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Des distributions de réserves peuvent venir augmenter le passif successoral déductible

Des distributions de réserves peuvent venir augmenter le passif successoral déductible

Le démembrement de parts sociales est une opération courante, mais c’est seulement aujourd’hui que la Cour de cassation se prononce de façon claire sur l’identité du bénéficiaire d’une distribution de réserves. En jugeant que ces distributions reviennent au nu-propriétaire mais sont versées à l’usufruitier, la Cour conclut que naît chez l’usufruitier une dette de restitution qui sera déductible de sa succession.

Quelles dettes déduire le jour du décès ?

On sait que l’actif successoral imposable est composé des biens que le défunt détenait en pleine propriété au jour de son décès, déduction faite des dettes qui étaient à sa charge au jour de l’ouverture de sa succession, à condition que leur existence soit dûment justifiée (CGI art. 768).

Toutefois au plan fiscal, certaines dettes sont expressément exclues du passif successoral déductible. Il s’agit en particulier de celles que le défunt avait envers ses héritiers au sens large ou de personnes interposées (notamment les père et mère, enfants et descendants des personnes concernées) (CGI, art. 773, 2°). Mais ce principe comporte deux importantes exceptions : les dettes trouvant leur origine dans la loi restent déductibles de l’actif successoral, tandis que celles qui sont d’origine contractuelle peuvent être déduites si elles ont été consenties par un acte authentique ou par un acte sous-seing privé ayant date certaine autrement que par le décès du débiteur et si les héritiers, donataires ou légataires, et les personnes réputées interposées prouvent la sincérité de la dette et son existence au jour de l’ouverture de la succession.

Ces critères étant strictement limitatifs, la Cour de Cassation a ainsi pu décider qu’à partir du moment où il n’y a pas eu de reconnaissance de dette dûment enregistrée, l’époux marié sous un régime de séparation de biens ne peut pas déduire fiscalement la dette que son défunt conjoint avait envers lui (Cass. com, 20 juin 2006, n°03-13.746) alors même que le principe des créances entre époux est établi par l’article 1543 du code civil.

Le cas d’une dette qui trouve son origine dans un texte de loi permettant ainsi sa déductibilité est, en pratique, assez rare. Il existe quelques solutions anciennes favorables dans le cadre de la gestion d’affaires, lorsque l’héritier n’a pas agi dans le cadre d’un mandat (lequel aurait donné un cadre contractuel à la dette).

Un parent donne la nue-propriété de ses titres et garde l’usufruit : que se passe-t-il en cas de distribution de réserves par la société ?

Une société avait décidé une distribution de réserves. Le procès-verbal de l’assemblée précisait que, pour les parts sociales démembrées, le nu-propriétaire aurait droit à cette distribution mais que le paiement serait fait entre les mains de l’usufruitier, celui-ci exerçant son droit au titre d’un quasi-usufruit. Rappelons que lorsqu’il reçoit des choses dont on peut ne faire usage qu’en les consommant, par exemple des sommes d’argent, l’usufruitier devient titulaire d’un quasi-usufruit et peut alors disposer des biens qui lui sont remis, à charge pour lui de rendre au nu-propriétaire, à la fin du quasi-usufruit, soit des choses de même quantité et qualité, soit leur valeur estimée à la date de la restitution (article 587 du code civil).

Au décès de l’usufruitier, les héritiers nus-propriétaires ont demandé à déduire de l’actif successoral la dette de restitution correspondant à la distribution de réserves qui avait fait l’objet du quasi-usufruit. Mais l’administration fiscale leur a opposé que la dette ressortant du procès-verbal d’assemblée était d’origine conventionnelle, et aurait donc dû faire l’objet d’un acte authentique ou d’un acte sous-seing privé enregistré pour lui conférer date certaine. Comme indiqué ci-dessus, seules les dettes d’origine légale peuvent en effet être déduites sans ce formalisme particulier.

Pour décider du sort de cette dette, la Cour de cassation devait donc répondre à une question liminaire : qui est le bénéficiaire légal d’une distribution de réserves en cas de démembrement de titres ?

La doctrine était divisée :

  • Selon certains auteurs, le dividende, quelle que soit son origine, est un fruit revenant naturellement à l’usufruitier pour la pleine propriété.
  • Selon d’autres auteurs, le fait de porter des résultats en réserves transforme ces derniers en capital revenant donc naturellement au nu-propriétaire. La distribution de ces réserves, qui vient diminuer les capitaux propres de la société et en altère, d’une certaine façon, la substance même doit bénéficier aux nus-propriétaires (mais l’usufruitier doit pouvoir exercer son droit de jouissance).

C’est cette deuxième interprétation qui a prévalu devant la Cour de cassation (Cass. com. 27 mai 2015 n°14-12.246 ; n°515 FS-PBRI). Afin de tenir compte du caractère démembré des titres et du droit de jouissance de l’usufruitier, la Cour retient que le dividende prélevé sur les réserves doit être versé entre les mains de l’usufruitier au titre d’un quasi-usufruit. Dans son premier considérant, de principe, la Cour précise ainsi que «dans le cas où la collectivité des associés décide de distribuer un dividende par prélèvement sur les réserves, le droit de jouissance de l’usufruitier de droits sociaux s’exerce, sauf convention contraire entre celui-ci et le nu-propriétaire, sous la forme d’un quasi-usufruit (…) de sorte que l’usufruitier se trouve tenu (…) d’une dette de restitution exigible au terme de l’usufruit et qui, prenant sa source dans la loi, est déductible de l’actif successoral lorsque l’usufruit s’éteint par la mort de l’usufruitier».

Des distributions qui deviennent une dette déductible au décès de l’usufruitier…

En d’autres termes, les réserves, même distribuées, restent la propriété du nu-propriétaire mais la distribution doit en principe être faite auprès de l’usufruitier, à charge pour lui (et plus particulièrement pour ses héritiers) de rendre au nu-propriétaire, à la fin de l’usufruit, une somme équivalente à ce qu’il a reçu.

Notons d’ailleurs que l’assiette d’imposition de la donation qui a, dans la majorité des cas, donné naissance au démembrement a tenu compte du montant de ces réserves pour valoriser les parts sociales transmises.

La Cour réserve le cas de la conclusion d’une convention contraire. En effet, les parties pourraient choisir de répartir la somme distribuée en fonction de la valorisation de leurs droits respectifs ou de remployer cette somme dans un bien démembré. Rappelons que dans ce dernier cas, il est essentiel de conserver la traçabilité très précise du ou des remploi(s) successif(s) de cette somme afin d’éviter lors du décès de l’usufruitier l’application de la présomption de fictivité prévue à l’article 751 du CGI qui permet à l’administration fiscale de comprendre dans l’actif successoral imposable de l’usufruitier la valeur en pleine propriété du bien démembré.

Dans le cadre de ces conventions, le droit du nu-propriétaire est nécessairement préservé. En revanche, lorsque l’usufruitier appréhende l’intégralité de la somme distribuée, le nu-propriétaire doit être garanti contre l’insolvabilité future de l’usufruitier. Les articles 601 et 602 du code civil prévoient l’obligation pour l’usufruitier de fournir caution et, à défaut, de faire emploi des sommes c’est-à-dire de les placer. Ces dispositions, qui ne s’appliquent pas lorsque le démembrement est né d’une donation, sont en pratique peu usitées; elles sont en effet délicates à exiger, surtout lorsqu’il l’usufruit revient à un parent suite au décès de l’autre parent, son conjoint.

Il résulte de ce qui précède que la dette, consécutive à la distribution de réserves et née d’un quasi-usufruit fondé sur l’article 587 du code civil, est d’origine légale. A toutes fins utiles, rappelons par ailleurs, également, que si cette dette de quasi-usufruit est déductible de l’actif successoral, elle est en revanche imposable en matière d’impôt sur la fortune, le principe étant que l’usufruitier reste imposable sur la pleine propriété d’un bien démembré (l’administration fiscale considère qu’une dette de quasi-usufruit n’est pas déductible).

Le démembrement de titres pose encore aujourd’hui de nombreuses questions qui sont petit à petit résolues par la Cour de cassation. Ainsi, après avoir jugé que la décision, votée en assemblée, de mettre en réserve les bénéfices d’une société ne constitue pas une donation indirecte des usufruitiers des titres au profit des nus-propriétaires (Cass. com. 10 février 2009 n°07-21.806 n°128 FS-P+B), la Cour juge aujourd’hui que, mêmes distribuées, ces réserves restent la propriété du nu-propriétaire.

Il nous semble toutefois raisonnable de prendre la précaution de recourir soit à l’acte notarié, soit à l’enregistrement auprès du centre des impôts d’un acte sous-seing privé actant de l’existence de la dette de quasi-usufruit.

 

Auteurs

Emmanuelle Féna-Lagueny, avocat Counsel en matière d’impôts directs au sein du département de doctrine fiscale

Isabelle Fleuret, avocat Counsel, droit du patrimoine

 

*Des distributions de réserves peuvent venir augmenter le passif successoral déductible* – Article paru dans le magazine Option Finance le 7 septembre 2015
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