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Destination administrative ou contractuelle, un couple mal assorti ?

Destination administrative ou contractuelle, un couple mal assorti ?

La question de la destination des locaux se pose systématiquement lors de la signature de baux commerciaux. L’utilisation autorisée au titre du bail suppose que le bailleur ait bien appréhendé la situation administrative des locaux au regard de la réglementation relative à la destination et à l’usage. Ces deux notions, distinctes, sont définies par le Code de l’urbanisme et par le Code de la construction et de l’habitation.

Destination et droit de l’urbanisme

Le décret n°2015-1783 du 28 décembre 2015 complété par un arrêté du 10 novembre 2016 a récemment modifié les règles relatives au contrôle des destinations en matière d’urbanisme.

Les différentes catégories de destination des constructions sont dorénavant limitées à cinq1, contre neuf auparavant.

Cette simplification n’est toutefois que de façade dès lors que pas moins de vingt-et-une sous-destinations ont été créées, permettant ainsi aux auteurs des plans locaux d’urbanisme d’adopter des règles différentes pour chacune d’elles et imposant également, en fonction de la nature des travaux, un contrôle a priori du passage de l’une à l’autre de ces destinations ou sous-destinations.

Le changement de destination est ainsi contrôlé selon deux régimes distincts d’autorisation : il doit faire a minima l’objet d’une déclaration préalable ou, lorsque les travaux portent sur la structure porteuse ou la façade du bâtiment, d’un permis de construire. Les changements de sous-destination sont eux aussi contrôlés, mais uniquement lorsqu’ils s’accompagnent de tels travaux.

Hors cette hypothèse, le changement de sous-destination ne requiert pas d’autorisation.

Par exemple, la destination « commerce et activité de service » comporte les sous-destinations suivantes :

  • artisanat et commerce de détail ;
  • restauration ;
  • commerce de gros ;
  • activité de service où s’effectue l’accueil d’une clientèle ;
  • hébergement hôtelier ou touristique ;
  • cinéma.

En l’absence de travaux lourds, le changement d’un local « artisanat » pour une activité de commerce de détail ne fait plus l’objet d’un contrôle puisque ces deux activités relèvent de la même destination « commerce et activité de service » ainsi que de la même sous-destination.

Au-delà de la nécessité d’obtenir une autorisation d’urbanisme préalable, se pose également la question de la faisabilité du projet au regard des règles du plan local d’urbanisme, celui-ci pouvant comporter des règles différenciées selon les destinations ou sous-destinations (par exemple pour favoriser la mixité sociale et fonctionnelle). A cet égard, même si aucune autorisation préalable n’est requise, il n’en demeure pas moins que le projet devra respecter les règles du plan local d’urbanisme.

Usage et Code de la construction et de l’habitation

Les dispositions relatives au changement d’usage ont pour objet la protection des logements existants dans certaines communes.

L’article L.613-7 du Code de la construction et de l’habitation soumet à autorisation préalable du maire le changement d’usage des locaux d’habitation (apprécié selon leur affectation au 1er janvier 1970 ou celle résultant des autorisations d’urbanisme délivrées ultérieurement) pour tout autre usage. L’autorisation revêt un caractère personnel (lorsqu’elle est donnée pour une durée limitée, liée à l’activité du bénéficiaire) ou réel (lorsqu’elle est attachée au local). Dans ce dernier cas, la délivrance de l’autorisation suppose de « compenser » les locaux d’habitation supprimés, c’est-à-dire de transformer concomitamment en habitation des locaux ayant un autre usage.

Les conséquences sur le bail d’un changement d’usage irrégulier, c’est-à-dire sans autorisation préalable, sont radicales puisque dans une telle hypothèse celui-ci sera considéré comme nul de plein droit2.

Destination/usage administratifs et destination contractuelle

Compte tenu de l’obligation énoncée à l’article 1719 du Code civil, selon laquelle le bailleur est tenu, par la nature du contrat, de délivrer au preneur la chose louée, ce dernier doit s’interroger sur la compatibilité de la destination contractuelle avec la destination et l’usage administratifs.

Au titre de cette obligation de délivrance, dont le respect s’impose tout au long du bail mais également dès sa conclusion, le bailleur doit délivrer des locaux permettant l’exercice de l’activité prévue par le bail et aucune disposition contractuelle ne peut l’en exonérer. La mise à disposition du bien objet du bail est en effet l’essence même du contrat de louage.

C’est par exemple en ce sens que s’est prononcée la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 19 décembre 2012 (n°11-28.170), relatif à un bail disposant expressément que le preneur devait faire son affaire personnelle des autorisations administratives nécessaires à son activité prévue au bail et stipulant que l’autorisation donnée au preneur d’exercer cette activité n’impliquait de la part du bailleur aucune garantie pour l’obtention de ces autorisations.

Ainsi, lorsqu’un local, précédemment loué pour une activité de prêt-à-porter (sous-destination « artisanat et commerce de détail ») doit être loué pour accueillir une agence bancaire (sous-destination « activité de service où s’effectue l’accueil de la clientèle ») et que des travaux portant sur la structure porteuse ou sur la façade du bâtiment sont nécessaires, il est recommandé de prévoir une condition suspensive relative à l’obtention d’un permis de construire autorisant ce changement de sous-destination.

Si l’utilisation du locataire implique un changement d’usage d’un local d’habitation, même partiel, en l’état de la jurisprudence, l’autorisation devra être obtenue préalablement à la signature du bail, le mécanisme de la condition suspensive étant à exclure3.

L’obligation de délivrance est également opposable au bailleur en cas d’adjonction, en cours de bail, d’une nouvelle destination contractuelle par rapport à celle prévue initialement, y compris lorsque cette nouvelle destination est imposée au bailleur dans le cadre d’une déspécialisation partielle ou plénière.

Il est enfin utile de rappeler que le bailleur est tenu de délivrer au preneur un local en état d’être exploité pour l’ensemble des activités autorisées par le bail, quand bien même le preneur n’exploiterait qu’une seule de ces activités.

Notes
1 Exploitation agricole et forestière ; habitation ; commerce et activités de service ; équipements d’intérêt collectif et services publics ; autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire (sont supprimées comme destinations : bureaux ; artisanat ; hébergement hôtelier ; industrie et entrepôt qui constituent désormais des sous-destinations).
2 Article L.631-7 du Code de la construction et de l’habitation.
3 Cass. 3e civ., 10 juin 2015 (n°14-15.961) ; CA Paris, 28 octobre 2015, n°15/01609.

 

Auteurs

Florence Cherel, avocat associé, droit immobilier et droit public

Céline Cloché-Dubois, avocat counsel, droit de l’urbanisme et de l’environnement

Jean-Marc Peyron, avocat counsel, droit immobilier

 

Destination administrative ou contractuelle, un couple mal assorti ? – Article paru dans La Lettre de l’Immobilier (supplément du numéro 1449 du magazine Option Finance) le 12 février 2018