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Salarié déclaré inapte physiquement: la rupture conventionnelle est possible

Salarié déclaré inapte physiquement: la rupture conventionnelle est possible

Un salarié déclaré physiquement inapte par le médecin du travail doit théoriquement se voir proposer par son employeur des solutions de reclassement. A défaut de reclassement, ou en cas de refus par le salarié des postes proposés, il appartient normalement à l‘employeur d’entreprendre, à l’encontre du salarié, une procédure de licenciement.

Dans une affaire tranchée par la Cour de cassation le 9 mai 2019 (n°17-28767), la question s’est posée de savoir si le salarié et l’employeur pouvaient, à la suite de l’avis d’inaptitude physique rendu par le médecin du travail, envisager la résiliation du contrat de travail via la mise en œuvre d’une rupture conventionnelle dudit contrat, aux lieu et place d’un licenciement.

La Cour de cassation a indiqué que, sauf fraude ou vice du consentement, rien n’interdisait aux parties de procéder à la rupture conventionnelle du contrat de travail d’un salarié consécutivement à son inaptitude physique médicalement constatée.

Cet arrêt est l’occasion de revenir sur la position adoptée par la Cour de Cassation :

  • lorsque la rupture conventionnelle est envisagée au cours de la suspension du contrat de travail du salarié pour des raisons en lien avec sa santé ;
  • lorsque la rupture conventionnelle est envisagée dans le prolongement de l’avis du médecin du travail se prononçant sur l’(in)aptitude physique du salarié.

La rupture conventionnelle est possible pendant la suspension du contrat de travail du salarié

Sur ce point, l’Administration du travail, dans la Circulaire DGT n°2009-04 du 17 mars 2009, a opéré une distinction selon que la cause de suspension du contrat de travail entraînait ou non la protection du salarié :

« En ce qui concerne la conclusion d’une rupture conventionnelle pendant une suspension du contrat de travail, il convient ainsi de distinguer la nature de la suspension du contrat de travail.

Dans les cas de suspension ne bénéficiant d’aucune protection particulière (congé parental d’éducation, congé sabbatique, congé sans solde, etc.…), aucune disposition n’interdit aux parties de conclure une rupture conventionnelle.

Dans les cas où la rupture du contrat travail est rigoureusement encadrée durant certaines périodes de suspension du contrat (par exemple durant le congé de maternité en vertu de l’article L 1225–4, ou pendant l’arrêt imputable à un accident du travail ou une maladie professionnelle en vertu de l’article L 1226–9, etc.…), la rupture conventionnelle ne peut, en revanche, être signée pendant cette période».

Neuf ans auparavant (Cass. soc., 4 janvier 2000, n°97-44566), la Cour de cassation avait déjà jugé, sous l’empire de la « résiliation amiable » (ancêtre juridique en droit du travail de la rupture conventionnelle née de la loi du 25 juin 2008) qu’au « cours des périodes de suspension consécutives à un accident du travail ou une maladie professionnelle, l’employeur ne peut faire signer au salarié une rupture d’un commun accord du contrat de travail et qu’une telle résiliation du contrat est frappée de nullité ».

La Cour de Cassation a depuis lors considérablement assoupli sa position.

C’est ainsi que, plus récemment, elle a considéré :

  • que sauf en cas de fraude ou de vice du consentement, une rupture conventionnelle pouvait être valablement conclue au cours d’une période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle (Cass. soc., 30 septembre 2014, n°13-16297) ;
  • qu’une rupture conventionnelle du contrat de travail pouvait être finalisée pendant un arrêt de travail pour maladie d’origine non professionnelle, dès lors qu’elle respectait les droits du salarié, quand bien même elle est intervenue dans un contexte conflictuel entre l’employeur et le salarié (Cass. soc., 30 septembre 2013, n°12-19711) ;
  • qu’une rupture conventionnelle pouvait être conduite et finalisée au cours du congé maternité d’une salariée (Cass. soc., 25 mars 2015, n°14-10149).

La Cour de Cassation fait donc preuve d’une réelle ouverture en ce domaine, dès lors évidemment que les conditions dans lesquelles la rupture conventionnelle est susceptible d’intervenir ne sont pas condamnables (non -respect de la procédure légale entourant la rupture conventionnelle, fraude ou vice du consentement).

L’analyse des réfractaires à cette évolution jurisprudentielle, qui soutiennent que cette position – à tout le moins celle autorisant la rupture conventionnelle lors de la suspension du contrat de travail pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle – est contraire aux dispositions des articles L.1226-9 (pour les CDI) et L.1226-18 (pour les CDD) du contrat de travail, reste audible.

En précisant en effet qu’au cours des périodes de suspension du contrat de travail l’employeur ne peut rompre ce dernier que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité à maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie, l’article L.1226-9 du Code du travail semble ne viser que le seul licenciement.

De la même manière, l’article L.1226-18 du même Code du travail vise la possibilité pour l’employeur de résilier à sa seule initiative un contrat de travail à durée déterminée (CDD) au cours des périodes de suspension dudit contrat pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle, pour les deux raisons expressément visées dans ce texte : la faute grave du salarié ou la force majeure.

Une lecture littérale de ces deux articles aurait pu conduire à imaginer qu’il n’y avait point de place pour la rupture conventionnelle dans les situations qu’ils visent expressément.

La Cour de Cassation en a jugé autrement.

Après tout, qui peut le plus peut le moins.

Pourquoi priver un salarié et un employeur de la possibilité de mettre fin au contrat de travail au moment de sa suspension lorsque les deux parties ne souhaitent plus travailler ensemble, que la rupture conventionnelle intervient de manière consensuelle et dans des conditions sereines, et que le salarié n’a aucunement été lésé.

On peut même imaginer que le départ du salarié dans ce cadre participera de sa reconstruction, en particulier lorsque la suspension du contrat de travail est née d’un burn out ou de situations caractéristiques de harcèlement.

La rupture conventionnelle peut intervenir à la suite de l’inaptitude physique du salarié

Dans un premier temps, la Cour de cassation a estimé que la « résiliation amiable » ou la « rupture d’un commun accord » du contrat de travail n’étaient pas envisageables en la présence d’un salarié déclaré physiquement inapte par le médecin du travail.

Dans un arrêt du 12 février 2002 (n°99-41698), elle a estimé en effet que les dispositions de l’ancien article L.122-24-4 du Code du travail (devenu l’article L.1226-4 dudit Code), qui prévoient notamment que si, après une déclaration d’inaptitude prononcée par le médecin du travail, le salarié n’est pas reclassé dans l’entreprise à l’expiration du délai d’un mois ou s’il n’est pas licencié, l’employeur est tenu de reprendre le paiement du salaire, excluent dans cette hypothèse la possibilité pour les parties de signer une rupture d’un commun accord du contrat de travail qui aurait pour effet d’éluder ces obligations.

Elle a, là encore, progressivement adouci sa jurisprudence.

Dans une décision en date du 28 mai 2014 (n°12-28082), la Haute cour a estimé en effet qu’une rupture conventionnelle pouvait être valablement conclue après que le salarié ait été considéré non pas inapte, mais apte avec réserves par le médecin du travail.

Dans son arrêt du 9 mai 2019, la Cour de cassation est allée plus loin en jugeant de manière tout à fait claire qu’un salarié et son employeur pouvaient procéder à la rupture conventionnelle du contrat de travail les liant consécutivement à une inaptitude physique constatée par le médecin du travail.

Dans cette affaire, une salariée a été victime d’un accident du travail. Après deux examens médicaux, elle a été déclarée inapte à son poste de travail par le médecin du travail.

Une dizaine de jours après le constat de cette inaptitude physique à son poste de travail, elle a signé une rupture conventionnelle avec son employeur.

On peut imaginer que les conditions dans lesquelles la rupture conventionnelle est intervenue étaient sujettes à discussions dès lors que la salariée a ensuite sollicité en justice la nullité de la rupture conventionnelle de son contrat qui, selon elle, n’avait d’autre but que celui de contourner les procédures et garanties légales la protégeant.

La Cour d’appel a rejeté ce raisonnement en jugeant que la rupture conventionnelle avait été régulièrement homologuée par l’autorité administrative et ne pouvait être remise en cause, en l’absence d’invocation par le salarié d’un vice du consentement ou de la démonstration d’une fraude de son employeur.

Contestant cette analyse, la salariée a formé un pourvoi en cassation. Elle estimait que sa rupture conventionnelle était nulle, dès lors qu’elle a été conclue, selon elle, en méconnaissance des obligations spécifiques d’ordre public mises à la charge de l’employeur par les articles L.1226-10 et L.1226-12 du Code du travail.

La Cour de cassation a confirmé l’analyse de la Cour d’appel et a jugé que, sauf cas de fraude ou de vice du consentement, une convention de rupture conventionnelle pouvait être valablement conclue par un salarié déclaré inapte à son poste de travail à la suite d’un accident du travail.

La salariée n’ayant invoqué, en l’espèce, ni une quelconque fraude de son employeur, ni l’existence d’un vice du consentement, la rupture conventionnelle de son contrat a été définitivement validée par la Haute cour.

Comme cela vient d’être vu, la Cour de cassation semble donc avoir élargi les possibilités de conclure une rupture conventionnelle entre un salarié et son employeur, dans un contexte d’altération de l’état de santé du salarié.

Elle a cependant posé deux gardes fous : l’existence d’une fraude ou la caractérisation d’un vice du consentement.

La meilleure protection du salarié qui s’estimerait lésé ou abusé, consisterait par exemple soit à ne pas signer le formulaire Cerfa matérialisant la rupture conventionnelle, soit à mettre à profit le délai de rétractation de 15 jours calendaires pour se raviser, soit enfin à dénoncer auprès de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) les conditions illicites dans lesquelles l’employeur lui a « forcé la main » pour s’engager sur le terrain de la rupture conventionnelle.

La pratique montre que les situations faisant ressortir une forme de pression de l’employeur sur le salarié s’observent à la marge, et que la très grande majorité des ruptures conventionnelles intervient de manière paisible, sereine et équilibrée, chacun (salarié et employeur) trouvant son compte dans ce mode de rupture du contrat de travail.

Encore faut-il que les parties s’appliquent à respecter la procédure inhérente à la rupture conventionnelle, en commençant par faire apparaître sur la convention de rupture la date de signature de celle-ci (laquelle fixe le point de départ du délai de rétractation de 15 jours précité), à défaut de quoi la convention est nulle (Cass. soc., 27 mars 2019, n°17-23586) et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce qui autoriserait ainsi le salarié à prétendre, notamment, à une indemnité de préavis et à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Si par ailleurs l’absence de respect d’une formalité requise est de nature à compromettre l’intégrité du consentement du salarié et n’est pas de nature à lui permettre d’exercer pleinement son droit de rétractation, la rupture conventionnelle n’est pas valable, sans d’ailleurs qu’en pareil cas le salarié ait besoin de démontrer l’existence d’un vice du consentement.

Il en va ainsi, par exemple, lorsque l’employeur n’a pas remis un exemplaire de la convention de rupture conventionnelle au salarié (ce qui l’empêche d’apprécier la teneur exacte du document qu’il a signé, et donc d’exercer son droit de rétractation en toute connaissance de cause) (Cass. soc., 26 septembre 2018, n°17-19860), lorsque l’une des parties a adressé la demande d’homologation à la DIRECCTE avant l’expiration du délai de 15 jours (Cass. soc., 6 décembre 2017, n°16-16851) ou enfin lorsque le délai de rétractation est déjà expiré à la date de signature de la convention de rupture conventionnelle (Cass. soc., 19 octobre 2017, n°15-27708).

 

Auteur

Rodolphe Olivier, avocat associé, droit social

 

Salari̩ d̩clar̩ inapte physiquement : la rupture conventionnelle est possible РArticle paru dans Les Echos Ex̩cutives le 20 mai 2019

 

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