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La réserve héréditaire ne fait pas partie de l’ordre public international français

La réserve héréditaire ne fait pas partie de l’ordre public international français

Dans deux décisions du 27 septembre 2017, la Cour de cassation considère que la réserve héréditaire, l’une des pierres angulaires de notre droit successoral, ne fait pas partie de l’ordre public international français. Dans une situation internationale, la loi étrangère applicable à la succession ne saurait donc être écartée par le juge français au seul motif qu’elle ne connaît pas la réserve. Dès lors, les nationaux étrangers qui vivent en France ou les français qui s’installent à l’étranger ont potentiellement plus de liberté testamentaire que les français résidant sur notre sol.

Contenu des décisions du 27 septembre 2017

Les faits dans les deux décisions étaient similaires. Un français est installé depuis plusieurs dizaines d’années aux Etats-Unis. Il constitue sur place un trust au profit de sa dernière épouse. Son patrimoine est composé de biens situés aux Etats-Unis et en France. A son décès, en raison de la création du trust, ses enfants français n’ont pas de droits sur les actifs successoraux : ils se voient privés du droit successoral minimum, appelé réserve héréditaire, auquel ils pouvaient prétendre si la loi française était applicable. Ils contestent alors devant les tribunaux les dispositions prises par le défunt.

Les enfants soutiennent notamment que la loi désignée par la règle française de conflit de lois, à savoir la loi successorale de Californie, loi du dernier domicile du défunt, est contraire à l’ordre public international français car elle ignore la réserve. La Cour de cassation écarte cet argument pour le motif suivant : « attendu qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels » et la Cour d’ajouter que : « les parties ne soutiennent pas se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin ».

Portée des décisions du 27 septembre 2017

La Cour de cassation tranche un débat doctrinal entre les partisans de l’application de la réserve héréditaire dans l’ordre international et ceux qui souhaitent voir limiter son application à l’ordre public interne. Elle affirme clairement que la réserve héréditaire ne fait pas partie de l’ordre public international français.

La réforme du droit des successions du 23 juin 2006 avait déjà fragilisé le principe de la réserve héréditaire en accordant aux futurs héritiers la faculté de renoncer à l’avance à leur droit réservataire. En outre, l’adoption du règlement européen n°650/2012 du 4 juillet 2012 sur les successions, qui permet désormais de déterminer la loi applicable à une succession internationale, a participé à la limitation de la portée de la réserve héréditaire française à l’échelle internationale. Le règlement prévoit que la loi étrangère désignée ne peut être écartée que si elle est « manifestement » incompatible avec l’ordre public international de l’Etat dans lequel cette loi doit être appliquée. Les travaux parlementaires mettent en évidence la volonté du législateur européen d’éviter la mise à l’écart de la loi étrangère désignée par le règlement européen au seul motif qu’elle ignore la réserve héréditaire.

Dans les arrêts de 2017, la Cour de cassation a néanmoins posé trois limites à l’application d’une loi étrangère ignorant la réserve :

  • L’absence de réserve ou sa limitation ne doit pas s’accompagner de la violation d’un principe du droit français considéré comme essentiel, comme par exemple l’absence de discrimination fondée sur le sexe ou sur la religion.
  • L’application de la loi étrangère ne doit pas résulter d’une fraude. Dans les deux décisions, la Cour de cassation prend soin de rappeler avec précision les faits et notamment l’installation ancienne et durable du défunt aux Etats-Unis, pour justifier l’application de loi de l’Etat du dernier domicile du défunt (loi applicable au moment des faits, antérieurs à l’adoption du règlement européen du 4 juillet 2012).
  • Les enfants, qui n’auront pas reçu l’équivalent de la réserve héréditaire reconnue par le droit français, ne doivent pas être dans une situation de précarité économique ou de besoin. A l’échelle internationale, la Cour de Cassation semble ainsi accorder à la réserve héréditaire une simple fonction alimentaire, déconnectée de sa nature originelle.

Ces trois limites, à analyser au cas par cas, donnent une place centrale à l’appréciation des juges du fond. On peut cependant penser que les cas d’application de ces limites seront assez rares. Dès lors, les personnes qui peuvent potentiellement s’affranchir du respect de la réserve héréditaire française sont les suivantes :

  • Les français qui s’installent durablement à l’étranger, dans un Etat dont la loi successorale ne prévoit pas la réserve. En effet, le règlement européen n°650/2012 du 4 juillet 2012 prévoit que la loi applicable à une succession internationale est la loi de l’Etat de la dernière résidence habituelle du défunt.
  • Les nationaux étrangers qui vivent en France, si leur loi nationale ignore la réserve, puisque le règlement européen précité permet de déroger au critère de rattachement applicable par défaut (loi de la dernière résidence habituelle) en désignant la loi de l’Etat de la nationalité du défunt.

Les intéressés doivent donc être avertis par leurs conseils de cette faculté et de ses limites.

 

Auteur

Grégory Dumont, avocat counsel, droit du patrimoine.

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