Information précontractuelle insuffisante : seul un vice du consentement peut justifier l’annulation du contrat de gérance-mandat

29 juin 2015
La gérance-mandat organisée par l’article L. 146-1 du Code de commerce consiste pour un mandant, propriétaire d’un fonds de commerce, à en confier la gestion à une personne tierce, moyennant le versement d’une commission proportionnelle au chiffre d’affaires.
Le mandant supporte les risques de l’exploitation, et confie à son gérant la mission de gérer ce fonds en lui fixant des objectifs, le gérant étant libre des moyens qu’il va mettre en œuvre pour la réaliser.
Dans le cadre de la conclusion de ce contrat, comme dans un certain nombre d’autres contrats régissant les rapports de distribution, l’article L. 146-2 du Code de commerce instaure une obligation d’information précontractuelle, sans prévoir de sanctions spécifiques en cas de manquement. La Cour de cassation vient de se prononcer sur cette question, jusqu’alors en suspens.
Au cas d’espèce, une société avait conclu avec l’une de ses anciennes salariées un contrat de gérance-mandat. Le dossier d’information précontractuel fourni à cet effet ne contenait pas, aux dires de la gérante-mandataire, toutes les informations nécessaires à sa complète compréhension de ce statut et de ses implications. Par ailleurs, ce dossier lui avait été remis la veille de la signature du contrat de gérance-mandat, alors que l’article D. 146-2 du Code de commerce impose de respecter un délai de dix jours avant de conclure ledit contrat. Après la résiliation de son mandat en 2011 pour faute grave, la gérante avait assigné son mandant devant le tribunal des prud’hommes, en arguant de la nullité du contrat de gérance-mandat pour manquement à l’obligation d’information précontractuelle, et en demandant sa requalification en contrat de travail.
La Chambre sociale de la cour d’appel de Reims, saisie du litige, avait fait droit à sa demande, en jugeant que « en considération du niveau de formation de madame […] cette formalité [d’information précontractuelle] n’a pas été de nature à lui permettre de comprendre sans équivoque les effets de son futur mandat, notamment la différence entre un contrat de responsable de magasin salariée et celui de mandataire-gérant« . Elle en a déduit un vice du consentement justifiant l’annulation du contrat (CA Reims, 15 mai 2013, RG 12/01268).
La Cour de cassation vient de sanctionner cette analyse, en jugeant que les motifs retenus par la cour d’appel étaient « impropres à caractériser par eux-mêmes un vice du consentement aux sens des articles 1109 et 1110 du Code civil » (Cass Soc, 18 février 2015, n°13-20.580). En effet, l’article 1110 du Code civil dispose que la nullité d’un contrat ne peut être prononcée qu’en cas d’erreur sur la substance de la chose. La cour d’appel aurait donc dû rechercher si l’insuffisance d’information et le court délai avaient été de nature à avoir induit la gérante en erreur sur les caractéristiques essentielles du contrat de gérance-mandat.
La Cour de cassation consacre ainsi implicitement la solution selon laquelle le manquement à l’obligation d’information précontractuelle prévue en matière de gérance-mandat ne peut justifier la nullité du contrat que s’il a vicié le consentement du gérant-mandataire. Cette décision est conforme à celles rendues par la Cour de cassation en matière de location-gérance (Cass. com., 10 février 1998, n°95-21.906) et de franchise (voir notamment Cass. com, 28 mai 2013, n° 11-27.256, commenté dans notre lettre des réseaux de distribution de septembre 2013).
Si cette solution est logique s’agissant du contenu du document d’information précontractuel, on peut en revanche s’interroger sur sa pertinence s’agissant du non-respect du délai de 10 jours que le Code de commerce impose entre la remise des informations et la signature du contrat de gérance-mandat… La cour d’appel de Reims considère en effet qu’eu égard à son niveau de formation, la gérante-mandataire, qui s’était vu remettre le document d’information la veille de la signature, n’avait pu prendre connaissance des éléments substantiels du contrat, alors que ce délai devrait être respecté nonobstant le niveau de compétence du gérant-mandataire pressenti. La Cour de cassation ne revient pas sur ce point. Peut-être la cour d’appel de renvoi corrigera-t-elle cette lacune?
Auteur
Brigitte Gauclère, Avocat Counsel en droit commercial et de la distribution
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