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Intéressement : pas de contrôle du juge de la validité du cumul d’un contrat de travail et d’un mandat social

Intéressement : pas de contrôle du juge de la validité du cumul d’un contrat de travail et d’un mandat social

Dans un arrêt du 31 janvier 2018 (n°16-20.931), la Cour de cassation décide que tous les salariés, même s’ils sont mandataires sociaux, doivent pouvoir bénéficier de l’intéressement. Les textes n’opèrent en effet pas de distinction parmi les salariés selon qu’ils détiennent ou non un mandat social. Les juges du fond n’ont donc pas à vérifier si les conditions de validité du cumul du contrat de travail et du mandat social sont remplies pour déterminer si le dirigeant est éligible à l’intéressement.


En l’espèce, les faits étaient les suivants : un salarié avait saisi la juridiction prud’homale d’un rappel de prime d’intéressement. Il considérait en effet que les dirigeants de la société avaient perçu indûment de l’intéressement alors qu’ils ne remplissaient pas les conditions pour en bénéficier dès lors que les conditions de cumul entre leur contrat de travail et un mandat social n’étaient pas remplies. L’enveloppe globale d’intéressement aurait donc dû, selon lui, être répartie entre les salariés à l’exclusion des mandataires sociaux et corrélativement, la portion d’intéressement lui revenant aurait dû être plus importante.

Un mandataire social peut-il être bénéficiaire de l’intéressement ?

L’intéressement est un dispositif facultatif permettant d’associer les salariés aux résultats ou aux performances de l’entreprise. Il est caractérisé par son caractère collectif : lorsqu’il est mis en place, tous les salariés de l’entreprise, au sens du droit du travail, doivent pouvoir en bénéficier. Il n’est donc pas possible d’exclure une catégorie de salariés de son bénéfice. Ainsi, par exemple, n’est pas valable l’accord d’intéressement subordonnant le versement de l’intéressement à l’absence de sanction disciplinaire (Cass. soc. 9-3-1995 n°93-13.174). La seule possibilité pour l’accord d’intéressement est de réserver son bénéfice aux salariés ayant une certaine ancienneté (3 mois maximum).

En principe, les mandataires sociaux n’ont pas la qualité de salariés au sens du droit du travail, bien qu’ils soient assimilés à des salariés au sens de la sécurité sociale (sauf dans certains cas spécifiques). Ils ne peuvent donc pas prétendre aux dispositions du droit du travail au titre de leur mandat social et ne sont pas éligibles à l’intéressement.

Il existe cependant une exception à cette règle. La loi prévoit en effet expressément que dans les entreprises employant habituellement entre 1 et 250 salariés, peuvent bénéficier de l’intéressement les chefs de ces entreprises, les présidents, directeurs généraux, gérants ou membres du directoire et le conjoint du chef d’entreprise, s’il a le statut de conjoint collaborateur ou de conjoint associé.
Si la solution ne pose pas de difficulté s’agissant des personnes exclusivement titulaires d’un mandat social, la question est plus délicate dans le cas d’un mandataire social avec lequel a également été conclu un contrat de travail.

La délicate question du cumul mandat social – contrat de travail

En dehors du cas des entreprises de 250 salariés maximum, un mandataire social ne devrait pouvoir bénéficier de l’intéressement que s’il cumule son mandat social avec un contrat de travail.

Ce cumul n’est en principe possible que lorsque certaines conditions sont réunies. Un dirigeant ne peut en effet valablement cumuler un contrat de travail et un mandat social que si (i) le contrat de travail correspond à des fonctions réelles, distinctes des fonctions de direction de la société, (ii) l’intéressé est, pour l’exercice de ses fonctions salariés, placé dans un état de subordination à l’égard de la société, (iii) et bénéficie d’une rémunération pour ses fonctions salariées, distincte de celle éventuellement perçue au titre de sa fonction de mandataire. Si ces conditions ne sont pas réunies, il y aura lieu de considérer soit que le contrat de travail conclu est suspendu pendant la durée du mandat, soit qu’il a fait l’objet d’une novation le transformant en mandat social (Cass. soc., 14 juin 2005 n°02-47320), soit enfin qu’il a un caractère fictif. Dans tous ces cas, les dispositions relatives aux salariés n’ont pas à être appliquées.

Lorsque les conditions du cumul sont réunies, c’est en sa qualité de salarié que le dirigeant peut bénéficier de l’intéressement. Il ne sera donc tenu compte, pour l’application de l’accord d’intéressement, que des rémunérations allouées au titre des fonctions correspondant à ce contrat de travail à l’exclusion de celles se rapportant au mandat social.

Il n’est cependant pas rare que soit allégué et reconnu le caractère fictif du contrat de travail du mandataire social, dans la mesure où la réalité du lien de subordination est souvent difficile à mettre en évidence. En particulier, Pôle emploi refuse régulièrement le bénéfice des allocations de chômage à des dirigeants au motif que les conditions du cumul d’un contrat de travail avec un mandat social ne sont pas remplies.

C’est d’ailleurs l’argument que tentait d’invoquer ici l’intéressé. Il soutenait en effet que les juges du fond auraient dû vérifier si le contrat de travail des dirigeants de la société pouvait valablement être cumulé avec leur mandat. Or, tant le conseil de prud’hommes que la Cour d’appel avaient refusé d’examiner si des fonctions techniques distinctes étaient exercées dans un état de subordination vis-à-vis de la société.

La seule existence d’un contrat de travail justifie le versement d’intéressement à un mandataire social

L’argumentation du demandeur n’a pas non plus été retenue par la Cour de cassation. Selon elle, les juges du fond n’avaient pas à examiner si les conditions du cumul étaient réunies dès lors que l’existence d’un contrat de travail était établie.

Pour la Cour de cassation, l’intéressement a pour objet « d’associer collectivement les salariés aux résultats ou aux performances de l’entreprise sans distinction de ceux qui détiennent ou non un mandat social ». Il n’est donc pas possible d’ajouter des conditions à la loi. Dès lors que le mandataire social est titulaire d’un contrat de travail, il bénéficie, comme tous les autres salariés, de l’intéressement.

La décision prise par la Cour de cassation peut paraitre surprenante dans la mesure où l’URSSAF semble, à l’inverse, encourager un contrôle des conditions du cumul pour vérifier si les primes d’intéressement versées aux mandataires sociaux peuvent bénéficier de l’exonération de cotisations sociales applicable. L’Acoss, dans une circulaire de 1989 (Circ. Acoss n°89-41 du 31 mai 1989), admet ainsi que les dirigeants bénéficient d’une prime d’intéressement à condition que leur contrat de travail les place « dans un état de subordination à l’égard de la société, au moins dans un domaine technique particulier, et prévoit une rémunération distincte de celle de leur fonction de mandataire ».

Sur ce fondement, les cours d’appel de Versailles (CA Versailles, 23 janvier 1996, n°94-22849) et de Paris (CA Paris, 6 mars 1998, n°97-43.230), dans le cadre de contentieux avec les URSSAF, ont d’ailleurs déjà accepté d’opérer un contrôle des conditions du cumul contrat de travail/mandat social, et validé la réintégration dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale de primes d’intéressement versées aux dirigeants, au motif que leur contrat de travail était fictif.

Cette solution est d’autant plus surprenante que la chambre sociale s’est régulièrement prononcée sur la régularité du cumul d’un mandat social et d’un contrat de travail pour déterminer si l’intéressé pouvait prétendre au bénéfice des dispositions applicables aux salariés (indemnité de licenciement, allocation de chômage, etc.).

Néanmoins, l’arrêt du 31 janvier 2018 s’explique très certainement par le fait que toute décision contraire aurait ouvert une possibilité très sérieuse de contestation par les salariés du montant des sommes perçues au titre de dispositifs d’épargne salariale. C’est probablement à cet impératif d’assurer la sécurité juridique de ces derniers que répond la Cour de cassation en retenant qu’il n’y a pas lieu, dans un tel cas, de procéder au contrôle de la validité du contrat de travail conclu avec le dirigeant.

 

Auteur

Charlotte Guirlet, avocat, droit social

 

Intéressement : pas de contrôle du juge de la validité du cumul d’un contrat de travail et d’un mandat social – Article paru dans Les Echos Exécutives le 7 mai 2018

 

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