Se défaire d’une activité non-profitable : l’impossible arbitrage ?
2 novembre 2016
Un arrêt récent renforce l’insécurité de l’exploitant qui souhaite se séparer d’une activité non-profitable. Plus que jamais il lui appartient de se ménager les meilleures preuves du retournement de l’activité. Autant qu’une cession il doit préparer un contentieux à naître. Dans ces circonstances, recourir à une conciliation peut se révéler une précaution utile sans, toutefois, être une assurance tous risques.
La nécessité de s’assurer de la pérennité de l’activité dans son nouvel environnement
La Cour de cassation1, alors que les salariés d’une branche cédée ont été licenciés dans le cadre de la procédure collective ultérieure du repreneur, vient de condamner le cédant à assumer le coût des licenciements après avoir estimé établie une fraude au transfert des contrats de travail de ces salariés2.
L’arrêt est remarquable, outre son fondement, par les faits de l’espèce qui auraient pu laisser penser que la cession avait été entourée de précautions suffisantes :
- la reprise a été menée par trois salariés anciens cadres ;
- un budget prévisionnel a été établi et analysé par deux experts, nommés par le cédant et par son comité d’entreprise, identifiant précisément les chances du retournement ;
- l’actionnaire du cédant a accepté de financer :
– le besoin de trésorerie à hauteur de 9 M€, et
– des mesures d’accompagnement des salariés transférés pour 4,5 M€.
Malheureusement, ces précautions vont se révéler insuffisantes.
Le chiffre d’affaires de l’activité transférée décroît de 30% du fait de la perte de clients importants. A peine plus d’un an après le transfert, le repreneur doit déposer le bilan, entraînant le licenciement d’environ 200 salariés.
Ceux-ci contestent leur licenciement, plaçant le débat sur le terrain de la fraude. Il est reproché au cédant d’avoir cédé l’activité non-profitable en sachant que la stratégie de retournement du repreneur était irréaliste en raison de la perte d’au moins un client stratégique.
Le transfert des contrats de travail est annulé. Les licenciements prononcés par l’administrateur judiciaire du repreneur à la suite de l’adoption de plans de cession partiels de l’activité sont annulés et la rupture des contrats de travail est mise à la charge du cédant.
Rarement retenue en jurisprudence, la fraude au transfert d’entreprise surprend : les experts avaient jugé crédible le retournement de l’activité. Toutefois, la fraude semble déduite de la conscience du cédant lors du transfert de l’activité non-profitable de ce que des clients stratégiques feraient défaut. Dès lors, l’arrêt pourrait n’être qu’une nouvelle illustration de la nécessité de s’assurer de la réelle pérennité de l’activité dans son nouvel environnement.
Cet arrêt s’inscrit dans un courant jurisprudentiel – celui-là même qui a vu naître le co-emploi – visant à faire peser le coût social de la disparition d’une entreprise sur le plus solvable des intervenants. La cessation pure et simple de l’activité et le licenciement immédiat des salariés n’auraient pas présenté plus de sécurité pour le cédant qui se serait alors vu reprocher de ne pas avoir cherché de repreneur.
Plus que jamais, le cédant ne saurait s’entourer de trop de précautions afin de démontrer, le moment venu, que le retournement de l’activité cédée était une perspective crédible lors de la cession, et qu’il pouvait être raisonnablement considéré que la pérennité de l’activité, à cette date, n’était pas irrémédiablement compromise.
Une solution difficilement praticable : la procédure collective
Intégrer la cession dans une procédure collective3, sous forme d’un plan de cession partiel, sécuriserait au mieux l’opération. Toutefois, la pertinence et l’impact négatif (crédit fournisseur, confiance client) d’une telle procédure conduira, dans la plupart des cas, à écarter cette hypothèse.
La conciliation, une précaution utile sans être une assurance tous risques
Parmi les procédures amiables4, la conciliation sera de nature à offrir plus de sécurité au cédant, à condition que puissent être caractérisées des difficultés juridiques, économiques ou financières avérées ou prévisibles5 et que l’accord trouvé soit homologué par le tribunal de commerce.
En effet, le tribunal appréciera à cette occasion, entre autre, si les termes de l’accord sont de nature à assurer la pérennité de l’activité. Ainsi, le cédant disposera d’un argument supplémentaire lui permettant de justifier qu’à l’heure de la cession la viabilité de l’entreprise cédée était raisonnablement assurée.
Aucun doute n’existe, depuis la réforme de 20146, sur la possibilité d’organiser une cession d’activité en conciliation. Le conciliateur peut être chargé, à la demande du débiteur et après avis des créanciers participants, d’une mission ayant pour objet une cession partielle ou totale de l’entreprise7.
L’homologation de l’accord de conciliation ne saurait être une protection absolue. Notamment, en raison de ce que le contentieux éventuellement mené par les salariés déçus sera prioritairement porté devant le Conseil des prud’hommes et non le tribunal ayant homologué cet accord.
Notes
1 Soc 19 mai 2016, n°15-13.603, 15-13.604 et 15-13.609
2 300 salariés, art. L.1224-1 du Code du travail
3 Sauvegarde en l’absence de cessation des paiements, redressement judiciaire en cas de cessation des paiements caractérisée
4 Mandat ad’hoc, conciliation
5 Art. L.611-4 Code de commerce
6 Ordonnance 2014-326 du 12 mars 2014
7 Art. L.611-7 du Code de commerce.
Auteurs
Alain Herrmann, avocat associé en droit social.
Alexandre Bastos, avocat associé, responsable de l’activité Restructuring-Insolvency.
Se défaire d’une activité non-profitable : l’impossible arbitrage ? – Article paru dans Les Echos Business le 24 octobre 2016
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