société, le Conseil d’Etat confirme l’arrêt de la CAA, en s’écartant de la solution qui avait été suggérée par Olivier Fouquet et Philippe Durand dans « Déduction de l’impôt étranger et conventions fiscales », Revue de droit fiscal n° 49/12 c. 547, article dans lequel ces deux auteurs s’étaient interrogés sur le bien-fondé de la solution de la CAA : « on peut se demander si la solution de la cour, orthodoxe en l’état de la jurisprudence, ne méconnaît pas l’inspiration réelle des conventions fiscales ». Le pourvoi en cassation formé par la société Céline n’a donc pas eu l’issue qui pouvait être espérée.

Sur le terrain du principe de subsidiarité, le Conseil d’Etat juge que, alors même que la société Céline était fondée à solliciter, sur le fondement du droit interne, la déduction des impositions qu’elle avait acquittées en Italie et au Japon, la cour n’a pas méconnu le principe de subsidiarité des conventions fiscales en jugeant qu’il y avait lieu d’examiner si les stipulations conventionnelles dont l’administration se prévalait faisaient obstacle à cette déduction. Cette solution résulte d’une inflexion sensible de la jurisprudence du Conseil d’Etat relative au principe de subsidiarité puisqu’elle n’est permise que par une nouvelle rédaction du considérant de principe de la décision d’Assemblée min c/ Schneider Electric du 28 juin 2002 qui avait défini le principe de subsidiarité, ce qui justifie sans doute la publication intégrale au recueil Lebon de cette décision. Le Conseil d’Etat limite en effet les implications du principe de subsidiarité en jugeant qu’il appartient « néanmoins » au juge de l’impôt, après avoir constaté que les impositions qu’une entreprise a supportées dans un autre Etat du fait des opérations qu’elle y a réalisées seraient normalement déductibles de son bénéfice imposable en France en vertu la loi fiscale nationale, de faire application, pour la détermination de l’assiette de l’impôt dû par cette entreprise, des stipulations claires d’une convention excluant la possibilité de déduire l’impôt acquitté dans cet autre Etat d’un bénéfice imposable en France.

Sur le terrain de l’interprétation de la clause d’élimination de la double imposition par voie d’imputation des conventions fiscales franco-japonaises et franco-italiennes qui étaient ici en débat, le Conseil d’Etat juge que, alors même qu’il était soutenu que l’interprétation conforme à leur objet de ces stipulations ne pouvait conduire à accroître la double imposition en faisant obstacle à des dispositions de droit interne qui, sans l’éliminer, atténuent cette double imposition, les stipulations claires d’une convention font obstacle à la possibilité de déduire l’impôt acquitté dans l’Etat de source du bénéfice imposable en France « alors même que la convention prévoirait par ailleurs un mécanisme de crédit d’impôt imputable sur l’impôt français, dont cette entreprise ne serait pas en mesure de bénéficier du fait de sa situation déficitaire au cours de l’année en cause, dès lors que la convention interdit la déduction en toutes circonstances ».

Le Conseil d’Etat en déduit que dès lors qu’il résulte des termes mêmes de ces stipulations qu’elles excluent la possibilité de déduire l’impôt acquitté en Italie ou au Japon des revenus imposables en France, « sans réserver le cas où le contribuable, résident de France, ne pourrait bénéficier, en raison de sa situation déficitaire, de l’imputation du crédit d’impôt correspondant à l’impôt acquitté à l’étranger », ces stipulations font obstacle à la déduction de l’impôt acquitté à l’étranger même pour les sociétés déficitaires.

4. Conclusion

On ne peut que regretter que l’effort fait par le Conseil d’Etat pour infléchir sa jurisprudence relative au principe de subsidiarité le soit au détriment d’une solution qui était pourtant logique économiquement et qui ne semblait pas interdite par une interprétation conforme à leur objet des stipulations des conventions fiscales.

L’administration n’ayant pas formé de pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles min. c/ société Egis du 18 juillet 2013 qui, comme on l’a vu, a abouti à une solution favorable, on peut penser que les règles applicables sont désormais les suivantes :

  • si les conventions fiscales excluent expressément la déductibilité de l’impôt étranger, ce dernier n’est jamais déductible du bénéfice imposable en France, quelle que soit la situation déficitaire ou bénéficiaire de la société française ;
  • si tel n’est pas le cas, comme pour la convention franco-grecque qui était en cause dans l’affaire Egis, l’impôt étranger est déductible, mais on peut penser qu’il ne l’est que dans l’hypothèse où la société française est déficitaire, puisque, dans le cas inverse, le cumul de l’imputation du crédit d’impôt et de la déduction irait au-delà de l’élimination de la double imposition.

On peut espérer que l’administration fiscale prendra le soin de clarifier sa position sur ces différents points en commentant ces jurisprudences.

 

A propos de l’auteur

Stéphane Austry, avocat associé au sein du Département Doctrine Fiscale, en charge du développement de l’activité contentieuse du cabinet. En parallèle à ses activités, il est en charge de la pratique fiscale pour tous les cabinets membres du réseau CMS.

 

Article paru dans la revue Option Finance du 31 mars 2014

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