Contrôle URSSAF : lutte contre la fraude et abus de droit
20 septembre 2018
Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude ambitionne d’élargir les sanctions applicables en cas d’abus de droit commis par les entreprises en matière de prélèvements fiscaux et sociaux. Pourtant, si ce dispositif a démontré son efficacité sur le plan fiscal, il n’est que très peu utilisé lors des contrôles URSSAF.
Projet de loi relatif à la lutte contre la fraude : un élargissement des sanctions en cas d’abus de droit
Après l’adoption le 10 août dernier de la loi pour un Etat au service d’une société de confiance, qui crée notamment un droit à l’erreur, le Parlement étudie actuellement l’autre versant de la modification des rapports entre les entreprises et les pouvoirs publics, au travers du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude.
Ce texte a, selon l’exposé de ses motifs, l’ambition de renforcer les moyens dont disposent les pouvoirs publics pour mieux détecter, appréhender, et sanctionner la fraude, notamment en matière de paiement des cotisations sociales.
Afin de renforcer l’arsenal législatif dans ce domaine, et de mieux sanctionner la fraude, l’article 7 du projet de loi propose l’introduction d’un article L.114-18-1 du Code de la sécurité sociale (CSS) qui prévoit que les entreprises délivrant un conseil juridique, financier ou comptable – ce qui inclurait donc les experts-comptables et les cabinets d’avocats – ayant intentionnellement contribué à la commission d’un abus de droit seront redevables d’une amende. La commission d’un abus de droit n’entraînerait donc pas seulement la sanction de l’entreprise l’ayant réalisé, mais également de ceux y ayant concouru.
Un dispositif calqué sur le droit fiscal depuis la loi de simplification du droit de 2009
Rappelons que depuis la loi de simplification et de clarification du droit de 2009, la possibilité de sanctionner l’abus de droit lors d’un contrôle URSSAF a été précisément calquée sur le dispositif existant en matière fiscale.
Ainsi au cours d’un contrôle, les inspecteurs de l’URSSAF peuvent écarter comme ne leur étant pas opposables tout acte, pourtant légal, afin de restituer le caractère véritable de l’opération, soit que l’acte en cause serait fictif, soit qu’il n’ait été passé qu’en vue d’éluder ou d’atténuer le paiement des cotisations en recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes (CSS, art. L.243-7-2). Lorsqu’un tel abus de droit est constaté, l’URSSAF peut alors sanctionner l’entreprise en majorant le redressement de 20%.
Afin de contrebalancer l’éventualité d’une telle sanction, indéniablement lourde, le dispositif offre à l’entreprise contrôlée certaines garanties procédurales, calquées elles aussi sur le dispositif fiscal. Premièrement, l’entreprise bénéficie nécessairement d’un contrôle hiérarchique du redressement puisque la lettre d’observations doit impérativement être contresignée par le directeur de l’URSSAF. Ensuite, l’entreprise peut saisir un comité des abus de droit, établi au niveau national et composé de personnalités qualifiées (notamment des conseillers à la Cour de cassation, des avocats, des professeurs de droit, etc.).
Celui-ci émet alors un avis purement consultatif sur la situation reprochée. Si l’URSSAF ne se conforme pas à l’avis du comité, elle devra alors apporter la preuve du bien-fondé du redressement envisagé. Au contraire, en cas d’avis du comité favorable à l’URSSAF, la charge de la preuve devant le juge revient à l’entreprise.
Un avis négatif du comité des abus de droit permet ainsi à l’entreprise de bénéficier d’un véritable renversement de la charge de la preuve devant les tribunaux.
En pratique, un recours inexistant à cette notion
Pourtant, le recours par les URSSAF à ce dispositif ne peut manquer de décevoir, alors même que le dispositif fiscal a prouvé son utilité. En effet, tandis que le comité de l’abus de droit fiscal est saisi en moyenne 45 fois par an depuis 2012, le comité de l’abus de droit social n’a quant à lui jamais été saisi depuis sa création.
Et pour cause, les URSSAF n’ont pour ainsi dire jamais recours à cette notion, quand bien même les faits reprochés aux entreprises contrôlées entreraient dans la définition de l’abus de droit.
Celles-ci ont pourtant démontré leur efficacité en matière fiscale. Ainsi sur l’ensemble des avis rendus par le comité des abus de droit depuis 2012, 94 étaient négatifs. Cela signifie donc que dans plus d’un tiers des cas, il incombait à l’Administration de prouver devant le juge administratif que la situation contestée était effectivement abusive.
Vers une théorie de l’abus de droit implicite en matière sociale ?
En développant la théorie de l’abus de droit implicite, le Conseil d’Etat a pourtant fourni aux tribunaux des moyens de sanctionner les inspecteurs réticents à faire fonctionner le dispositif légal. Ainsi, le contrôle peut être annulé lorsqu’il est constaté que, bien que ne se plaçant pas explicitement sur le terrain de l’abus de droit, les inspecteurs invoquent implicitement l’existence d’un tel abus, et ce indépendamment de l’application ou non de toute sanction (CE, Ass. Plén., 21 juillet 1989, n°59970, Bendjador). A ce jour, cette théorie jurisprudentielle n’a pas toutefois encore été transposée par la Cour de cassation en matière de contrôle URSSAF.
Cette différence dans l’application des textes fiscaux et sociaux, alors que la loi de simplification et de clarification du droit avait pourtant l’ambition de les rapprocher, ne manque pas d’interroger. Au point qu’une question au Gouvernement a été soulevée à ce sujet par M. le Sénateur Decool, le 2 février dernier.
Ce dernier relève ainsi que « les Urssaf invoquent fréquemment et implicitement un abus de droit sans pour autant déclencher la procédure afférente » et interroge le Gouvernement sur ce que celui-ci entend proposer afin que le comité des abus de droit « puisse jouer pleinement son rôle, dans la transparence, et que les cotisants soient informés de son existence et puissent demander sa saisine ».
L’efficacité du renforcement de la lutte contre l’abus de droit en question
L’abstention des URSSAF réside peut-être dans un obstacle de taille à l’application de la procédure.
En effet, si les premiers membres du comité des abus de droit social ont été nommés par un arrêté de 2011 pour une durée de trois ans, leur mandat n’a pas été renouvelé et ils n’ont jamais été remplacés. Par conséquent et depuis 2014 le comité des abus de droit ne peut donc plus être saisi, faute de membres !
En présence d’un dispositif qui n’est pas appliqué, et d’un comité d’abus de droit désormais inexistant, l’on voit donc mal l’intérêt de renforcer les dispositions du Code de la sécurité sociale comme l’ambitionne le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude.
A l’heure de la création d’un droit à l’erreur au profit des entreprises, le renforcement des armes des pouvoirs publics pour lutter contre les abus de celles-ci ne doit cependant pas faire oublier qu’il est également nécessaire de leur assurer des garanties, parfois existantes juridiquement, mais inappliquées dans les faits.
Auteurs
Thierry Romand, avocat associé, droit social
Martin Perrinel, avocat, droit social
Contrôle URSSAF : lutte contre la fraude et abus de droit – Article paru dans Les Echos Exécutives le 5 septembre 2018
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