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Le droit à la déconnexion consacré par la Loi Travail

Le droit à la déconnexion consacré par la Loi Travail

«Au sein de l’entreprise, différentes démarches, pas forcément juridiques mais tout aussi efficaces, doivent encourager la déconnexion : chartes, configuration par défaut des outils, actions de sensibilisation (ex : exemplarité des managers)», c’est ce que recommandait le Rapport Mettling et qui est aujourd’hui consacré par la loi Travail.

Pourquoi avoir créé un droit à la déconnexion ?

Ces dernières années, le droit à la déconnexion a fait l’objet de plusieurs rapports, en particulier celui rendu par Bruno Mettling en septembre 2015, ayant mis en évidence les changements majeurs liés à l’introduction du numérique dans la vie professionnelle et par conséquent à la porosité croissante entre les sphères professionnelles et personnelles.

Jusque-là, le droit à la déconnexion était uniquement consacré par les partenaires sociaux (dans l’ANI du 19 juin 2013 relatif à l’amélioration de la qualité de vie au travail) et implicitement par la Cour de cassation. Ainsi, dans un arrêt du 17 février 2004, la Cour de cassation avait jugé que le fait de n’avoir pu être joint en dehors des horaires de travail sur son téléphone portable personnel n’avait aucun caractère fautif et ne permettait donc pas de justifier un licenciement pour faute grave.

Ainsi envisagé, le droit à la déconnexion du salarié c’est le droit pour ce dernier de ne pas répondre aux mails ou appels en dehors de son temps de travail.

Une inspiration allemande ?

Le débat sur le droit à la déconnexion n’a pas démarré en France mais de l´autre côté du Rhin. Toutefois, en Allemagne, il n’existe aujourd’hui aucune loi spécifique sur ce sujet. Là-bas, le débat n’a conduit qu’à la mise en place de projets pilotes, sur la base du volontariat, par des entreprises ayant réalisé que la connexion permanente de leur salariés présentait des risques même si elles constataient dans le même temps que les salariés souhaitaient disposer de plus de flexibilité dans l’organisation de leur temps de travail. Constatant les risques d’atteinte à la vie privée et les risques d’épuisement professionnel, les comités d’entreprises nationaux étaient d’autant plus disposés à s’accorder avec les employeurs sur les règles régissant le droit à la déconnexion.

En Allemagne, à défaut de disposition particulière, la mise en œuvre du droit à la déconnexion varie d’une entreprise à une autre. Par exemple, Volkswagen a mis en place un règlement relatif au travail mobile en septembre 2016. Il prévoit que les moments où les salariés doivent être joignables sont définis sur une base individuelle de concert avec le supérieur hiérarchique. En dehors de ces horaires, le droit à la déconnexion s’applique. D’autres sociétés ont instauré des mesures de contingents («compteur email») ou des systèmes d’envoi différé et constaté que les communications électroniques ont diminué de presque 50% la nuit et les week-ends. Enfin, certains, comme Daimler, ont mis en place un programme Mail on Holiday, prévoyant que les messages arrivant pendant les vacances sont automatiquement supprimés de la boite de réception du salarié et redirigés automatiquement vers d’autres interlocuteurs.

Que prévoit le nouveau texte ?

La loi Travail introduit dans le Code du travail, un «droit à la déconnexion» applicable à tous les salariés. Ainsi, à compter du 1er janvier 2017, les entreprises devront prévoir : «Les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale. A défaut d’accord, l’employeur élabore une charte, après avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. Cette charte définit ces modalités de l’exercice du droit à la déconnexion et prévoit en outre la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques» (article L.2242-8, 7° du Code du travail).

Il résulte de ces dispositions que la priorité est donnée à la négociation collective. Pour autant, les entreprises dépourvues de délégués syndicaux ou ne parvenant pas à conclure un accord, ne sont pas dispensées. Elles devront dans ce cas, élaborer une charte ou des règles de bonnes pratiques prévoyant -entre autres- des actions de formations et de sensibilisation (éviter les envois d’e-mails en dehors du temps de travail, s’interroger sur le moment le plus opportun pour envoyer un mail , avoir recours aux fonctions d’envoi différé, etc.).

Un garde-fou pour les employeurs ?

La reconnaissance d’un droit à la déconnexion vise certes à protéger la vie privée des salariés et limiter les risques psycho-sociaux mais elle devrait également permettre de limiter certains risques pour les entreprises et d’améliorer leur image d’employeurs responsables.

En effet, l’effritement croissant de la frontière vie privée-vie professionnelle a conduit ces dernières années à créer des risques nouveaux pour les employeurs : risques psycho-sociaux, risque de non-respect des durées maximales de travail, des repos journaliers et hebdomadaires (notamment pour les salariés en forfait-jour), risque de harcèlement, risque de requalification en heures d’astreinte… Il a par exemple été admis que l’envoi ou la réception d’emails le soir, le week-end ou pendant les congés peut constituer un mode de preuve pour le salarié pour faire requalifier ses temps en travail effectif et obtenir le paiement d’heures supplémentaires.

En mettant en place des règles strictes d’utilisation des outils numériques et en formant les salariés, en particulier l’encadrement, les entreprises vont ainsi pouvoir mieux maîtriser ces risques.

Auteurs

Caroline Froger-Michon, avocat associée, droit social, CMS Bureau Francis Lefebvre

Marion Sihler, Rechtsanwältin, avocat, droit social, CMS Hasche Sigle.

Le droit à la déconnexion consacré par la Loi Travail – Article paru dans Les Echos Business le 8 novembre 2016
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