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Mise à disposition des livres indisponibles : un mécanisme trop audacieux pour la CJUE

Mise à disposition des livres indisponibles : un mécanisme trop audacieux pour la CJUE

Comment rendre accessibles les livres indisponibles1 du XXe siècle, non exploités mais encore protégés par le droit d’auteur ? Cette question semblait avoir été résolue en France par la loi n°2012-287 du 1er mars 2012 (ci-après la « Loi ») et ses décrets d’application.

En application de ces textes, a été créée, sous la responsabilité de la Bibliothèque nationale de France, une base de données publique en ligne intitulée ReLire qui répertorie l’ensemble des livres indisponibles du XXe siècle. En l’absence d’opposition manifestée par les auteurs et éditeurs concernés, l’exercice des droits numériques correspondants est automatiquement transféré à la Sofia, société de gestion collective, à charge pour celle-ci de reverser aux auteurs les éventuelles redevances perçues.

Toutefois, par une décision du 16 novembre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a partiellement invalidé ce dispositif (CJUE, 16 novembre 2016, C-301/15, Sara Doke c/ Premier ministre et Ministre de la Culture et de la Communication).

Deux auteurs d’œuvres littéraires, Monsieur Soulier et Madame Doke, ont en effet saisi le Conseil d’Etat aux fins d’annuler le décret prévoyant les modalités d’exploitation numérique des livres indisponibles2 au motif que le mécanisme prévu constituerait une exception ou une limitation au droit de reproduction qui ne figure pas parmi les limitations et exceptions exhaustivement énumérées par la directive européenne 2001/29 du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (ci-après la « Directive »). Le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la CJUE.

Celle-ci rappelle que sous réserve des exceptions et limitations prévues par la Directive, toute utilisation d’une œuvre effectuée par un tiers implique le consentement préalable de l’auteur, explicite ou implicite. Toutefois, selon la CJUE, l’auteur « doit être effectivement informé de la future utilisation de son œuvre par un tiers et des moyens mis à sa disposition en vue de l’interdire s’il le souhaite ».

En l’espèce, en l’absence d’ »information effective et individualisée » de chacun des auteurs, la Cour estime qu’ « il n’est […] pas exclu que certains […] n’aient en réalité pas même connaissance de l’utilisation envisagée de leurs œuvres, et donc qu’ils ne soient pas en mesure de prendre position, dans un sens ou dans un autre, sur celle-ci. Dans ces conditions, une simple absence d’opposition de leur part ne peut pas être regardée comme l’expression de leur consentement implicite à cette utilisation ».

La Cour invalide également le mécanisme soumettant le droit d’opposition de l’auteur à la condition, soit que l’auteur agisse d’un commun accord avec son éditeur, soit qu’il rapporte la preuve qu’il est le seul titulaire des droits sur le livre indisponible concerné.

Cette décision, qui illustre la difficile atteinte d’un équilibre entre valorisation du patrimoine et droit d’auteur, devrait prochainement engendrer une révision du régime de mise à disposition des livres indisponibles en vigueur depuis 2012.

Notes

1 Un livre est qualifié d’indisponible lorsqu’il a été publié en France avant le 1er janvier 2001 et ne fait plus l’objet ni d’une diffusion commerciale ni d’une publication sous une forme imprimée ou numérique. Cette notion se distingue donc de celle d’œuvre tombée dans le domaine public, dont la durée de protection par le droit d’auteur est parvenue à terme.
2 Décret n°2013-182 du 27 février 2013 portant application des articles L.134-1 à L.134-9 du Code de la propriété intellectuelle et relatif à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle.

Auteur

Sabine Rigaud, avocat, droit de la propriété intellectuelle

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