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Intérêts de retard dans les groupes intégrés

Intérêts de retard dans les groupes intégrés

Comment calculer les intérêts de retard en cas de rectification d’un exercice demeurant déficitaire ? La réponse inédite du Conseil d’État.

Par une récente décision Elior Group[1], le Conseil d’État a clarifié, de manière inédite, les règles de computation des intérêts de retard lorsque le résultat d’ensemble demeure déficitaire à la suite des rectifications notifiées à une filiale intégrée.

  1. La rectification d’un résultat déficitaire ne marque pas l’arrêt du décompte des intérêts de retard en l’absence d’imposition supplémentaire

Par une proposition de rectification du 20 décembre 2012, l’administration a rectifié le résultat individuel de la société Elior Participations et lui a infligé une pénalité pour manquement délibéré. Ces rehaussements ont réduit le déficit de la filiale intégrée, et corrélativement le déficit d’ensemble reportable déclaré par la société tête de groupe au titre de l’exercice 2009.

Par une proposition de rectification du 11 décembre 2014, l’administration a tiré les conséquences de la remise en cause du déficit d’ensemble déclaré en 2009 en notifiant un rehaussement au titre de l’exercice 2011, premier exercice bénéficiaire compte tenu de la réduction du déficit reportable.

Estimant que c’est la proposition de rectification notifiée à la société mère au titre de l’exercice d’imputation du report déficitaire rectifié qui interrompt le décompte des intérêts de retard, l’administration les a arrêtés au 31 décembre 2014.

Considérant à l’inverse que leur décompte devait cesser au 30 décembre 2012, soit le dernier jour du mois suivant la notification de la proposition de rectification à la filiale intégrée au titre de l’exercice déficitaire, la requérante a demandé la réduction partielle des intérêts de retard. Sa demande fût rejetée par les juges du fond[2].

Pour résoudre ce litige, le Conseil d’État devait d’abord déterminer comment l’article 1727, IV-4 du CGI s’applique lorsque les rehaussements pratiqués réduisent un résultat déficitaire (puisque l’administration doit alors émettre une nouvelle proposition de rectification pour tirer les conséquences de la réduction du déficit reportable sur le premier exercice bénéficiaire). Il devait ensuite déterminer comment transposer cette solution au sein d’un groupe fiscalement intégré.

A. La proposition de rectification établissant des suppléments d’impôts emporte l’arrêt du décompte des intérêts de retard

Les intérêts de retard visent à réparer le prix du temps. Ils sont dus par les redevables de créances fiscales qui ne s’en sont pas acquittés dans les délais légaux afin d’indemniser le Trésor public en raison de l’encaissement tardif de ses créances et ne constituent ainsi pas une sanction fiscale[3].

En principe, ils sont calculés à compter du premier jour du mois suivant celui au cours duquel l’impôt devait être acquitté jusqu’au dernier jour du mois du paiement[4]. La loi ménage cependant des exceptions en faveur du contribuable lorsque l’administration notifie une proposition de rectification après avoir relevé un défaut, un retard ou une insuffisance de déclaration[5]. Dans ces hypothèses, le décompte est arrêté au dernier jour du mois de la proposition de rectification[6], et aucun intérêt ne court plus jusqu’à la mise en recouvrement des suppléments d’impositions.

Tirant les conséquences de la finalité réparatrice des intérêts de retard, le Conseil d’État a d’abord précisé que la « proposition de rectification » visée par l’article 1727, IV-4 du CGI, qui interrompt le décompte des intérêts de retard, s’entend de la première proposition de rectification régulière notifiant au contribuable un supplément d’impôt, dont l’absence d’acquittement dans le délai légal a causé un préjudice au Trésor public et déclenché le décompte de ces intérêts.

Il en déduit que, lorsque l’administration remet en cause le montant du déficit déclaré au titre d’un exercice, mais que la société demeure déficitaire (de sorte qu’aucun supplément d’impôt n’est dû au titre de cet exercice), c’est la proposition de rectification qui tirera les conséquences de la réduction du déficit reportable sur le premier exercice bénéficiaire qui révèlera tant le point de départ des intérêts (le premier jour du mois suivant celui au cours duquel l’impôt de ce premier exercice bénéficiaire aurait dû être acquitté), que leur point d’arrivée (le dernier jour du mois de la notification de cette seconde proposition de rectification).

B. La proposition de rectification notifiée à la société intégrante au titre de l’exercice d’imputation du déficit interrompt le décompte des intérêts de retard

La transposition de cette solution en cas de rectification du résultat déficitaire d’un groupe intégré a conduit le Conseil d’Etat à suivre l’analyse de l’administration. Il a en effet considéré que la proposition de rectification notifiée à une filiale intégrée au titre d’une période caractérisée par un résultat d’ensemble qui demeure déficitaire ne révèle aucun supplément d’impôt au titre de l’exercice rectifié, et ne peut donc être regardée comme déterminant le terme du décompte des intérêts mis à la charge de la société mère au titre d’une période ultérieure.

Dans l’affaire Elior Group, la proposition de rectification qui interrompt ce décompte est celle qui a fait apparaitre une créance fiscale au profit du Trésor, à savoir celle du 11 décembre 2014 par laquelle l’administration a notifié un supplément d’impôt au titre du premier exercice bénéficiaire du groupe.

La présente solution complète ainsi la décision Société France Télécom[7] par laquelle le Conseil d’État a notamment jugé que, lorsque les rectifications prononcées à l’encontre d’une société intégrée ont pour effet de réduire son déficit propre et corrélativement d’augmenter le bénéfice d’ensemble imposable, alors l’administration est fondée à mettre à la charge de la société mère intégrante les intérêts de retard résultant des rehaussements.

  1. Un mode d’emploi des situations dans lesquelles s’applique le principe d’unicité de la procédure au sein des groupes

La décision Elior Group étaye de manière bienvenue l’édifice jurisprudentiel par lequel le Conseil d’État clarifie la procédure de rectification applicable en présence d’un groupe d’intégration fiscale.

A. Le principe d’unicité au niveau du groupe

Le Conseil d’État a déduit un principe d’unicité de la procédure de rectification à partir des dispositions de l’article 223 A, II du CGI qui prévoient qu’à l’issue des procédures de contrôle et de rectification menées à l’encontre des sociétés intégrées, seule la société mère supporte les conséquences financières des manquements commis par les sociétés intégrées tant au regard des impositions supplémentaires, que des intérêts de retard et de certaines sanctions fiscales[8].

Selon ce principe, l’administration n’est pas tenue de motiver les rehaussements des résultats individuels des filiales lorsqu’elle informe la société intégrante des conséquences financières de ces rectifications avant leur mise en recouvrement, seule une référence aux procédures de rectification étant requise[9], ainsi que l’indication du montant et des modalités de détermination des pénalités[10]. De même, seule la société intégrante a en principe qualité pour contester tant les impositions primitives que celles résultant des rehaussements de ses filiales intégrées[11].

L’application de ce principe n’est toutefois pas absolue comme en témoignent les règles relatives aux délais de réclamation. Certes, la proposition de rectification adressée à une société intégrée interrompt la prescription à l’égard de la société mère en tant que redevable de l’impôt[12]. Néanmoins, ce délai est « tunnélisé » aux rehaussements respectifs de chaque société pour l’application du délai de réclamation de l’article R. 196-3 du LPF[13].

Ainsi le principe de procédure unique se fissure lorsqu’il semble au juge de l’impôt que l’objet même de la loi requiert une application au niveau individuel[14].

B. Un principe qui ne joue pas toujours en matière d’intérêts de retard

S’agissant ici du calcul des intérêts de retard, on comprend que le principe d’unicité de la procédure aurait vocation à s’appliquer dans l’hypothèse où la rectification du résultat d’une filiale au titre d’un exercice conduit à augmenter le résultat d’ensemble de ce même exercice. La proposition de rectification adressée à la filiale devrait dès lors être regardée comme celle révélant le supplément d’impôt, et donc mettant fin au décompte des intérêts de retard.

À l’inverse, lorsque la proposition de rectification notifiée à la filiale n’entraine pas de supplément d’imposition au titre du même exercice, c’est au seul niveau de la société mère que la remise en cause de l’imputation du déficit peut avoir lieu au titre d’un exercice ultérieur. Cette hypothèse n’entre pas dans le champ de l’article 223 A, II du CGI dès lors que l’intégration fiscale aboutit à une appropriation par le groupe des déficits individuels des sociétés[15]. La proposition de rectification qui interrompt le calcul des intérêts est donc celle notifiée à la mère au titre de son premier exercice bénéficiaire.

[1] CE 5 novembre 2021, n° 431747, Elior Group.

[2] CAA Versailles, 28 mai 2019 no 17VE03964, SA Elior Group.

[3] Avis CE Ass., 12 avril 2002, no 239693, SA financière Labeyrie.

[4] CGI, art. 1727, IV-1.

[5] CGI, art. 1728 et 1729.

[6] CGI, art. 1727, IV-4.

[7] CE 2 juin 2010 n° 309114, Sté France Télécom.

[8] CGI, art. 1728, 1729, 1731 et 1732.

[9] CE 7 février 2007, n° 279588, min. c/ Sté Weil Besançon.

[10] CE 25 juin 2020, n° 421095 et 421096, min. c/ Sté BNP Paribas.

[11] CE 13 décembre 2017, n° 398726, Sté Bank PLC Paris Branch.

[12] CE 13 décembre 2013, n° 338133, EURL Pub Finance.

[13] CE 26 janvier 2021, n° 438217, Sté Vicat.

[14] CE 4 novembre 2020, n° 423408, SASU Compagnie financière de Brocéliande.

[15] CGI, art. 223 E.

Auteurs

Sarah Dardour-Attali, avocat counsel en droit fiscal

Adrien Merchadier, avocat en droit fiscal

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