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La rupture conventionnelle : suite… et fin ?

L’arrêt de la Cour de cassation du 26 mars 2014 et les nouvelles règles concernant l’assurance chômage, vont a priori conduire à une diminution du nombre de ruptures conventionnelles.


Le premier trimestre de l’année 2014 a été riche d’apports en ce qui concerne la rupture conventionnelle. Dans une décision en date du 15 janvier 2014 puis dans une série d’arrêts rendus le 29 janvier 2014 – tous favorables aux employeurs – la Cour de cassation a clarifié certaines difficultés pratiques. Moins de deux mois plus tard, la même Cour de cassation, dans une décision en date du 26 mars 2014, a fixé les conditions – assez drastiques – dans lesquelles une transaction est susceptible d’intervenir, concomitamment à la rupture conventionnelle. Cette décision, ajoutée aux nouvelles règles de l’assurance chômage applicables à compter du 1er juillet 2014, est susceptible de marquer un coup d’arrêt à la conclusion de ruptures conventionnelles, dans un contexte où le nombre de conventions est déjà en déclin.

1. Rappel des principes jurisprudentiels récemment définis par la Cour de cassation

a/ L’apport de l’arrêt du 15 janvier 2014

La Cour de cassation a été amenée, dans une affaire qu’elle a tranchée le 15 janvier 2014, à se prononcer sur la légitimité d’une convention de rupture conventionnelle intervenue dans un contexte où l’employeur a notifié deux sanctions disciplinaires au salarié au cours des six mois précédant la signature de la convention de rupture conventionnelle, puis a formulé de nouveaux reproches à l’intéressé concernant l’exécution de ses fonctions, avant de le convoquer à deux entretiens pour évoquer l’éventualité d’une rupture conventionnelle. Pour la Haute Cour, l’existence, au moment de sa conclusion, d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture. Ce faisant, elle a confirmé une précédente décision rendue le 23 mai 2013.

b/ L’apport des arrêts de la Cour de Cassation du 29 janvier 2014

Dans 4 décisions qu’elle a rendues le 29 janvier 2014, la Cour de Cassation a apporté un éclairage important sur plusieurs situations factuelles.

  • L’erreur concernant le délai de rétractation de 15 jours

En premier lieu (arrêt n°12-24.539), elle a estimé que l’erreur commise dans une convention de rupture, concernant la date d’expiration du délai permettant aux parties de se rétracter (dans cette espèce il était fait mention d’un délai inférieur au délai légal de 15 jours) n’entraînait pas la nullité de la convention de rupture conventionnelle, à moins que cette erreur ait eu pour effet de vicier le consentement de l’une des parties, ou de la priver de la possibilité d’exercer son droit à rétractation, ce qui n’était pas le cas dans cette affaire. La cour de Montpellier, précédemment saisie de ce dossier, avait pour sa part jugé que l’erreur ainsi commise ne constituait pas une irrégularité de nature à faire produire à la convention de rupture les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

  • La date à laquelle l’employeur peut délier le salarié de son obligation de non-concurrence

Dans une seconde affaire, un salarié avait signé une convention de rupture conventionnelle avec son employeur. Son contrat de travail prévoyait une clause de non-concurrence susceptible d’être déliée par l’employeur «au plus tard dans les quinze jours suivant la première présentation de la notification de la rupture de son contrat de travail». Il s’agissait alors de déterminer, au cas spécifique de la convention de rupture conventionnelle, à quelle date se situe la rupture du contrat de travail. La Cour de cassation a estimé (arrêt n°12-22.116) qu’en application de l’article L 1237-13 du code du travail, la date de rupture est celle qui est fixée par les parties dans la convention de rupture, laquelle ne peut être antérieure au lendemain du jour de l’homologation par la DIRECCTE. De telle sorte que le délai de 15 jours permettant à l’employeur de délier le salarié de son obligation de non-concurrence a pour point de départ la date de rupture fixée dans la convention.

  • L’absence de mention concernant la faculté pour le salarié de se faire assister par un conseiller extérieur

Dans une troisième affaire (arrêt n°12-27.594) l’employeur, non doté de représentants du personnel, a omis de préciser dans le courrier de convocation du salarié à l’entretien au cours duquel devait être signée la convention de rupture conventionnelle, qu’il avait la possibilité de se faire assister, outre par un membre du personnel de son choix, par un conseiller extérieur inscrit sur une liste établie par le préfet et consultable à la Mairie comme à l’inspection du travail. Le salarié s’est présenté à l’entretien dûment assisté par son supérieur hiérarchique, lequel était par ailleurs actionnaire de l’entreprise. La Cour de cassation a estimé en premier lieu que l’absence de mention concernant le conseiller extérieur n’a pas pour effet d’entraîner la nullité de la convention de rupture en dehors des conditions de droit commun. Elle a jugé en second lieu que le choix du salarié de se faire assister lors de cet entretien par son supérieur hiérarchique, qu’il soit titulaire ou non d’actions de l’entreprise, n’affecte pas la validité de la rupture conventionnelle. A cet égard, la Haute Cour a relevé d’une part que le salarié a été assisté à sa demande par son supérieur hiérarchique, et d’autre part qu’aucune pression n’a été exercée sur lui pour l’inciter à consentir à la convention de rupture. De telle sorte que le salarié n’a été victime d’aucun vice du consentement.

  • L’absence d’information du salarié concernant la possibilité qui lui est offerte de contacter le service public de l’emploi

Dans la dernière affaire (arrêt n°12-25.951), le salarié faisait grief à son employeur de ne pas l’avoir informé de la possibilité qui lui est offerte de prendre les contacts nécessaires, notamment auprès du service public de l’emploi, pour être en mesure d’envisager la suite de son parcours professionnel avant tout consentement, comme le prévoit l’article 12 de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008. Selon ce même salarié, l’inobservation de cette formalité, selon lui essentielle et destinée à garantir la liberté de son consentement, justifiait l’annulation de la rupture conventionnelle. La cour d’appel de Versailles, puis la Cour de Cassation, ont estimé pour leur part que cette formalité n’était pas substantielle et ne pouvait donner lieu à annulation de la rupture conventionnelle, ce d’autant qu’en l’espèce le salarié a mis en avant un projet de création d’entreprise. De telle sorte que sa liberté de consentement n’a pas été altérée.

2. Le premier coup porté à la rupture conventionnelle : l‘arrêt de la Cour de cassation du 26 mars 2014

En cas de rupture conventionnelle du contrat de travail, les parties – et en particulier l’employeur – ont parfois intérêt, singulièrement lorsque le quantum de l’indemnité allouée est important – à sécuriser l’opération et à signer une transaction, afin de mettre un terme définitif à tous litiges.

Le principe même de la transaction, qui suppose l’existence d’un litige auquel il est mis fin par les parties, peut paraître contradictoire avec la convention de rupture conventionnelle qui sous-tend au contraire un climat paisible entre les parties, et donc en principe l’absence de litige(s) entre eux. Les décisions précitées de la Cour de cassation des 23 mai 2013 et 15 janvier 2014 (autorisant la conclusion d’une rupture conventionnelle dans un contexte conflictuel) permettent d’atténuer cette contradiction. La signature d’une transaction est donc possible.

Toutefois, dans un arrêt en date du 26 mars 2014, abondamment commenté, la Cour de cassation a jugé que la transaction – conclue entre le salarié et l’employeur concomitamment à la rupture conventionnelle du contrat de travail – doit obéir aux deux conditions cumulatives suivantes :

  • en premier lieu, elle doit impérativement intervenir postérieurement à l’homologation de la convention par la DIRECCTE ou, s’agissant d’un salarié protégé, postérieurement à la notification aux parties de l’autorisation par l’Inspection du travail de la rupture conventionnelle
  • en second lieu, elle doit avoir pour objet de régler un différend portant non pas sur la rupture du contrat de travail, mais sur son exécution ; elle doit en outre viser des éléments de litiges non compris dans la convention de rupture.

En d’autres termes, s’agissant plus spécifiquement du second point, la transaction ne peut porter sur la rupture ou les conditions de la rupture du contrat de travail.

Seules des problématiques telles que des rappels de salaire, le paiement d’heures supplémentaires, la discrimination, le harcèlement moral, etc… peuvent être abordées, ce qui limite l’intérêt de la transaction lorsqu’un litige de cette nature n’existe pas entre les parties. L’employeur peut tout simplement faire le choix de verser au salarié une indemnisation élevée – qu’il veut sécuriser par une transaction – aux seules fins de remercier le salarié des services qu’il a rendus à l’entreprise, ou tout simplement tenir compte de la forte ancienneté qui a été la sienne dans l’entreprise.

Les parties peuvent par ailleurs ne pas vouloir ranimer la flamme de sujets les ayant opposés, et dont précisément la rupture conventionnelle a pu se présenter comme l’aboutissement salvateur, aussi bien pour le salarié que pour l’employeur.

Transiger sur un point concernant l’exécution du contrat de travail n’est enfin pas sans risque social et fiscal, l’URSSAF et l’administration fiscale pouvant être tentées de considérer que la somme allouée au salarié, qui sera généralement qualifiée de «dommages et intérêts transactionnels», s’apparente en réalité en un «salaire déguisé».

Il y a donc lieu, pour éviter toute mauvaise surprise ultérieure, de soigner la rédaction de la transaction et de ne conclure cette dernière qu’à compter du lendemain de la réception de l’homologation de la DIRECCTE en cas de décision expresse de cette dernière, ou de l’issue du délai de 15 jours visé par la loi en cas d’absence de réponse de celle-ci.

3. Les nouvelles règles concernant l’assurance chômage applicables au 1er juillet 2014 : le coup de grâce porté à la rupture conventionnelle ?

Comme cela a été récemment évoqué (« Nouvelle convention d’assurance chômage : quels enjeux pour les entreprises » – Marie-Pierre Schramm), les partenaires sociaux viennent de conclure une nouvelle convention d’assurance chômage qui, sans nul doute, va considérablement limiter l’intérêt des salariés à conclure une rupture conventionnelle.

En effet, à compter du 1er juillet 2014, le délai de carence qui sera observé avant la perception effective des allocations chômage par le salarié bénéficiant d’une indemnité supérieure au minimum légal – qui était jusqu’alors plafonné à 75 jours – va passer à 180 jours. Etant précisé que ce délai de carence s’ajoute à celui afférent au nombre de jours de congés payés non pris par le salarié et au délai d’attente de 7 jours. Au surplus, ce délai de carence sera dorénavant calculé en divisant le montant de l’indemnité supra-légale par 90 (chaque fraction de 90 euros de l’indemnité supra légale donnera lieu à une journée de carence). Ces nouvelles règles vont pénaliser certains salariés qui, du seul fait qu’ils justifient d’une forte ancienneté, vont bénéficier d’une indemnité spéciale de rupture conventionnelle élevée … et donc subir un délai de carence important…

Au regard de ces nouveaux principes, il y a tout lieu de penser que le nombre de ruptures conventionnelles va significativement augmenter au cours des prochaines semaines, pour «flancher» après le 1er juillet 2014. Certains auteurs annoncent même la mort de ce mode de rupture du contrat de travail, qui a pourtant donné jusque-là entière satisfaction aussi bien aux salariés (qui percevaient jusqu’alors une indemnité spéciale de rupture – équivalente à l’indemnité de licenciement – et étaient éligibles plus rapidement au bénéfice des allocations chômage) qu’aux employeurs (qui n‘avaient pas à mettre en œuvre une procédure de licenciement économique – sur laquelle il est toujours difficile de communiquer – ou à rechercher des griefs à reprocher aux salariés pour justifier un licenciement pour motif personnel).

Il reste au salarié, volontaire à un départ dans le cadre d’une rupture conventionnelle, à négocier avec son employeur une majoration de l’indemnité spéciale de rupture aux fins de tenir compte du préjudice né de l’accroissement précité du délai de carence. De son côté, l’employeur, déjà exposé à un forfait social de 20% sur le montant de l’indemnité et aux cotisations sociales pour la partie excédant deux fois le plafond annuel de sécurité sociale (soit 75.096 euros), pourra être réfractaire à l’idée de devoir supporter un coût financier supplémentaire, surtout lorsque la demande de rupture conventionnelle émane du salarié.

 

A propos de l’auteur

Rodolphe Olivier, avocat associé. Il anime l’équipe contentieuse et intervient plus particulièrement dans les litiges pendants devant le conseil de prud’hommes (tous types de litiges), le tribunal d’instance (contestation de désignations de délégués syndicaux, élections professionnelles, représentativité syndicale, reconnaissance d’unité économique et sociale, référendum des salariés à la suite de la signature d’accords collectifs…), le tribunal de grande instance (dénonciation et mise en cause d’accords collectifs, demande de suspension de la procédure consultative auprès du comité d’entreprise, demande d’annulation de plans de sauvegarde de l’emploi, grèves, contestation d’expertise CHSCT ou CE…), le tribunal des affaires de sécurité sociale (urssaf, affiliation, accident du travail, maladie professionnelles, faute inexcusable,…), le tribunal de police et tribunal correctionnel (discrimination syndicale, délit d’entrave, contraventions à la durée du travail, harcèlement moral…) et le tribunal administratif et cour administrative d’appel (contestation des décisions de l’Inspection du travail ou du Ministre…).

 

Article paru dans Les Echos Business le 28 avril 2014

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