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L’impact de la loi Rebsamen sur le contentieux de la discrimination syndicale

L’impact de la loi Rebsamen sur le contentieux de la discrimination syndicale

La loi Rebsamen a renforcé la valorisation des parcours professionnels des élus et des titulaires d’un mandat syndical, en prévoyant notamment des mesures spécifiques visant à s’assurer que leurs fonctions représentatives ne pourront pas être une source de discrimination.

Ce texte a ainsi instauré un mécanisme d’évolution salariale garantie, reposant sur des éléments objectifs, pour les représentants du personnel dont le nombre d’heures de délégation n’atteint pas 30% de leur temps de travail. Au nom du principe d’égalité de traitement, il s’agira donc dorénavant pour les employeurs de faire évoluer de manière uniforme les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l’ancienneté est comparable. La démarche consistant à gommer les éventuels écarts de situation existants entre eux est-elle toutefois de nature à faire diminuer de nombre d’inégalité ? Cette discrimination positive peut-elle vraiment conduire à une baisse du nombre de litiges ?

Un contentieux récurrent

L’article L. 2141-5 du Code du travail « interdit à l’employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d’avancement, de rémunération et d’octroi d’avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail« .

Le principe de non-discrimination ne fait toutefois pas obstacle aux différences de traitement, lorsqu’elles sont justifiées par des éléments objectifs, étrangers à l’exercice du mandat syndical (Cass. soc. 28 septembre 2004, n° 03-42.624, Bull. civ. V, n°227).

En matière de rémunération, si la règle « à travail égal, salaire égal » impose ainsi à l’employeur d’assurer l’égalité de rémunération entre tous les salariés placés dans une situation identique (Cass. soc, 29 octobre 1996, «Ponsolle», n°92-43.680), elle ne s’oppose pas, en revanche, au pouvoir de l’employeur d’individualiser les salaires en fonction des spécificités de chacun.

Mais, dans les faits, et comme en atteste le nombre grandissant de litiges, il est difficile pour l’employeur, notamment lorsqu’il a opté pour une politique d’individualisation des salaires, de satisfaire aux exigences des juges et de justifier les différences de rémunération pratiquées, a fortiori s’agissant de périodes anciennes.

Les apports de la loi Rebsamen

La loi du 17 août 2015 relative au dialogue social a voulu apporter des solutions concrètes en la matière.

Le nouvel article L. 2141-5-1 du Code du travail dispose que :

«En l’absence d’accord collectif de branche ou d’entreprise déterminant des garanties d’évolution de la rémunération des salariés mentionnés aux 1° à 7° de l’article L. 2411-1 et aux articles L. 2142-1-1 et L. 2411-2 au moins aussi favorables que celles mentionnées au présent article, ces salariés, lorsque le nombre d’heures de délégation dont ils disposent sur l’année dépasse 30% de la durée de travail fixée dans leur contrat de travail ou, à défaut, de la durée applicable dans l’établissement, bénéficient d’une évolution de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, au moins égale, sur l’ensemble de la durée de leur mandat, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant cette période par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l’ancienneté est comparable ou, à défaut de tels salariés, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l’entreprise»

(cf. Les nouvelles mesures de valorisation des carrières et des rémunérations des représentants du personnel).

Les avancées

Ce nouvel article a le mérite de donner un mode d’emploi aux entreprises ne disposant pas d’un accord collectif sur le déroulement des carrières de leurs représentants du personnel.

Il simplifie, par ailleurs, la question de l’établissement d’un panel –jugé représentatif aussi bien par la direction que par le salarié concerné– en imposant de ne se référer qu’aux « salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l’ancienneté est comparable« .

Dès lors, il devrait également régler, dans de nombreux cas, la question de l’anonymisation des panels litigieux portés devant les juridictions. Moins les panels représentatifs pourront être remis en cause, et moins les éléments nominatifs et chiffrés utilisés pour les constituer auront besoin d’être dévoilés.

Les limites

A l’inverse, la garantie d’évolution salariale instaurée par la loi Rebsamen pourra cependant être analysée comme annihilant le pouvoir de l’employeur de décider, en opportunité, de l’avancement et de l’augmentation, ou non, de ses salariés.

Les sources d’insatisfaction demeureront dès lors multiples :

  • les employeurs ne disposeront plus d’aucune marge de manœuvre à l’égard des représentants du personnel visés à l’article L. 2141-5-1. Même si ces derniers ne disposent pas des qualités requises pour justifier l’augmentation prévue par ce texte, ils en bénéficieront automatiquement. Cela ne manquera toutefois pas de poser des difficultés en matière de gestion du personnel ;
  • à l’inverse, certains représentants du personnel, bien que concernés par la réforme, pourraient estimer qu’ils méritaient plus que la moyenne des rémunérations accordées aux salariés du panel. Or, l’une des difficultés majeures de ce texte est de privilégier une solution purement arithmétique, au mépris d’une appréciation au cas par cas, à travers des critères tels que les compétences, le comportement, ou l’implication des salariés ;
  • la réforme demeure silencieuse sur le sort des représentants du personnel dont le nombre d’heures de délégation n’atteint pas 30% de leur temps de travail. Or, ce seuil –dont on ignore comment il a été fixé– suppose déjà que l’intéressé cumule entre deux et trois mandats, selon la taille et les pratiques de l’entreprise ;
  • ce mécanisme d’évolution salariale garantie apparait applicable dans le cadre d’une mandature unique. A plus long terme, en revanche, se poseront nécessairement d’autres questions, et notamment celle –non moins importante– de l’évolution de carrière et de classification des représentants du personnel. Or, rares sont les litiges exclusivement consacrés à leur évolution salariale ;
  • ce dispositif ne jouera enfin que pour l’avenir, et laissera donc entier le risque contentieux à valoir sur les situations passées.

Voici autant de limites au principe de discrimination positive prévu par la loi Rebsamen, qui risquent d’empêcher une diminution du nombre de litiges liés à la gestion de carrière des représentants du personnel.

 

Auteurs

Nicolas Callies, avocat associé en droit social

Florence Bonnet-Mantoux, avocat. en droit social

 

L’impact de la loi Rebsamen sur le contentieux de la discrimination syndicale – Article paru dans Les Echos Business le 14 mars 2016
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