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Le défaut d’une action de formation ne peut constituer en soi une discrimination ou la violation d’une liberté fondamentale

La méconnaissance par l’employeur du droit du salarié à une action de formation professionnelle à l’issue d’un congé parental d’éducation ne caractérise ni une mesure discriminatoire en soi ni la violation d’une liberté fondamentale.

Parallèlement à l’entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2014 qui réalise une nouvelle réforme du droit de la formation professionnelle, la Cour de cassation vient d’expliciter – dans deux arrêts rendus à cette même date – les incidences du manquement de l’employeur à l’obligation de formation du (ou de la) salarié(e) à son retour de congé parental d’éducation.

Ces précisions jurisprudentielles méritent d’être soulignées dès lors qu’à ce jour, le droit de la formation professionnelle ne donne pas lieu à un important contentieux.

Rappel du droit du salarié à une action de formation à l’issue de son congé parental

Pour mémoire, il résulte du code du travail :

  • qu’à l’issue d’un congé parental d’éducation, le (ou la) salarié(e) retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d’une rémunération au moins équivalente (article L.1225-55 du code du travail) ;
  • et que dans cette perspective, il (ou elle) « bénéficie d’un droit à une action de formation professionnelle, notamment en cas de changement de techniques ou de méthodes de travail » (article L.1225-59 du code du travail).

Ce droit spécifique –issu d’une loi du 4 janvier 1984 – renvoie également à l’obligation plus générale de l’employeur d’adapter ses salariés à l’évolution de leur poste de travail (Cass. Soc. 25 février 1992 Expovit – consacrée par l’article L.6321-1 du code du travail).

C’est dans ce cadre – et à l’occasion de deux affaires pour le moins rocambolesques – que la Cour de cassation précise utilement les sanctions possibles de la méconnaissance de ce droit à formation/du manquement à cette obligation de formation.

Le manquement à l’obligation de formation ne constitue pas à lui seul une discrimination

La première affaire concerne une danseuse du Moulin-Rouge recrutée par CDD d’usage entre 1998 et 2008. N’ayant pas été réengagée à la suite d’un congé parental d’éducation compte tenu d’une «impossibilité physique et esthétique (…) de se produire sur la scène du bal du Moulin-Rouge» et considérant ne pas avoir bénéficié d’une formation permettant son retour dans l’entreprise, elle a saisi la juridiction prud’homale afin de solliciter notamment des dommages-intérêts pour discrimination.

La cour d’appel de Paris reconnaît l’existence d’une discrimination au motif que l’employeur subordonnait la poursuite des relations professionnelles à un état physique et esthétique, «sans justifier (…) d’un quelconque programme d’aide et de soutien pour permette à la salariée de retrouver des capacités optimales à cet égard» (CA Paris 13 septembre 2012).

Mais, ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation qui relève que « le manquement de l’employeur à l’obligation de formation prévue par l’article L. 1225-59 du code du travail ne constitue pas à lui seul une discrimination » (Cass. Soc. 5 mars 2014 n°12-27701).

Ce faisant, la Chambre sociale confirme que l’existence d’une discrimination ne peut être invoquée qu’en cas de distinction illégitime qui repose sur un (ou des) critère(s) prohibé(s) par la loi. Or, le seul défaut de formation à l’issue d’un congé parental d’éducation ne constitue pas en soi un cas de discrimination interdit par la loi.

La méconnaissance du droit à la formation ne caractérise pas la violation d’une liberté fondamentale

La seconde affaire est relative à une salariée « assistante au service des ressources humaines » licenciée «pour insuffisance professionnelle et comportement inadapté» au retour de son troisième congé parental d’éducation, après quelques jours de travail effectif et une absence quasi-continue de plus de 11 ans (durant cette période, la salariée a cumulé plusieurs arrêts maladie, 1 congé sabbatique, 3 congés de maternité et 3 congés parentaux d’éducation). Cette salariée a sollicité la nullité de son licenciement en faisant valoir que son employeur n’avait pas rempli son obligation de formation lui permettant de faire face aux changements techniques et de méthodes de travail intervenus pendant ses onze années d’absence.

La cour d’appel de Versailles lui a donné gain de cause en retenant que l’insuffisance professionnelle reprochée «s’expliqu(ait) par l’indigence de la formation professionnelle qui a été dispensée à l’intéressée» et que «le licenciement (était) intervenu en violation de l’article L. 1225-59 du code du travail et du droit fondamental à la formation de tout salarié» de sorte qu’il était «licite donc nul». Par conséquent, l’employeur a été condamné au paiement des salaires qui auraient dû être perçus par la salariée entre la rupture de son contrat et la date du prononcé de l’arrêt d’appel (l’employeur s’étant opposé à la réintégration sollicitée par la salariée), ainsi qu’à des dommages et intérêts réparant le préjudice résultant du caractère illicite du licenciement.

Cela étant, la Chambre sociale casse cet arrêt en rappelant que «le juge ne peut, en l’absence de disposition le prévoyant et à défaut de violation d’une liberté fondamentale, annuler le licenciement» et en précisant que «la méconnaissance par l’employeur du droit du salarié à une action de formation professionnelle prévu par l’article L.1225-59 du code du travail ne caractérise pas la violation d’une liberté fondamentale» (Cass. Soc. 5 mars 2014 n°11-14426).

Pour la première fois à notre connaissance, la Cour de cassation réfute l’existence d’un droit fondamental à la formation de tout salarié, ce qui est notable dans le contexte actuel de montée en puissance des droits et libertés fondamentaux du travailleur (voir encore récemment notamment la reconnaissance de la liberté fondamentale du salarié de témoigner en justice – Cass. Soc. 29 octobre 2013).

En tout état de cause, il ne peut bien évidemment pas être déduit de ces arrêts que le défaut de formation valable à l’issue d’un congé parental ne peut être sanctionné.

Les sanctions possibles du défaut de formation valable à l’issue d’un congé parental

Tout d’abord, il ressort du code du travail que l’inobservation par l’employeur de son obligation de formation au retour du congé parental d’éducation «peut donner lieu à l’attribution de dommages et intérêts au profit du bénéficiaire» (article L.1225-71 du code du travail).

Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence que lorsque l’insuffisance professionnelle reprochée à un salarié licencié résulte d’un défaut de formation à l’issue d’un congé parental d’éducation -et plus généralement d’un manquement de l’employeur à son obligation d’adaptation des salariés à leur poste de travail- le licenciement est sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 29 octobre 2002 ; Cass. Soc. 29 novembre 2007).

Dans ces conditions, il importe bien de rester vigilant concernant l’organisation des modalités de retour d’un(e) salarié(e) en congé parental.

 

A propos des auteurs

Nicolas de Sevin, avocat associé. Il intervient tant dans le domaine du conseil que du contentieux collectif. Son expertise contentieuse concerne principalement : les restructurations : transfert des contrats de travail, mise en cause des conventions collectives …,les PSE/PDV, contentieux du licenciement collectif, le droit des comités d’entreprise, les expertises (CE/CHSCT, …), le contentieux électoral, la négociation collective, le droit syndical, l’aménagement du temps de travail (accord 35 heures, récupération, …), les discriminations, le droit pénal du travail : entrave, marchandage, CDD/intérim et les conflits collectifs.

Benoît Masnou, avocat spécialisé en matière de droit social.

 

Article paru dans Les Echos Business le 9 avril 2014

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