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Impact de l’incarcération d’un salarié sur les relations de travail

Impact de l’incarcération d’un salarié sur les relations de travail

Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

Lorsque la vie privée interfère directement sur la vie professionnelle du salarié, l’employeur est relativement libre de rompre les relations contractuelles.

A titre d’illustration, a été admis le licenciement pour faute grave d’un salarié qui avait imprimé, avec le matériel mis à sa disposition par l’employeur, de nombreuses photos à caractère pédopornographique. L’intéressé occupait des fonctions au sein d’un centre de jeunesse qui le mettaient en contact permanent avec des mineurs. De surcroît, les photos avaient été découvertes dans le logement de fonction (relevant de la sphère privée) qu’il occupait dans l’enceinte du centre (Cass.soc, 8 novembre 2011, n°10-23.593).

La situation est plus complexe, en revanche, lorsque les agissements délictueux commis par le salarié dans le cadre de sa vie privée n’ont pas de lien direct avec ses fonctions au sein de l’entreprise.

Un licenciement délicat…

Le salarié bénéficie, d’une part, et tant qu’il n’est pas condamné, de la présomption d’innocence.

Il est en effet désormais acquis que le placement du salarié en détention provisoire alors qu’il est présumé innocent entraîne la suspension du contrat de travail (Cass.soc, 21 novembre 2000, n°98-41.788 ; Cass.soc, 16 septembre 2009, n°08-42.816).

Le salarié bénéficie, d’autre part, de la protection de sa vie privée.

Dès lors que le motif de l’incarcération ne constitue pas un manquement à une obligation contractuelle, l’employeur ne peut pas s’en prévaloir pour procéder au licenciement du salarié.
Ainsi, l’incarcération du salarié n’emporte pas, en tant que telle, la rupture de plein droit du contrat de travail.

… mais pas impossible.

Heureusement, l’employeur n’est toutefois pas totalement démuni face à cette situation.
La protection du salarié atteint ses limites lorsque le motif ou les conditions de l’incarcération sont de nature à créer un trouble dans l’entreprise.

Ce trouble est susceptible d’être caractérisé, notamment et principalement, lorsque les autres collaborateurs de l’entreprise sont indisposés par les agissements commis par leur collègue au point de ne plus vouloir continuer à travailler avec lui.

Il est recommandé à l’employeur, dans une telle hypothèse, de collecter, au préalable, des pièces démontrant les perturbations occasionnées, comme par exemple des menaces écrites de démission émises par certains collaborateurs ou encore, pourquoi pas, une demande officielle des représentants du personnel de ne pas maintenir le salarié concerné dans ses fonctions.

  • A noter toutefois, le fait de porter à la connaissance des membres du personnel, sans motif légitime, les agissements d’un salarié constitue une atteinte à sa dignité et lui cause un préjudice distinct de la perte de son emploi (Cass.soc, 25 février 2003, n°00-42.031).

Naturellement, l’employeur peut lui-même être personnellement et légitimement heurté par les agissements du salarié.

Pour autant, et contre toute attente, les juges du fond ne semblent pas en tenir compte dans leur appréciation du trouble causé dans l’entreprise.

Aussi, dès lors que les collègues du salarié concerné lui apportent leur soutien, le licenciement est délicat à justifier.

Ainsi, a été jugé sans cause réelle et sérieuse le licenciement d’un salarié qui, condamné pour détention et consultation (en dehors de son lieu de travail) d’images à caractère pédopornographique, justifiait avoir reçu des messages d’encouragement de la part de ses collègues et des personnes travaillant sous sa subordination. Les juges ont estimé que le trouble n’était, de ce fait, pas caractérisé (CA Reims, 30 septembre 2015, n°14/02487).

L’atteinte à l’image de la société peut également constituer un trouble justifiant le licenciement du salarié, si l’affaire fait l’objet d’une certaine publicité préjudiciable à l’employeur.

A nouveau, il est souhaitable d’obtenir des plaintes de clients.

En effet, l’argument selon lequel l’entreprise refuse de se voir associée, dans l’esprit collectif, aux agissements graves commis par son salarié ne semble pas toujours suffire pour justifier la rupture des relations contractuelles et ce, même si les faits se déroulent dans une petite commune (CA Reims, 30 septembre 2015, n°14/02487).

Si les pièces en sa possession lui paraissent insuffisantes pour démontrer le ressenti négatif des collaborateurs ou des clients de l’entreprise, l’employeur a toujours la faculté de se référer à des solutions moins subjectives, applicables et efficaces dans d’autres domaines que l’incarcération.
Ainsi, comme en matière d’absence pour maladie, le trouble dans le bon fonctionnement de l’entreprise pourrait résulter de la nécessité de procéder au remplacement définitif du salarié par une embauche en contrat à durée indéterminée (CA Dijon, 26 janvier 2012, n°11/00116).

Le trouble dans le bon fonctionnement de l’entreprise pourrait aussi découler de la façon inadéquate qu’aurait le salarié de gérer cette absence.

A titre d’illustration, la Cour de cassation a récemment admis qu’un salarié placé en détention provisoire commettait une faute grave en ne prévenant pas son employeur de sa situation (Cass.soc, 20 mai 2015, n°13-10.270).

Mais même dans une telle hypothèse, l’employeur n’est pas exempt de toutes diligences.

En effet, en plus de devoir démontrer en quoi le retard pris par le salarié pour l’informer de son absence a effectivement désorganisé le service et/ou en quoi l’incarcération du salarié a porté atteinte à l’image de l’entreprise, l’employeur semble également être tenu de démontrer qu’il a bien mis en demeure le salarié de justifier son absence (Cass.soc, 22 septembre 2015, n°14-15.293).

De la même manière, il est recommandé à l’employeur d’adresser la convocation à l’entretien préalable de licenciement au lieu de détention du salarié afin de lui permettre de s’expliquer sur les faits qui lui sont reprochés.

L’employeur se voit imposer beaucoup de contraintes pour procéder au licenciement du salarié incarcéré, alors même que cette incarcération le place lui-même dans une situation extrêmement délicate vis-à-vis de ses collaborateurs et des clients de l’entreprise. La jurisprudence mériterait d’être assouplie pour mieux tenir compte des difficultés concrètes auxquelles sont confrontés les employeurs dans de telles situations.

 

Auteurs

Nicolas Callies, avocat associé en droit social

Faustine Monchablon-Polak, avocat en droit social

 

Impact de l’incarcération d’un salarié sur les relations de travail – Article paru dans Les Echos Business le 27 avril 2016
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