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Délai de réclamation des retenues à la source : entre clarification et incertitude

Délai de réclamation des retenues à la source : entre clarification et incertitude

Par sa décision Sofina du 2 février 2022 (n° 441511), le Conseil d’Etat clarifie le droit existant en jugeant que le délai dont dispose le bénéficiaire de dividendes pour réclamer la restitution de la retenue à la source qui leur a été appliquée est en principe limité à un an, mais que ce délai plus bref que le délai de réclamation de deux ans est contraire au droit de l’Union européenne. La portée de cette décision demeure toutefois difficile à apprécier.  

 

  1. Rappel de la décision

La société Sofina est une société de droit belge qui avait demandé la restitution des retenues à la source ayant frappé les dividendes de source française dont elle avait bénéficié entre 2008 et 2010, en se prévalant avec succès d’une atteinte à la libre circulation des capitaux auprès de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après Cour de justice)[1].

A la suite de cet arrêt, le Conseil d’Etat avait cassé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles qui avait écarté toute méconnaissance des libertés européennes et renvoyé l’affaire à cette même Cour. Lors de cette nouvelle instance, l’administration fiscale, tirant les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice et de la décision du Conseil d’Etat, avait restitué les retenues à la source prélevées en 2009 et 2010 mais contesté en revanche la recevabilité de la réclamation formée en 2011 en ce qui concerne les retenues à la source prélevées en 2008.

La Cour administrative d’appel de Versailles a fait droit à cette fin de non-recevoir en jugeant cette réclamation tardive au regard des dispositions du b) de la seconde partie de l’article R.196-1 du LPF aux termes desquelles « les réclamations doivent être présentées au plus tard le 31 décembre de l’année suivant celle (…) au cours de laquelle les retenues à la source (…) ont été opérés s’il s’agit de contestations relatives à l’application de ces retenues ». La société a alors contesté cette solution devant le Conseil d’Etat en se prévalant du principe d’équivalence consacré par le droit de l’Union européenne.

Le Conseil d’Etat a censuré le second arrêt de l’arrêt sur la base d’un raisonnement en trois étapes.

Il juge tout d’abord que les réclamations contestant l’application de retenues à la source doivent bien être déposées dans le délai d’un an prévu au b) de la seconde partie de l’article R.196-1 du LPF, et non dans le délai de deux ans prévu par le b) de la première partie de cet article. En application de ces dispositions, le délai de réclamation dont disposait la société pour contester les retenues à la source en litige prélevées en 2008 expirait donc le 31 décembre 2009.

Mais, dans un second temps, il rappelle que le principe du droit de l’Union européenne d’équivalence impose que les modalités procédurales de traitement de situations trouvant leur origine dans l’exercice d’une liberté garantie par le droit de l’Union ne soient pas moins favorables que celles concernant le traitement de situations purement internes. La Haute assemblée précise alors de manière inédite que « lorsqu’il apparaît que le contribuable non-résident a été effectivement traité de manière défavorable, il appartient à l’administration fiscale et, le cas échéant, au juge de l’impôt, d’appliquer au contribuable non-résident des règles procédurales de nature à rétablir une équivalence de traitement ».

Tirant les conséquences de ces principes, le Conseil d’Etat juge alors que « l’application, aux contestations des retenues à la source prélevées sur les dividendes de source française perçues par une société non-résidente, d’un délai de réclamation (…) d’une durée inférieure à celui (…) applicable à la réclamation d’une société résidente contestant l’impôt sur les sociétés dû à raison de ces mêmes dividendes, sans que cette différence soit justifié par une différence objective de situation, méconnaît le principe d’équivalence garanti par le droit de l’Union ». Il en conclut que, dans une telle situation, il y a lieu d’appliquer le délai de deux ans.

Enfin, le Conseil d’Etat juge que la société, qui avait introduit sa réclamation plus de deux ans après le prélèvement de la retenue à la source, ne peut utilement se prévaloir d’un arrêt de la Cour de justice relatif à la législation d’un autre Etat membre pour faire valoir que cet arrêt aurait fait naître un nouveau délai de réclamation en application de l’article L.190 du LPF, dans sa rédaction applicable ratione temporis antérieure à la loi de finances rectificative pour 2012.

  1. Portée de la décision

En ce qui concerne le délai de réclamation applicable aux demandes de restitution des retenues à la source en vertu du droit interne, la solution retenue par la Haute assemblée s’écarte du raisonnement conduit dans deux précédents par lesquels le Conseil d’Etat semblait avoir considéré que les dispositions du b) de la première partie de l’article R.196-1 du LPF (prévoyant un délai de réclamation de deux ans) pouvaient s’appliquer à des situations relevant du champ d’application du b) de la seconde partie de cet article (limitant le délai de réclamation à un an)[2].

Dans ses conclusions, la rapporteure publique Emilie Bokdam-Tognetti a considéré, après une longue analyse de l’historique de ces dispositions, que la lettre du texte ne permettait pas de transposer la solution retenue dans ces deux décisions au cas des retenues à la source pour lesquelles les dispositions claires de la seconde partie de l’article R.196-1 du LPF prévoient un délai d’un an.

Toutefois, cette analyse avait été également appliquée par le Conseil d’Etat dans une configuration exactement identique à celle qui a donné lieu à la décision Sofina, dans laquelle était en jeu une réclamation formée par le bénéficiaire de dividendes de source française pour obtenir la restitution de la retenue à la source[3].

Il en résulte que la décision Sofina doit selon nous, et alors même qu’elle n’a pas été identifiée comme tel dans le fichage de la décision au recueil des décisions du Conseil d’Etat, être regardée comme un revirement de jurisprudence. Or, il résulte de ce revirement que les contribuables ayant déposé leur réclamation au-delà du délai d’un an, mais avant l’expiration du délai de deux ans, verraient leur demande rejetée alors qu’ils n’avaient pas le moyen d’anticiper un tel revirement de jurisprudence.

Dans ces conditions, il ne peut être exclu que l’application du délai d’un an porterait atteinte au droit au recours effectif protégé par les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) et au droit au respect des biens protégé par l’article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH. Il appartiendrait alors selon nous au juge administratif de limiter l’application de la décision Sofina aux réclamations formées à compter du 2 février 2022 seulement, comme il doit d’ailleurs en principe le faire en vertu de la jurisprudence issue de la décision d’Assemblée Société Tropic Travaux Signalisation [4].

En tout état de cause, le principe d’équivalence doit conduire à appliquer le délai de deux ans dans le cas où l’application du délai d’un an conduit à un traitement moins favorable par rapport aux situations purement internes de situations « trouvant leur origine dans l’exercice d’une liberté garantie par le droit de l’Union ».

Tel sera généralement le cas pour les retenues à la source prélevées sur des revenus dont bénéficie un contribuable établi dans un autre Etat membre de l’Union européenne mais cette solution ne nous semble pas nécessairement transposable aux contribuables établis dans des Etats tiers, pour lesquels l’invocation des libertés européennes obéit à des règles plus strictes.

Il en résulterait dès lors une différence de traitement qui viendrait s’ajouter à celle constatée selon que la retenue à la source est acquittée spontanément, auquel cas le délai d’un an s’applique, ou fait l’objet d’un rappel d’imposition auquel cas le délai de réclamation est celui de la première partie de l’article R.196-1 du LPF, soit deux ans.

Ne faudrait-il pas alors s’interroger sur la conformité à la Constitution des différences de traitement instituées par les deux parties de l’article R.196-1 du LPF ? Cette question ne semble curieusement jamais avoir été soumise au juge de l’impôt, alors même que, s’agissant de dispositions de nature réglementaire depuis 1981, sa compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité de ces dispositions ne fait aucun doute.

Article paru dans Option Finance le 09/05/2022

[1] CJUE 22 novembre 2018 C-575/17, Sofina E.A.

[2] CE 5 juillet 2010 n° 310945, SNC Serater ; CE 15 avril 2016 n° 385737, Mori

[3] CE 24 janvier 2018 n°402167, California public employees’ retirement system

[4] CE Assemblée 16 juillet 2007 n° 291545, Société Tropic Travaux Signalisation.

Auteurs

Stéphane Austry, avocat associé en droit fiscal

Dov Milsztajn, avocat en droit fiscal

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