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Déduction des retenues à la source : peut mieux faire !

Les décisions relatives au traitement fiscal des retenues à la source n’en finissent pas de tomber. Après les arrêts Céline et EGIS largement commentés, deux nouvelles décisions viennent préciser les conditions de déductibilité des retenues à la source étrangères.

I. Primauté ou subsidiarité, la CAA de Versailles réaffirme son choix

L’arrêt min. c/ SA LVMH rendu le 18 novembre 2014 par la CAA de Versailles (n°12VE00639) est l’occasion pour cette dernière d’appliquer le mode d’emploi qu’elle a rédigé en deux temps avec ses décisions Céline (CAA de Versailles, 16 juillet 2012, n°11VE01877 confirmé par CE, 12 mars 2014, n°362528) et EGIS (CAA Versailles, 18 juillet 2013, n°12VE00572).

Dans ces deux arrêts, la Cour a considéré qu’en présence d’une convention fiscale, il y a lieu de faire primer les stipulations de cette dernière sur le droit interne. Par cette analyse, la déduction fiscale de l’impôt étranger qui est autorisée par l’article 39, 1, 4° du Code général des impôts (CGI) devient suspendue à une revue des dispositions conventionnelles. Soit ces dernières écartent expressément la possibilité de déduire une retenue à la source (l’imputation du crédit d’impôt sur l’impôt français constituant la méthode exclusive d’élimination de la double imposition) et aucune déduction ne devient possible sur le terrain du droit interne (affaire Céline), soit elles ne l’écartent pas expressément et l’impôt supporté à l’étranger peut être déduit des résultats imposables (affaire EGIS).

L’arrêt LVMH est l’occasion pour la CAA de Versailles de réaffirmer son attachement au principe de primauté des conventions fiscales.

En l’espèce, la société Givenchy SA, intégrée fiscalement au groupe LVMH, s’est vue remettre en cause la déduction de ses résultats imposables des retenues à la source supportées en Italie, Chine, Nouvelle-Zélande, Corée du Sud, au Japon, au Mexique ainsi qu’aux Etats-Unis. Les rectifications ainsi apportées ont conduit à minorer le déficit constaté au niveau du résultat d’ensemble du groupe.

La CAA de Versailles s’est prononcée sur le bien-fondé de ces rehaussements en procédant à une analyse de chacune des conventions bilatérales en cause. Pour les conventions prévoyant expressément que l’impôt étranger n’est pas déductible, elle estime les rehaussements justifiés, sans réserver le cas où le contribuable ne pourrait bénéficier, en raison de sa situation déficitaire, de l’imputation du crédit d’impôt correspondant à l’impôt acquitté à l’étranger (conventions type Céline).

A l’inverse, pour les conventions qui énoncent que les revenus étrangers sont imposables en France pour leur montant brut sous déduction d’un crédit d’impôt correspondant au montant de l’impôt étranger, elle considère que la stipulation ne s’oppose pas de manière explicite à la déduction du bénéfice imposable en France des impôts acquittés à l’étranger (raisonnement de type EGIS). La solution est d’autant plus intéressante que l’administration soutenait que l’imposition du montant «brut» était incompatible avec la déduction de la retenue à la source, ce qui explique vraisemblablement pourquoi l’arrêt est frappé d’un pourvoi.

Si le traitement retenu dans cette seconde hypothèse reste favorable au contribuable, on peut toutefois s’étonner de voir le principe de subsidiarité ainsi vidé de toute substance.

En effet, depuis l’arrêt Schneider Electric rendu le 28 juin 2002, il est établi que :

«si une convention bilatérale conclue en vue d’éviter les doubles impositions peut, en vertu de l’article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l’imposition».

Dans la lignée de sa décision Céline, confirmée -il y lieu de le reconnaître- par le Conseil d’Etat, la CAA de Versailles signe et persiste en admettant une nouvelle fois que des stipulations conventionnelles permettent d’écarter une déduction fiscale pourtant admise en droit interne. Elle tire ainsi d’une convention conclue en vue d’éviter les doubles impositions le fondement d’une imposition qui n’aurait pas été possible sur le fondement des dispositions légales en vigueur en France.

Comble du paradoxe, le traitement fiscal des retenues à la source supportées à raison des redevances perçues aurait été plus favorable si elles avaient été pratiquées dans des Etats n’ayant pas signé de convention fiscale avec la France plutôt que dans des Etats dont la convention comprend une clause excluant expressément la déductibilité des retenues à la source lorsque l’imputation du crédit d’impôt n’est pas possible.

II. Le cas des retenues à la source non conformes aux dispositions conventionnelles

Le Tribunal administratif de Montreuil a rendu le 1er décembre 2014 (n°1301376) une décision intéressante s’agissant de la déduction d’un impôt prélevé à l’étranger en violation des dispositions conventionnelles. Dans la lignée d’un arrêt du 20 novembre 2002 (n°230530, SA Etablissements Soulès et Cie) par lequel le Conseil d’Etat a jugé que la déduction d’une imposition mise à la charge d’une entreprise par un Etat lié à la France par une convention fiscale ne saurait légalement être refusée à cette entreprise au seul motif que ledit Etat aurait, en l’imposant, enfreint les règles fixées par la convention, ce jugement nous rappelle que la déduction fiscale des retenues à la source n’intéresse pas que les sociétés ou les groupes fiscaux déficitaires.

Dans cette espèce, la société L’Oréal s’est vue appliquer dans un certain nombre d’Etats ayant signé une convention fiscale bilatérale avec la France des retenues à la source à raison de redevances perçues. A l’occasion d’un contrôle, l’administration fiscale française a requalifié les revenus en prestations de services («bénéfices des entreprises» au sens conventionnel) et refusé corrélativement l’imputation des crédits d’impôt correspondant aux retenues à la source pratiquées au motif que les revenus ainsi requalifiés n’étaient imposables qu’en France. A défaut de pouvoir imputer les crédits d’impôt, la société a demandé à déduire le montant des retenues à la source supportées, ce qui lui a été refusé par le Service vérificateur.

Si les circonstances de l’espèce offraient une occasion idéale au TA de Montreuil pour sortir du carcan imposé par les arrêts Egis et Céline, il n’en a pas été ainsi.

Ainsi, et alors même que les revenus en cause avaient été qualifiés de «bénéfices des entreprises» exclusivement imposables en France, le juge a recherché dans les conventions en cause si des stipulations s’opposaient de manière explicite à la déduction des retenues à la source prélevées.

L’analyse circonstanciée des différentes conventions fiscales fournie par L’Oréal semble avoir emporté la conviction du Tribunal pour juger qu’aucune disposition conventionnelle ne s’opposait à la déduction des retenues à la source.

En effet, trois types de rédaction de la clause visant à éliminer les doubles impositions pouvaient être rencontrées dans les conventions :

  • les clauses ne prévoyant aucune restriction relative à la déduction de l’impôt étranger. Sur la base de la jurisprudence Egis, il n’y avait pas lieu de refuser la déductibilité des retenues à la source supportées dans ces Etats ;
  • les clauses prévoyant une imposition en France de certains revenus pour leur montant brut. Or, dans aucune des conventions en cause cette clause ne renvoyait à l’article relatif aux «bénéfices des entreprises» auxquels elle ne s’appliquait donc pas. Ainsi, en l’absence de stipulations conventionnelles spécifiques, rien ne devait s’opposer à la déduction des retenues à la source sur le fondement du droit interne ;
  • enfin, les clauses prévoyant l’imputation d’un crédit d’impôt comme méthode exclusive d’élimination de la double imposition ont pu également être écartées. En effet, une lecture attentive des clauses d’élimination des doubles impositions permettait de constater que dans tous les cas, la méthode exclusive d’imputation du crédit d’impôt ne visait que les revenus imposables à l’étranger et en aucun cas les revenus pour lesquels la France se voit attribuer un droit exclusif de taxer.

Finalement, la méthode consistant à suspendre la déduction des retenues à la source étrangères à une revue des dispositions conventionnelles pour vérifier qu’elles ne s’y opposent pas trouve ses limites pour tous les revenus exclusivement taxables en France et qui auraient supporté une retenue à la source en infraction avec les dispositions conventionnelles.

En effet, dès lors que la convention attribue à la France le droit exclusif de taxer le revenu, il n’existe aucune raison pour qu’elle prévoie une méthode pour éliminer la double imposition de ce revenu.
Espérons que cette décision nourrira le débat sur la portée qu’il convient de donner aux arrêts Céline et Egis, qui ne peuvent s’appliquer de manière uniforme à tous les cas de double imposition.

 

Auteur

Stéphane Bouvier, avocat en droit fiscal.

 

*Déduction des retenues à la source : peut mieux faire !* – Article paru dans le magazine Option Finance le 9 février 2015
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