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Opérations de restructuration : quand l’Europe s’en mêle

Opérations de restructuration : quand l’Europe s’en mêle

Le second projet de loi de finances rectificative pour 2017, tel qu’adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat, prévoit d’importantes modifications1 qui devraient faciliter les réorganisations d’entreprises, notamment transfrontalières.


Réagissant à la jurisprudence Euro Park Service (CJUE 1e ch. 8-3-2017 aff. 14/16, Euro Park Service ; CE 9e-10e ch. 26-6-2017 no 369311, Sté Euro Park Service), le législateur entend mettre en conformité les dispositions du code général des impôts relatives aux opérations de restructurations avec le droit de l’Union européenne.

Pour mémoire, la jurisprudence EuroPark Service concernait la dissolution sans liquidation d’une société française au profit de sa société mère luxembourgeoise. L’administration fiscale française avait refusé le report de l’imposition des plus-values afférentes aux actifs transmis au motif que l’agrément préalable prévu à l’article 210 C du CGI n’avait pas été sollicité. Par l’arrêt précité du 8 mars 2017, la CJUE a jugé non-conforme ce processus d’agrément préalable avec l’article 11, 1-a de la Directive « Fusions » (90/434/CE, aujourd’hui article 15, 1-a de la Directive « Fusions » 2009/133/CE) et avec la liberté d’établissement (article 49 TFUE).

1. Suppression des procédures d’agrément pour les opérations dans le champ de la Directive

L’agrément préalable ne serait plus nécessaire pour placer sous le régime de faveur des fusions les opérations d’apport (fusions, scissions, apports partiels d’actifs) faits par des sociétés françaises à des sociétés étrangères situées dans l’Union européenne ou dans un Etat avec lequel la France a signé une convention fiscale contenant une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. Le législateur supprimerait ainsi une procédure dont les modalités d’application méconnaissaient, selon la CJUE, l’exigence de sécurité juridique nécessaire pour assurer sa conformité à la Directive « Fusions » et qui instauraient une présomption générale de fraude ou d’évasion fiscales.

L’administration s’est cependant réservé des possibilités de contrôle renforcé. La société française apporteuse serait tenue de souscrire, dans le même délai que sa déclaration de résultat de l’exercice de réalisation de l’opération, une déclaration permettant d’apprécier les motifs et conséquences de l’opération. Le contenu de cette déclaration serait fixé par décret. Le non-respect de cette obligation déclarative serait sanctionné par une amende de 10 000 euros par opération.

L’agrément préalable ne serait plus non plus nécessaire pour les attributions aux associés des titres remis en contrepartie d’un apport sous le régime spécial des fusions réalisées dans le délai d’un an. Le législateur anticipe et corrige ici une procédure également en contrariété avec la Directive qui prévoit la neutralité fiscale de ces attributions dans le cadre des scissions partielles. Comme aujourd’hui, la société apporteuse devrait conserver au moins une branche complète d’activité après l’apport

2. L’introduction d’une clause anti-abus générale

En contrepartie de la suppression des conditions de délivrance des agréments, une clause anti-abus générale serait introduite et reprendrait les termes exacts de l’article 11, 1-a de la Directive. Les opérations de fusion, de scission ou d’apport partiel d’actif, internes ou transfrontalières, qui auront comme objectif principal ou comme un de leurs objectifs principaux la fraude ou l’évasion fiscales ne pourront se faire en neutralité fiscale. Une présomption simple de non-respect de cette condition serait constituée lorsque l’opération ne serait pas réalisée pour des motifs économiques valables, tels que la restructuration ou la rationalisation des activités des sociétés participant à l’opération. Cette présomption pourrait être combattue dans le cadre d’une procédure de contrôle contradictoire.

Une procédure de rescrit permettrait au contribuable de bonne foi de s’assurer de la non-remise en cause a posteriori de leurs opérations sur le fondement de la clause anti-abus générale. Le bureau des agréments et rescrits devrait continuer à être sollicité.

3. La condition de rattachement des actifs transmis à un établissement stable

La condition de rattachement des actifs à un établissement stable français de la société étrangère, requise aujourd’hui par le bureau des agréments et rescrits dans le cadre de l’agrément préalable 210 C, serait légalisée. Le législateur assure ainsi l’imposition en France des plus-values sur les actifs transmis et fait écho aux dispositions de l’article 4, 2-b de la Directive « Fusions » qui prévoient le rattachement à un établissement stable des éléments transmis par suite de la fusion, de la scission ou de la scission partielle.

4. Les apports de titres assimilés grandement facilités

Les apports de titres assimilés à une branche complète d’activité ne seraient toutefois pas concernés par la condition de rattachement à un établissement stable dans la mesure où ils n’emportent pas systématiquement un tel rattachement. La Directive ne le prévoit d’ailleurs pas. Ainsi, à l’exception de la déclaration spécifique sur les motifs et conséquences de l’opération transfrontalière, les mêmes règles que celles relatives aux opérations internes d’apport de titres assimilés à une branche complète d’activité devraient s’appliquer aux opérations transfrontalières d’apport de titres assimilés. C’est l’une des grandes avancées de ce projet de loi que de mettre fin à la politique d’engagement subordonné développé par le bureau des agréments et rescrits dans le cadre du régime actuel d’apport de participations à des sociétés étrangères.

De plus, la définition d’apports de titres assimilés serait étendue afin de comprendre les opérations d’apport de titres venant renforcer une participation majoritaire déjà détenue par la société bénéficiaire. La condition de conservation des titres remis en contrepartie de l’apport pendant 3 ans serait supprimée et c’est là aussi une avancée importante puisque l’engagement de conservation ne souffrait aucune dérogation même si sa rupture était motivée par des raisons économiques. Enfin, le calcul des plus-values de cession ultérieure des titres par rapport à la valeur fiscale originelle des éléments transmis ne serait plus une condition d’application du régime mais une règle d’assiette en cas de cession future des titres.

5. Procédure d’agrément applicable pour les opérations hors champ de la Directive

La procédure d’agrément préalable resterait applicable pour les opérations qui ne répondraient pas à la définition de branche complète ou d’éléments assimilés ou, s’agissant des attributions de titres, lorsque la société apporteuse ne disposerait d’aucune branche complète après apport. La délivrance de l’agrément supposerait de démontrer le motif économique de l’opération, le respect des conditions de l’article 210-0 A (notamment la clause anti-abus) et que l’imposition future des plus-values mises en sursis est assurée. La loi et la pratique du bureau des agréments et rescrits ne devraient donc pas être modifiées sur ce point. L’engagement de conservation pendant trois ans des titres remis en contrepartie de l’apport serait ici réintroduit : le texte de loi précise que l’association entre les parties pourrait être formalisée par un tel engagement.

6. L’impact des dispositions du projet de loi reste toutefois à préciser sur certains aspects, notamment :

En cas d’apport par une société étrangère à une société française (cas de la filialisation d’un établissement stable situé en France), l’application du régime fiscal de faveur est autorisée si la société étrangère peut valablement s’engager à conserver pendant trois ans les titres rémunérant l’apport partiel d’actif et à calculer les plus-values réalisées lors de leur cession ultérieure par rapport à la valeur que les biens apportés avaient dans ses écritures. L’administration fiscale exigeait jusqu’à présent, lorsque la convention fiscale n’attribue pas à la France le droit d’imposer la plus-value sur les titres, que ces derniers soient apportés à une société holding française. Compte tenu des modifications apportées au projet de loi, ces conditions – qui paraissent contestables au regard de la jurisprudence de la CJUE et de la Directive « Fusions » de 2009 – ne devraient plus être requises. Cette position devra être validée par l’administration fiscale.

L’article 210 B bis du CGI qui prévoit la reprise des engagements de conservation en cas de restructurations ultérieures également placées sous le régime spécial de faveur serait logiquement abrogé puisque l’engagement de conservation disparaît. Rien n’est cependant prévu s’agissant des engagements antérieurs qui continuent à courir ni des conséquences de restructurations impactant des engagements encore en cours à la date d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions. L’administration devra aussi préciser ce point.

Note

1 A l’article 14 du projet de loi. Le résultat des travaux de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions du projet de loi restant en discussion a été déposé le 18 décembre.

 

Auteurs

Edouard Milhac, avocat associé, fiscalité internationale

Agathe d’Aubigny, avocat fiscalité internationale

 

Opérations de restructuration : quand l’Europe s’en mêle – Article paru dans le magazine Option Finance le 8 janvier 2018
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