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La convention Carrefour passée au crible du déséquilibre significatif : enseignements pour les négociations 2015

Alors que la période des négociations commerciales s’ouvre dans un contexte de tensions importantes, les juges continuent d’affiner leur jurisprudence sur la notion de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au sens du 2° de l’article L.442-6 I du Code de commerce.

Les industriels pourront trouver dans l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 1er octobre 2014, portant sur la convention Carrefour, un certain nombre d’éléments qui pourraient être à leur avantage lors de leurs discussions (CA Paris, 1er octobre 2014, n°13-16.336). En effet, si cet arrêt n’est pas particulièrement novateur sur les principes qu’il pose, il comporte une analyse intéressante de certaines clauses stratégiques, notamment en matière de délais de paiement.

Tout d’abord, sur les principes généraux présidant à l’application de l’article L.442-6, les juges réaffirment de façon claire et non équivoque que des clauses caractérisant un déséquilibre, établi par « l’absence de réciprocité ou la disproportion entre les obligations des parties« , peuvent être considérées en elles-mêmes comme illicites « indépendamment de leurs effets« . Il en résulte qu’il n’est pas nécessaire de démontrer que la clause a effectivement été appliquée ni qu’elle a effectivement porté préjudice à l’une des parties pour engager la responsabilité de celle qui est en tort. Une telle conclusion doit cependant être circonscrite à l’hypothèse où le « rapport de force en présence » est déjà particulièrement défavorable à la partie lésée (ce qui est le cas, selon la Cour, dans le secteur de la grande distribution).

Les juges réaffirment ensuite qu’une clause peut être jugée déséquilibrée en tant que telle, sans qu’il soit nécessaire de l’apprécier au regard de l’économie globale du contrat ; ils admettent toutefois qu’il est possible de tenir compte de la globalité de l’accord pour apprécier si d’autres clauses viennent « contrebalancer » celles qui sont déséquilibrées, la charge de la preuve pesant alors sur la partie qui soutient l’existence de ce rééquilibrage.

Ceci étant exposé, on retiendra plus particulièrement l’analyse des clauses suivantes :

dates et heures de livraison : la convention octroyait la possibilité pour Carrefour de refuser une livraison en cas de non-respect des horaires de livraison par le fournisseur ; le principe du paiement d’une pénalité était également acté ; réciproquement, la convention prévoyait que le non-respect par Carrefour des rendez-vous de livraison pouvait le cas échéant entraîner un dédommagement du fournisseur, limité strictement aux éventuels surcoûts engendrés par ce retard.
Cette clause est considérée comme illicite dans la mesure où « une sanction automatique et chiffrée est prévue à l’encontre des fournisseurs alors que la pénalité encourue par Carrefour est éventuelle et non chiffrée puisque renvoyée à une négociation » ;

calendrier de DLC/DLUO : la convention stipulait que Carrefour pouvait refuser la livraison de produits dont la date limite de consommation (DLC) ou la date limite d’utilisation optimale (DLUO) était inférieure ou identique à celle de produits livrés antérieurement, quand bien même cette date limite était conforme aux engagements pris par le fournisseur dans le « contrat date« .
Cette clause est elle aussi considérée comme illicite du fait de sa généralité, le refus d’une livraison pour des motifs de date devant être strictement limité aux hypothèses avérées d’une désorganisation des stocks du distributeur l’empêchant de respecter correctement ses obligations à l’égard des consommateurs en termes de qualité, de sécurité et de fraîcheur ;

délais de paiement : la convention prévoyait un délai de paiement de 60 jours pour les factures de vente émises par le fournisseur ; en revanche, ce dernier devait régler dans un délai de 30 jours les factures de service émises par Carrefour.
Cette absence de réciprocité est critiquée par le juges dans des termes dénués d’ambiguïté : « cette différence importante dans le délai de paiement accordé à chacune des parties entraîne un solde commercial à la charge du fournisseur et crée un déséquilibre significatif » et ce, même si notamment aucun élément ne prouve « l’incidence de la clause contestée sur la trésorerie des parties« . C’est donc bien dans son principe même que cette clause est considérée comme illicite et cette conclusion devrait s’appliquer aux conventions d’autres distributeurs.

Cet arrêt s’inscrit ainsi dans la droite ligne de la jurisprudence développée par la cour d’appel de Paris dans le cadre des assignations dites Novelli, qui permet petit à petit de définir plus avant les contours encore flous de la notion de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. On ne peut cependant qu’espérer que la Cour soit également saisie d’affaires ne concernant pas le secteur de la grande distribution, dans la mesure où le postulat de départ, selon lequel le rapport de force dans ce secteur est intrinsèquement déséquilibré, limite nécessairement l’application à d’autres secteurs économiques des solutions qu’elle dégage.

 

Auteur

Mélanie Comert, avocat counsel en droit de la concurrence, réglementations économiques, douane.

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