L’assouplissement par la loi du 15 avril 2013 du cadre juridique de l’implantation des éoliennes terrestres en zone littorale dans les départements d’outre-mer
3 juin 2014
La loi n° 2013-321 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes comporte plusieurs dispositions relatives au développement des éoliennes terrestres.
Ces mesures sont venues modifier trois aspects de leur régime juridique : elles ont d’abord assoupli les conditions de réalisation de parcs éoliens dans les départements d’outre-mer, elles ont ensuite allégé en métropole les contraintes économiques mises par le législateur au développement des installations grâce à la suppression des zones de développement de l’éolien et de la règle dite des cinq mâts, elles ont enfin prescrit la prise en compte des schémas régionaux éoliens par l’autorisation d’exploitation.
C’est l’assouplissement du régime applicable dans les départements d’outre-mer qui retiendra ici notre attention.
De manière générale, l’article 3 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite « loi Littoral », a inséré des dispositions spécifiques au littoral au sein du droit de l’urbanisme : ces articles L. 146-1 à L. 146-9 constituent le chapitre VI du titre IV du livre 1er du code de l’urbanisme. Le I de l’article L. 146-4 prévoit ainsi que, dans les communes littorales, « l’extension de l’urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et vilages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement ».
La juridiction administrative a eu l’occasion d’appliquer ce principe de l’urbanisation en continuité dans la zone littorale aux éoliennes. Le Tribunal administratif de Rennes (28 février 2008, Penfeunten et autres et association Les Abers, req. 0501812), suivi sur ce point par la Cour administrative d’appel de Nantes (28 janvier 2011, Sté Néo Plouvien, req.08NT01037) a prononcé l’annulation du permis de construire huit aérogénérateurs situés sur le territoire d’une commune du département du Finistère. Le Conseil d’Etat a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel (14 novembre 2012, Sté Néo Plouvien, req.347.778), en considérant que la construction d’éoliennes constitue une « extension de l’urbanisation ». Dès lors, dans la mesure où un parc éolien ne peut être lui-même qualifié de hameau, la construction d’éoliennes doit nécessairement respecter la règle de continuité avec l’urbanisation existante.
Les possibilités de développement des projets éoliens dans les communes littorales ont été encore réduites par les dispositions de l’article 90 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite « loi Grenelle II », codifiées à l’article L. 553-1 du code de l’environnement, selon lesquelles l’autorisation d’exploiter une éolienne dont la hauteur des mâts dépasse 50 mètres est « subordonnée à l’éloignement des instalations d’une distance de 500 mètres par rapport aux constructions à usage d’habitation, aux immeubles habités et aux zones destinées à l’habitation définies dans les documents d’urbanisme ».
Ainsi, dans ces communes, qui bénéficient souvent d’une forte exposition au vent, l’application stricte par le juge de textes eux-mêmes très rigoureux a quasiment interdit la création de parcs éoliens. C’est d’ailleurs sur cette remarque que se refermait le rapport du sénateur Roland Courteau sur la proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre(1) : « l’obligation d’urbanisation en continuité des zones déjà urbanisées jointe à l’obligation d’implanter les éoliennes à distance des locaux d’habitation rend toute implantation impossible ».
Le problème était naturellement exacerbé dans les départements d’outre-mer, où la majorité des communes sont situées en zone littorale. L’absence de dérogation au principe d’urbanisation en continuité empêchait tout simplement les départements d’outre-mer de développer l’éolien terrestre(2), alors même que ces zones qui ne sont pas connectées au réseau public de transport ont particulièrement besoin de déve-lopper une production électrique autonome(3). Certaines collectivités ultramarines avaient d’ailleurs réagi : une délibération du conseil régional de Guadeloupe, habilité à fixer des règles spécifiques à ce département d’outre-mer en matière de maîtrise de la demande d’énergie et de développement des énergies renouvelables, a par exemple écarté, à la fin de l’année 2012, les dispositions de la loi Littoral freinant le développement de l’éolien(4).
Le législateur a pris conscience du caractère excessif de ces contraintes et de leur contradiction avec les ambitions collectives en ce qui concerne le développement des sources d’énergie d’origine renouvelable, après que le conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et celui de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGEIET) ont remis en septembre 2012 au gouvernement leur rapport conjoint sur le Développement de l’énergie éolienne terrestre dans les DOM et en Corse(5). Il a assoupli le régime juridique des éoliennes à terre dans la loi du 15 avril 2013, en le bornant cependant au cas le plus critique : celui des communes littorales situées dans des départements d’outre-mer et des communes de Mayotte. Et ce, malgré les amendements déposés lors de la discussion du texte en vue d’étendre cet assouplissement à toutes les communes littorales. En effet, Mme Batho, alors ministre de l’écologie, a expliqué au Parlement, lors des débats, qu’en dehors du littoral, les espaces ne manquent pas en métropole ; elle a ainsi exprimé un avis défavorable à une « dérogation généralisée à la loi Littoral [qui] est une loi fondamentale qui doit être préservée (…) ».
L’article L. 156-1 du code de l’urbanisme dispose toujours que les dispositions du chapitre VI du titre IV du livre 1er du code de l’urbanisme sont applicables « en Guadeloupe, Guyane, Martinique et la Réunion » aux « communes littorales définies à l’article L. 321-2 du code de l’environnement (…) » ainsi qu’à l’ensemble des communes de Mayotte, sous réserve des dispositions prévues aux articles L. 156-2 à L. 156-4 du code de l’urbanisme. En revanche, l’article 26 de la loi du 15 avril 2013 est venu réécrire l’article L. 156-2 du même code, qui prévoit désormais que, « pour leur application dans les communes mentionnées à l’article L. 156-1, les I à II de l’article L. 146-4 sont remplacés par quinze alinéas ainsi rédigés : « L’extension de l’urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et vilages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement. (…) Par dérogation ( …) l’implantation des ouvrages nécessaires à la production d’électricité à partir de l’énergie mécanique du vent qui sont incompatibles avec le voisinage des zones habitées peut être autorisée par arrêté du représentant de l’Etat dans la région, en dehors des espaces proches du rivage, après avis de la commission départementale compétente en matière de nature, de paysages et de sites et des ministres chargés de l’urbanisme, de l’environnement et de l’énergie. En l’absence de réponse dans un délai de deux mois, les avis sont réputés favorables ».
Cependant, le Préfet peut refuser cette autorisation « si les constructions ou instalations sont de nature à porter atteinte à l’environnement ou aux sites et paysages remarquables ou si elles sont incompatibles avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière ». Ces dispositions ont été contestées devant le Conseil constitutionnel par des parlementaires, aux motifs, d’une part, que les dispositions relatives à l’implantation des éoliennes outre-mer ne présentaient aucun lien avec le texte initial de la proposition de loi et, d’autre part, qu’elles méconnaissaient la Charte de l’environnement et plus particulièrement son article 6.
Sur le premier point, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions en cause présentaient un lien avec la proposition de loi, puisqu’elles permettaient d’accélérer « la transition vers un système énergétique sobre ».
Sur le deuxième, il faut souligner que l’article 6 de la Charte de l’environnement dispose que « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ». Le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il appartient au législateur de déterminer, dans le respect du principe de conciliation posé par ces dispositions, les modalités de sa mise en œuvre et que, si le législateur a entendu favoriser l’implantation des éoliennes et le développement des énergies renouvelables, l’implantation des premières reste en particulier assujettie aux autres règles d’urbanisme et à la législation des installations classées pour la protection de l’environnement, de sorte que « le législateur n’avait pas méconnu les exigences de l’article 6 de la Charte de l’environnement » puisqu’il a précisément opéré une conciliation entre les considérations d’intérêt général que sont la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social.
Désormais, l’implantation d’éoliennes terrestres dans les départements d’outre-mer peut donc être autorisée, à trois conditions : tout d’abord, il convient que l’implantation soit prévue en dehors des espaces proches du rivage ; le préfet doit ensuite recueillir les avis de la commission départementale compétente en matière de nature, de paysages et de sites et des ministres chargés de l’urbanisme, de l’environnement et de l’énergie ; enfin, les constructions ou installations ne doivent pas être de nature à porter atteinte à l’environnement, aux sites et aux paysages, ni être incompatibles avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière (ce qui est souvent reproché aux éoliennes). La mise en œuvre de cette dérogation dans les communes littorales des départements d’outre-mer ne sera donc pas aisée pour les préfets, qui auront à opérer cette délicate appréciation.
Notes
1. Rapport n° 70 (2012-2013) du sénateur M. Roland Courteau fait au nom de la commission des affaires économiques déposé le 23 octobre 2012.
2. Voir par exemple les discussions sous l’article 12 quater (nouveau) retranscrites dans le rapport n° 579 du député M.François Brottes fait au nom de la commission des affaires économiques.
3. Comme l’a rappelé le député François Brottes lors des débats de la troisième séance du jeudi 4 octobre 2012 devant l’Assemblée nationale, à propos de l’amendement n° 458.
4. Délibération du 8 octobre 2012 du conseil régional de la Guadeloupe relevant du domaine de la loi relative à l’implantation des éoliennes en zone littorale (JORF n° 0054 du 5 mars 2013, page 4006).
5. Rapport conjoint CGEDD / CGEIET (rapport CGEDD n° 008203-01 et rapport CGEIET n° 2012-04), Développement de l’énergie éolienne terrestre dans les DOM et en Corse, septembre 2012.
Auteurs
Christophe Barthélemy, avocat associé en droit de l’énergie, droit public
Jean-Luc Tixier, avocat associé en droit immobilier, baux & construction, droit public.
Céline Cloché-Dubois, avocat en droit de l’énergie, environnement, droit public, droit immobilier & construction.
Aurore-Emmanuelle Rubio, avocat en droit des contrats
Article paru dans E.N.R. & Développement Durable/Maison Chaleur Bio Magazine n°43 le 6 novembre 2013
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