Accords de préservation et de développement de l’emploi : la primauté du collectif sur l’individuel

12 décembre 2016
L’introduction des accords de préservation et de développement de l’emploi (APDE), parfois qualifiés d’accords « offensifs », constitue un apport important de la loi Travail. Tirant les conséquences de l’échec des accords de maintien de l’emploi (AME) (seule une dizaine d’accords signés depuis l’entrée en vigueur de la loi), le législateur a entrepris de libérer ces nouveaux accords de certaines contraintes qui pesaient sur leurs prédécesseurs, sans toutefois les faire disparaître. Aujourd’hui, ce sont donc deux régimes proches mais distincts qui cohabitent.
La nécessité d’un accord majoritaire
Tout comme les AME, les APDE sont soumis aux conditions de validité des accords majoritaires. L’exigence majoritaire se justifie par le caractère sensible des APDE qui affectent directement le contenu du contrat de travail. En l’absence de délégué syndical dans l’entreprise, il sera possible de les négocier avec des représentants du personnel mandatés ou des salariés mandatés, la validité de l’accord étant dans ce cas soumise à sa validation par référendum d’entreprise. En pratique, la possibilité de conclure des APDE est subordonnée à la publication du décret d’application sur les modalités de consultation des salariés dans le cadre du référendum d‘entreprise.
Un accord déconnecté des difficultés économiques
Ce nouveau type d’accord est déconnecté des difficultés économiques de l’entreprise : la poursuite d’un objectif de croissance ou de développement de l’emploi suffit à justifier le recours à ce dispositif. Le champ d’application de ces accords est donc considérablement élargi par rapport à celui des AME, dont la mise en œuvre était subordonnée à l’existence de graves difficultés conjoncturelles. Cela traduit une volonté d’ajustement de l’organisation de l’entreprise aux variations d’activité (positives ou négatives), à la perspective d’un investissement de moyen terme, ou à un changement de conjoncture par le biais de la négociation collective.
Alors que l’emploi est au cœur du dispositif, la question des objectifs poursuivis au regard de sa préservation ou de son développement n’est traitée que sommairement par le législateur, qui prévoit uniquement que ceux-ci soient visés au préambule de l’accord. Ces éléments étant déterminés librement par les partenaires sociaux, il conviendra d’être particulièrement vigilant dans la rédaction du préambule, et de développer avec précision les circonstances justifiant le recours aux APDE et les objectifs fixés. A défaut, on peut craindre un risque de requalification de l’accord et, par suite, la chute du régime de modification et de rupture du contrat de travail propre aux APDE.
Un renversement de la hiérarchie des normes
Si l’idée d’un bouleversement de la hiérarchie des normes a provoqué une large controverse médiatique, celle-ci s’est concentrée sur l’article 2 de la loi Travail et la possibilité de déroger par accord d’entreprise aux dispositions de l’accord de branche. Les APDE traduisent pourtant une autre évolution fondamentale, inspirée des propositions du rapport Combrexelle et confirmant une tendance initiée avec les AME. En permettant une modification du contrat de travail par application de l’accord, ils imposent la primauté du collectif sur l’individuel, consacrant une exception au principe de faveur reposant sur la prévalence de l’intérêt général (l’emploi) sur l’intérêt individuel.
Ils dérogent par ailleurs à un autre principe majeur du droit français, selon lequel toute modification d’un élément essentiel du contrat de travail nécessite l’accord du salarié. La loi avait déjà admis une exception à cette règle pour les AME en permettant la suspension des clauses contraires du contrat pendant la durée de l’accord. Le législateur en introduit aujourd’hui une nouvelle en précisant que les stipulations de l’APDE « se substituent de plein droit » aux clauses contraires ou incompatibles du contrat, modifiant de fait durablement le contrat initial sans l’accord du salarié.
Les modalités de refus du salarié
Le salarié peut refuser la modification de son contrat résultant de l’application de l’accord, mais il s’expose à un risque de licenciement. L’innovation des APDE réside dans le motif choisi et la sortie du licenciement économique individuel qui était la règle pour les AME. Il s’agit désormais d’un motif sui generis de rupture du contrat de travail constituant une cause réelle et sérieuse de licenciement. Cette nouveauté, qui met un terme aux possibilités de contestation du motif économique qui existaient jusqu’alors, ainsi que la présomption de cause réelle et sérieuse du licenciement qu’elle induit vont malheureusement probablement provoquer certains contentieux.
Des difficultés d’application
D’emblée, l’introduction de ces nouveaux accords pose la question de leur articulation avec les AME. En effet, la distinction entre « préservation » et « maintien » de l’emploi est complexe. On peut dès lors s’interroger sur l’existence d’un droit d’option pour l’employeur qui fait face à de graves difficultés économiques. Pourrait-il négocier un APDE alors que les conditions de conclusion d’un AME sont réunies ? Dans ce cas, compte tenu de la plus grande souplesse des APDE, les AME pourraient être voués à disparaître. Dans le cas contraire, l’employeur pourrait s’exposer à une requalification de l’accord, avec application du régime plus contraignant des AME.
Quid également des risques pour l’employeur en cas de non-respect des dispositions de l’accord ? Les AME prévoient le versement de dommages et intérêts en cas de violation des engagements de l’employeur. Le législateur est resté muet au sujet des sanctions potentielles pour l’employeur qui n’atteindrait pas les objectifs fixés au préambule de l’APDE, laissant planer l’hypothèse d’une absence de sanction, les objectifs demeurant purement prospectifs.
Le texte prévoit enfin l’obligation de maintenir la rémunération mensuelle, sans toutefois la définir. Un flou subsiste autour de cette notion : ce maintien est-il absolu, ou bien simplement relatif ? En d’autres termes, est-il possible d’accroître par ce type d’accords le nombre d’heures travaillées par les salariés sans augmenter leur salaire, diminuant de fait le salaire horaire ? La question de l’inclusion des éléments variables et d’un éventuel treizième mois dans cette rémunération reste également en suspens, en l’attente de la publication d’un décret.
Les APDE constituent ainsi un nouvel outil d’accompagnement utile aux besoins d’adaptation de l’entreprise à son environnement économique.
Auteurs
Nicolas de Sevin, avocat associé en droit social.
Accords de préservation et de développement de l’emploi : la primauté du collectif sur l’individuel – Article paru dans Les Echos Business le 12 décembre 2015
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