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Licenciement pour motif économique ou pour inaptitude : l’obligation de reclassement par-delà le «groupe»

Licenciement pour motif économique ou pour inaptitude : l’obligation de reclassement par-delà le «groupe»

De jurisprudence constante, l’employeur qui envisage de licencier un salarié pour motif économique ou pour inaptitude doit, préalablement au licenciement, rechercher au sein du groupe auquel il appartient les possibilités de reclassement susceptibles de lui être proposées.


Quid lorsque l’employeur, bien que n’appartenant pas à un «groupe» au sens du droit commercial, appartient néanmoins à un réseau tel qu’un réseau de franchises ?

L’identification du périmètre de reclassement constitue un enjeu de taille.

En effet, le manquement à l’obligation de reclassement a pour conséquence de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse et d’exposer l’employeur au versement de dommages et intérêts.

Si la jurisprudence rappelle systématiquement que les recherches de reclassement doivent être effectuées au niveau du «groupe», la délimitation du périmètre de reclassement continue de susciter des interrogations, en particulier en présence d’une entreprise qui, bien que ne faisant pas partie d’un groupe au sens capitalistique du terme, appartient néanmoins à un réseau commercial, tel que, par exemple, un réseau de «franchises».

La permutabilité du personnel, critère du groupe de reclassement

Le critère de délimitation du «groupe de reclassement» a été énoncé pour la première fois dans un arrêt dit «Videocolor» du 5 avril 1995, dans lequel la Cour de cassation a affirmé le principe selon lequel «les possibilités de reclassement des salariés doivent être recherchées à l’intérieur du groupe parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation leur permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel».

Dans un premier temps, cette jurisprudence a été interprétée comme imposant de définir le périmètre de reclassement en deux étapes consistant tout d’abord à caractériser l’existence d’un groupe de sociétés – au sens commercial du terme – puis à déterminer celles des sociétés parmi lesquelles la permutation des salariés était possible.
Seul ce «sous-groupe» devait être considéré comme le périmètre de reclassement.

Toutefois, la Cour de cassation s’est progressivement affranchie de la notion de groupe au sens du droit commercial pour ne plus retenir, comme critère permettant de définir le périmètre de l’obligation de reclassement, que la seule «permutabilité des salariés».

Ainsi, l’existence de liens capitalistiques n’apparaît désormais ni suffisante, ni nécessaire pour caractériser le périmètre de reclassement.

Il en résulte par exemple qu’au sein d’un réseau de franchises, les employeurs ne sauraient s’exonérer de leur obligation de rechercher des solutions de reclassement au-delà de leur seule société en s’abritant derrière l’existence d’un contrat de franchise.

Dans ce type de réseau, le franchisé qui entend s’exonérer de rechercher des solutions de reclassement au sein des autres entreprises doit rapporter la preuve de cette absence de permutabilité (Cass. Soc, 10 déc 2014 n°13-18.679).

La Cour de cassation l’a rappelé à plusieurs reprises en indiquant que «l’activité dans le cadre d’un réseau de franchises ne suffit pas à démontrer l’absence de possibilités de permutation du personnel».

Comment caractériser la permutabilité du personnel ?

La permutabilité du personnel résulte en pratique d’un faisceau d’indices.

En premier lieu, la permutabilité du personnel sera aisément établie si le constat peut être fait d’une permutation effective de tout ou partie du personnel (Cass. Soc. 7 février 2009 n°08-40689, Cass. Soc. 20 février 2008, n°06-45335). Ainsi, s’il peut être établi que, par le passé, des salariés ont été transférés d’une société à une autre, ou encore si le contrat de travail prévoit lui-même la possibilité d’exercer son activité au sein d’autres sociétés du groupe ou du réseau, ces éléments pourront être mis en exergue pour caractériser l’existence d’une permutabilité du personnel.

A défaut, les magistrats recherchent si une telle permutation est possible et s’attachent, pour ce faire, à analyser non seulement les termes du contrat (de franchise, de concession ou autre) mais aussi et surtout sa mise en œuvre effective et les relations existant, dans les faits, entre les différentes entités du réseau.

A titre d’exemple, il a ainsi été jugé que, dès lors que l’objet du réseau de franchisés se rapportait exclusivement à l’utilisation de la marque, la fourniture d’une assistance en matière de gestion technique, financière et comptable et la prise de participation dans d’autres sociétés, l’employeur qui n’avait pas étendu ses recherches de solutions de reclassement au réseau n’avait néanmoins pas manqué à son obligation (CA Toulouse, 24 mai 2012, n°11/00681).

A l’inverse, plusieurs arrêts ont, au vu des relations existant dans les faits entre les sociétés d’un même réseau, imposé d’étendre les recherches de solutions de reclassement au périmètre de celui-ci.

Ainsi, la Cour de cassation, dans un arrêt du 19 février 2014, a considéré que l’employeur qui n’avait pas étendu ses recherches aux autres sociétés du réseau de franchise avait manqué à son obligation de reclassement alors que «les entreprises membres du groupement Intermarché étaient liées par des intérêts communs, entretenaient des relations étroites notamment par l’intermédiaire de la société qui leur consent la franchise et que leur communauté notamment d’organisation, d’objectifs, d’approvisionnement et de politiques commerciales assurait entre elles la permutabilité de leur personnel dont témoignait d’ailleurs le fait que le salarié ait pu assurer la direction de sept magasins du groupement en un peu plus de cinq ans».

Plus récemment, la cour d’appel de Toulouse a eu à se prononcer sur la situation d’une salariée d’un restaurant Mc Donald’s (CA Toulouse, 9 octobre 2015 n°13-05919) licenciée pour inaptitude, et qui contestait son licenciement au motif que l’employeur n’avait pas recherché les possibilités de reclassement au sein des autres entreprises du réseau.

Pour accueillir favorablement la demande de la salariée, la Cour d’appel a relevé d’une part, que l’employeur n’avait apporté aucune réponse à l’argument soulevé par la salariée consistant dans l’existence une politique de formation commune, et, d’autre part, que plusieurs autres restaurants à enseigne Mac Donald’s étaient implantés notamment dans les départements voisins de celui dans lequel était établi l’employeur. Elle en déduit, faute pour l’employeur d’apporter la preuve contraire, l’existence d’une permutabilité des salariés.

Le périmètre de reclassement au sein d’un réseau : une appréciation au «cas par cas»

Au regard de ce qui précède, force est de constater que l’étendue de l’obligation de reclassement au sein d’un réseau commercial (de franchises ou autre) ne peut être résolue qu’au cas par cas, en fonction du degré d’intégration des différentes sociétés entre elles.
Ainsi, tout élément permettant par exemple de démontrer l’existence d’une politique commerciale ou, plus encore, de ressources humaines commune aux entités du réseau sera de nature à favoriser la reconnaissance d’une «permutabilité» du personnel et à étendre le périmètre du reclassement.

En pratique, la prudence commande donc aux sociétés appartenant à un réseau (tel qu’un réseau de franchise) d’élargir le périmètre de reclassement aux autres sociétés de celui-ci. A défaut, ou dans l’hypothèse où toutes les sociétés du réseau n’auraient pas été contactées, il conviendra de pouvoir justifier, par tout moyen (analyse du contrat de franchise, examen des relations existant avec les autres membres du réseau, existence de politiques communes, etc.), de l’absence de permutabilité des salariés.

Quoi qu’il en soit, il est à craindre que cette tendance jurisprudentielle consistant à étendre le périmètre de reclassement à des structures totalement indépendantes juridiquement, pour vertueux qu’ait été son objectif, se révèle néanmoins peu efficace en pratique, dès lors que rien n’impose ni en droit ni en fait aux sociétés concernées de répondre à l’employeur qui recherche une solution de reclassement.

 

Auteur

Florence Habrial, avocat en droit du travail et droit de la protection sociale

 

Licenciement pour motif économique ou pour inaptitude : l’obligation de reclassement par-delà le «groupe» – Article paru dans Les Echos Business le 15 février 2016

 

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