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Fiscalité des transferts de siège, un frein à la délocalisation ?

La troisième loi de finances rectificative pour 2012 a modifié le régime fiscal applicable en cas de transfert de siège ou d’établissement à l’étranger en offrant au contribuable la possibilité d’opter pour une imposition fractionnée de la plus-value latente sur les actifs transférés.

Ce nouveau texte ne crée pas une « exit tax » pour les entreprises, celle-ci existait déjà ! Jusqu’à l’intervention de la troisième loi de finances rectificative pour 2012, l’article 221. 2 du CGI considérait en effet le transfert du siège ou d’un établissement à l’étranger comme un cas de cessation d’entreprise, et entraînait donc l’imposition des plus-values latentes sur tous les actifs de la société. Ce principe était cependant assorti d’une exception permettant la neutralité fiscale des transferts de siège dans un autre Etat membre de la Communauté européenne, exception cependant interprétée restrictivement : l’administration considérait que la neutralité fiscale du transfert de siège était subordonnée au maintien en France d’un établissement stable de la société concernée. Une telle règle n’était plus conforme aux exigences du droit de l’Union européenne tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne dans la mesure où il conduisait à une imposition immédiate des plus-values latentes afférentes aux actifs transférés avec le siège.

C’est pourquoi le législateur français est intervenu en introduisant dans l’article 221.2 du CGI un principe de neutralité fiscale du transfert de siège ou du transfert d’un établissement dans les Etats membres de l’Union européenne (UE) et de certains Etats de l’Espace économique européen (EEE), assorti d’une exception lorsque le transfert de siège s’accompagne d’un transfert d’éléments d’actif.

La nouvelle règle est applicable aux transferts de siège réalisés depuis le 14 novembre 2012.

Conditions de la neutralité du transfert de siège ou d’un établissement
La notion de « transfert de siège » n’est pas définie. Il s’agit, selon toute vraisemblance, du transfert du siège social ou du siège de direction effective d’une société française vers un Etat étranger, conformément à la définition du siège retenue par l’administration fiscale . La notion de « transfert d’établissement » n’est pas davantage définie mais on peut supposer que la notion d’établissement recoupe celle utilisée pour définir l’entreprise exploitée en France au sens de l’article 209 du CGI. A cet égard, un transfert d’établissement aboutirait nécessairement à une imposition immédiate ou fractionnée des plus-values latentes : l’établissement se caractérisant par une installation matérielle dotée d’une certaine permanence, son transfert s’accompagne forcément d’un transfert d’éléments d’actifs.

L’article 221. 2 nouveau du CGI pose les deux principes suivants :

  • lorsque le transfert de siège a lieu dans un État membre de l’UE ou dans un État partie à l’accord sur l’EEE ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ainsi qu’une convention d’assistance mutuelle en matière de recouvrement, il n’est pas considéré comme entraînant une cessation d’entreprise ;
  • lorsque le transfert de siège a lieu dans un Etat autre que l’un de ceux visés ci-dessus, il continue de produire les conséquences d’une cessation d’entreprise et provoque donc l’imposition immédiate des bénéfices d’exploitation réalisés depuis la clôture du dernier exercice clos jusqu’au jour du transfert, des bénéfices en sursis d’imposition et des plus-values latentes.

Le nouvel article prévoit une exception au premier principe (transfert dans un Etat membre de l’UE ou de l’EEE avec convention d’assistance administrative) : la neutralité du transfert de siège est toutefois remise en cause lorsque le transfert « s’accompagne » du transfert d’éléments d’actifs. En ce cas, la société dispose d’une option entre une imposition immédiate des plus-values latentes, en report ou en sursis, et une imposition fractionnée sur cinq ans. Notons qu’un transfert de siège dans un Etat autre que l’un de ceux visés ci-dessus entraînera toujours l’imposition immédiate des plus-values latentes, même si les actifs considérés demeurent en France.

Modalités d’imposition en cas de transfert dans un Etat de l’UE ou de l’EEE avec convention « accompagné » d’un transfert d’actifs

L’imposition immédiate ou fractionnée a lieu lorsque le transfert de siège s’accompagne d’un transfert d’éléments d’actifs.

Au vu des travaux préparatoires, il est possible d’interpréter cette règle comme suit : (i) lorsque l’ensemble des actifs de la société qui transfère son siège demeure affecté à un établissement stable français postérieurement au transfert du siège, il n’y a pas de « transfert d’actifs », donc le transfert de siège est fiscalement neutre ; (ii) lorsqu’une partie des actifs demeure affecté à un établissement stable français postérieurement au transfert du siège, seuls les actifs qui cessent d’être affectés à un bilan français sont soumis à la règle prévoyant l’option entre imposition immédiate et imposition fractionnée ; (iii) lorsqu’aucun établissement stable ne demeure en France, l’ensemble des actifs sont réputés transférés et sont soumis à la règle prévoyant l’option entre imposition immédiate et imposition fractionnée.

L’affectation d’actifs corporels à un établissement stable français ne devrait poser de problème particulier, mais la situation des actifs incorporels pourrait être source de difficultés : suffirait-il d’inscrire ces actifs au bilan d’un établissement stable français ? Que faire s’ils ne figuraient pas au bilan précédemment (par exemple, un fonds de commerce constitué par l’entreprise) ? Même dans ce cas, cette inscription à un bilan français serait-elle opposable si les incorporels sont développés et gérés hors de France ?

La situation des immeubles pourrait également poser une question délicate : si le transfert de siège est accompagné de celui de tous les actifs de la société, sauf évidemment les immeubles, la seule détention de ces immeubles ne devrait pas constituer un établissement stable en France ; cependant, en vertu des conventions fiscales signées par la France, les plus-values immobilières demeurent imposables en France même si le vendeur n’est pas résident en France ; une imposition immédiate de la plus-value latente sur les immeubles ne serait pas justifiée par la répartition du pouvoir d’imposer entre la France et le pays bénéficiant du transfert.

Lorsque le transfert de siège s’accompagne d’un transfert d’éléments d’actifs, l’impôt sur les sociétés calculé à raison des plus-values latentes constatées sur les éléments de l’actif immobilisé transférés et des plus-values en report ou en sursis d’imposition est acquitté dans les deux mois suivant le transfert des actifs :

a) Soit pour la totalité de son montant ;

b) Soit, sur demande expresse de la société, pour le cinquième de son montant. Le solde est acquitté par fractions égales au plus tard à la date anniversaire du premier paiement au cours des quatre années suivantes. Mais l’impôt devient immédiatement exigible lorsqu’intervient, dans le délai de cinq ans, la cession des actifs ou leur transfert dans un État tiers (i.e. hors UE/EEE avec convention) ou la dissolution de la société. L’impôt devient également exigible en cas de non-respect de l’une des échéances de paiement.

Ce nouveau texte, conçu pour rendre conforme le droit français au droit de l’Union européenne, nous paraît n’atteindre qu’imparfaitement son objectif. Il peut en effet être soutenu que l’imposition fractionnée des plus-values non encore réalisées demeure encore disproportionnée au regard de l’objectif légitime poursuivi par le mécanisme, à savoir la préservation par la France du pouvoir d’imposer les plus-values constituées tant que la société était résidente. En outre, le fait que la législation française ne fasse pas de différence en fonction de la nature des actifs transférés donne un argument supplémentaire : si une réévaluation de la base fiscale d’un actif amortissable permettrait de compenser l’imposition de la plus-value en France par un amortissement complémentaire qui serait déductible dans le pays d’accueil, aucun mécanisme comparable ne serait disponible pour des actifs non amortissables fiscalement ; le même obstacle se présenterait d’ailleurs au cas où le pays d’accueil n’accepterait pas la réévaluation pour les éléments d’actif amortissables. En conséquence, les sociétés qui seraient contraintes, à l’occasion du transfert de siège, de payer en tout ou en partie l’impôt sur les plus-values latentes de leur actif immobilisé transféré, pourraient donc envisager de former une réclamation en s’appuyant sur le droit de l’Union européenne.

Les implications pratiques
Néanmoins, même si cette réclamation venait à prospérer, le transfert du siège social d’une société n’est pas nécessairement un outil efficace d’optimisation fiscale : le transfert du siège social d’une société holding tête de groupe pourrait permettre de bénéficier d’un régime d’exonération des plus-values futures sur les titres détenus par la holding plus favorable que le régime des plus-values à long terme français, mais ce transfert n’aurait aucun impact sur le régime fiscal des bénéfices réalisés par les filiales opérationnelles, si celles-ci conservaient leur siège en France. Mais le conserveraient-elles si les dirigeants et mandataires sociaux de la société tête de groupe exerçaient leur activité depuis l’étranger, lieu du nouveau siège ? Pour le savoir, il s’agit d’analyser avec précision les règles de gouvernance des sociétés opérationnelles : dans de nombreux groupes, les filiales ont été constitués ou transformées en Sociétés par Actions Simplifiées dont les statuts prévoient que l’unique organe de gestion est le Président, sans comité de direction, conseil de surveillance ou conseil d’administration. Et si le Président d’une SAS française est non seulement résident à l’étranger, mais y exerce son mandat statutaire, le siège de direction effective de cette SAS française peut alors se trouver à l’étranger.

Cet effet domino serait tout à fait satisfaisant pour les groupes prêts à contester devant les tribunaux la validité du nouvel article 221.2 au regard des règles communautaires. Mais il pourrait constituer une véritable difficulté pour les groupes qui renoncent à transférer leur siège social pour ne pas entraîner l’imposition prévue par l’article 221.2, mais qui décident de transférer certaines fonctions stratégiques à l’étranger. En effet, même si l’administration fiscale française ne l’entend pas toujours de cette oreille, la loi fiscale française ne devrait pas permettre d’imposer un transfert de fonctions hors de France s’il n’est pas accompagné d’un transfert d’actif et s’il ne constitue pas un acte anormal de gestion ; c’est également l’analyse du comité fiscal de l’OCDE en ce qui concerne les réorganisations d’entreprises (chapitre 9 des principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert). Mais si ces fonctions délocalisées sont exercées par des mandataires sociaux de sociétés françaises, il faut donc prendre garde à ce que cette réorganisation n’entraîne pas un transfert du siège effectif de ces sociétés, entraînant ainsi indirectement l’application de l’article 221.2 du CGI. Pour tenter de s’en prémunir, il serait utile d’instaurer des organes de gestion collective se réunissant en France, ce qui permettrait de mettre en évidence que les mandats sociaux sont effectivement exercés en France.

Il n’est pas difficile de comprendre les effets vertueux pour l’économie française de l’article 221.2 du CGI. Décourager l’exil fiscal des entreprises françaises permet de maintenir l’emploi en France et de générer des recettes fiscales qui permettront de limiter le déficit budgétaire. Le législateur pourrait aussi mettre en œuvre des dispositions fiscales qui encourageraient les entreprises françaises à rester en France, et les entreprises étrangères à venir s’y installer. Le crédit d’impôt compétitivité-emploi en est un bon exemple, espérons qu’il soit le signe avant-coureur d’une politique fiscale encore plus ambitieuse.

 

A propos de l’auteur

Stéphane Gelin, avocat associé, spécialisé sur la planification fiscale, les prix de transfert et la fiscalité des fusions-acquisitions pour les multinationales françaises et étrangères.

 

Article paru dans la revue Option Finance du 11 mars 2013

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