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Droit social des plateformes digitales : ça bouge encore en France et dans l’Union européenne

Droit social des plateformes digitales : ça bouge encore en France et dans l’Union européenne

Le droit social des plateformes digitales se construit au fur et à mesure et les derniers mois ont apporté leur pierre à l’édifice.

 

En France, cela se manifeste par une disposition dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 (1) mais également par des négociations d’accords (2).

 

Au niveau européen, le Conseil a adopté sa position quant à la proposition de directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme (3).

 

Actualité légale : vers un renforcement contre la fraude sociale

 

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 4 novembre dernier.

 

Celui-ci prévoit, en son article 6, des dispositions relatives aux plateformes digitales. Leur objectif est, à terme, de créer une obligation de précompte par les plateformes digitales des cotisations, contributions, taxes et impôts dues sur la contrepartie du prestataire afin de lutter contre la sous-déclaration des revenus.

 

La mise en place de ce dispositif serait progressive.

 

Supprimé du texte adopté par le Sénat le 21 novembre dernier, cet article 6 devrait très certainement être rétabli en deuxième lecture par l’Assemblée nationale, un amendement n° 385 en cours de traitement ayant été déposé en ce sens le 22 novembre dernier.

 

Force est de constater que cette actualité suscite des divergences d’opinions et qu’il sera intéressant, dans les prochaines semaines, d’étudier l’issue de cette problématique et ses éventuels aménagements.

 

Dans un premier temps, dès 2024, les plateformes digitales, au sens de l’article L. 242 bis du Code général des impôts, seront obligées de transmettre à l’URSSAF le chiffre d’affaires des prestataires à partir des données qu’elles déclarent actuellement à l’administration fiscale. Les informations transmises seront complétées par des éléments permettant d’améliorer l’identification des prestataires.

 

En cas de méconnaissance de cette obligation, les plateformes digitales et les prestataires encourent un risque pénal :

 

    • Le prestataire pourrait être condamné à une pénalité d’un montant de 500 euros;
    • Les plateformes digitales pourraient être condamnées à un montant de 500 euros par prestataire concerné.

 

Dans un second temps, à partir de 2027, les plateformes digitales devront précompter les cotisations et contributions sociales ainsi que les taxes et l’impôt directement sur les revenus des prestataires. Les plateformes digitales procéderont chaque mois :

 

    • à la déclaration du montant de chiffre d’affaires ou de recettes réalisées par chaque prestaire ;
    • à la déclaration ainsi qu’au versement des sommes précomptées.

 

Dialogue social : conclusion d’accords entre les travailleurs et les plateformes digitales.

 

Initiées en janvier 2023, la négociation et la conclusion d’accords se poursuivent dans le secteur des plateformes digitales et, plus récemment, dans le secteur des véhicules de transport avec chauffeur (VTC).

 

Un nouvel accord a été conclu le 19 septembre 2023 entre les organisations représentatives des travailleurs indépendants et des plateformes de VTC.

 

L’objectif de cet accord est de « proposer une meilleure compréhension du fonctionnement des plateformes et [de] définir les conditions de suspension et de résiliation des contrats commerciaux » (4).

 

Parmi les diverses mesures de cet accord, il est intéressant de noter :

 

⇒ Le renforcement de l’obligation d’information des chauffeurs par les plateformes digitales : se manifeste à travers plusieurs aspects de la relation plateforme-travailleur :

 

    • Les modalités de calcul des indicateurs pris en compte par les plateformes et l’impact sur leur activité ;
    • Les modalités de proposition des courses ;
    • Les modalités de fixation des prix ;
    • Les droits dont ils bénéficient au titre de la loi ;
    • Les cas et les conditions de restriction, suspension et résiliation des services de mise en relation.

 

⇒ L’encadrement du processus de résiliation du contrat commercial liant le chauffeur et la plateforme

 

Après avoir procédé à des précisions terminologiques sur les termes de résiliation et de suspension du contrat, l’accord développe les cas susceptibles de justifier la résiliation de la relation commerciale.

 

Ils correspondent toujours au non-respect d’une obligation légale, réglementaire ou contractuelle par le chauffeur. Plus précisément, l’accord développe les situations suivantes :

 

    • La survenance d’un incident (agression physique, sexuelle, violences, vols, infractions graves ou répétées au code de la route et au code des transports) ;
    • Le partage illicite de compte qui constitue, à la fois, une infraction au code des transports mais aussi relève du délit pénal d’exercice illégal de la profession de VTC.
    • La fraude, par exemple l’augmentation artificielle du prix de la course ou encore la réalisation d’une course hors plateforme après avoir demandé au client de l’annuler.
    • La mauvaise qualité des prestation réalisées, par exemple le mauvais entretien du véhicule ;
    • La non-conformité des documents obligatoires pour l’inscription sur la plateforme.

 

L’accord précise que tous les cas listés ne sont pas susceptibles, à chaque fois, de justifier la résiliation du contrat. Il convient donc d’apprécier au cas par cas si la résiliation est justifiée.

 

L’accord prévoit également la mise en place d’une alerte adressée par la plateforme digitale au chauffeur après chaque incident ou manquement susceptible de justifier une résiliation.

 

Enfin, l’accord prévoit :

 

    • Une intervention humaine dans tout processus de résiliation des relations ;
    • Un délai de prescription des incidents ou manquements (une résiliation ne peut être justifiée que par des manquements dont la plateforme a eu connaissance plus de trois ans avant la décision) ;
    • Une procédure préalable à la résiliation notamment une information du chauffeur des motifs de résiliation envisagés et la possibilité, pour ce dernier, de faire valoir ses observations.

 

⇒ Les modalités de dédommagement

 

L’accord prévoit que la plateforme doit verser un dédommagement au chauffeur lorsque son compte a été suspendu à titre conservatoire et que :

 

    • La plateforme décide à l’issue de la procédure de ne pas résilier le contrat de chauffeur ;
    • La suspension a été causée par une erreur manifeste de la part de la plateforme sur le ou les motifs invoqués.

 

Le montant du dédommagement est égal, pour chaque jour de suspension, à la moyenne journalière des revenus d’activité perçus par le chauffeur au cours des 12 semaines précédant la suspension.

 

⇒ La mise en place d’un espace numérique dédié : pour l’ensemble de ces transmissions d’informations, la plateforme doit créer un espace numérique dédié.

 

Actualité européenne : le Conseil adopte sa position sur la proposition de directive

 

Le droit applicable aux plateformes digitales se développe également de manière progressive au niveau européen.

 

En effet, en décembre 2021, la Commission européenne a présenté sa proposition de directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme.

 

La dernière évolution de ce projet remonte au 12 juin dernier, date à laquelle le Conseil a adopté sa position sur cette proposition.

 

L’objectif de cette proposition de directive est d’établir des «droits minimaux qui s’appliquent à toute personne exécutant un travail via une plateforme dans l’Union qui a, ou qui, sur la base d’une évaluation des faits, peut être réputée avoir un contrat de travail ou une relation de travail au sens du droit, des conventions collectives ou de la pratique en vigueur dans les Etats membres eu égard à la jurisprudence de la Cour de justice» (5).

 

Cette directive serait l’occasion, notamment, de préciser, plusieurs définitions, en particulier celles de :

 

    • plateforme de travail numérique ;
    • travail via une plateforme ;
    • ou encore de travailleur de plateforme.

 

L’un des impacts majeurs est l’instauration d’une présomption réfragable d’existence d’une relation de travail si plusieurs critères sont remplis. L’objectif est donc de déterminer précisément le statut professionnel des personnes travaillant via des plateformes numériques.

 

Le second apport de cette proposition réside dans l’établissement des premières règles en matière d’utilisation de l’intelligence artificielle sur le lieu de travail, notamment dans un objectif de transparence vis-à-vis des travailleurs et afin d’assurer une surveillance humaine des conditions de travail.

 

Des négociations entre le Parlement européen et le Conseil doivent désormais débuter en vue de parvenir à un accord.

 

En tout état de cause, si la Directive est adoptée, elle devra ensuite être transposée dans la législation des Etats membres, dans un délai de deux ans après son entrée en vigueur.

 

Le chemin à parcourir au niveau européen reste encore long, d’où l’intérêt, dans l’intervalle, d’encadrer les relations commerciales entre plateformes digitales et prestataires par la conclusion d’accords collectifs.

 

AUTEURS

Caroline FROGER-MICHON, Avocate associée, CMS Francis Lefebvre Avocats

Elisa VIGNIER, Juriste, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

(1) Article 6 du projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) pour l’année 2024.

(2) Accord du 19 septembre 2023 relatif à la transparence du fonctionnement des centrales de réservation de VTC et aux conditions de suspension et résiliation des services de mise en relation.

(3) Proposition de Directive du Parlement Européenne et du Conseil relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, publiée par la Commission européenne le 9 décembre 2021

(4) Communiqué de presse de l’ARPE (Autorité des Relations sociales des Plateformes d’Emploi) du 19 septembre 2023.

(5) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, article premier.

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