Les abandons de créances consentis à ses filiales par une société à la fois holding et centrale de référencement de son groupe ont une nature commerciale et sont donc déductibles
On sait que les entreprises qui consentent des aides à leurs filiales ne peuvent pas déduire les « aides de toute nature consenties à une autre entreprise, à l’exception des aides à caractère commercial » (CGI, art. 39-13).
Cette disposition n’empêche pas la déduction fiscale des aides à caractère commercial accordées par une société à ses filiales, mais elle interdit toute déduction fiscale des abandons de créance à caractère financier consentis à une filiale, française ou étrangère, quels qu’en soient la forme et le régime fiscal, sous réserve des aides consenties à une filiale en difficulté soumise à une procédure collective.
Cette réglementation, issue de la seconde loi de finances rectificative pour 2012 (loi n°2012-958 du 16 août 2012), succède à une jurisprudence qui établissait déjà une différence entre les abandons de créance pour raisons commerciales consentis par une société mère, qui constituaient une charge déductible de ses bénéfices imposables, et les abandons de créance à caractère financier, qui pouvaient être déductibles sous certaines conditions restrictives mais étaient considérés comme un supplément du prix de revient de la participation de la société mère dans la mesure où ils ont pour effet de revaloriser cette participation (CE, 30 avril 1980 n°16253).
En pratique, en cas d’aide à caractère financier, lorsque la situation nette de la société bénéficiaire de l’abandon de créance demeurait négative à la suite de la remise de dette, la perte qui en résultait pour la ou les sociétés créancières était entièrement déductible de leurs résultats. En revanche, lorsque la situation nette précédemment négative de la société bénéficiaire devenait positive à la suite de la remise de dette, la perte qui en résultait pour la société auteur de l’abandon n’était déductible qu’à concurrence : d’abord du montant de la situation nette négative antérieure à l’abandon, ensuite de la situation nette positive, mais seulement dans la proportion de la fraction du capital de la société bénéficiaire de la remise de dette qui est détenue par les autres associés.
Autant dire que, dès avant la modification législative intervenue en 2012, l’enjeu entre aide à caractère commercial et aide à caractère financier était déjà crucial car seules les premières étaient entièrement déductibles. Or, si en théorie la qualification de l’aide est assez simple à déterminer, en pratique, la frontière n’est pas évidente et donne lieu à d’âpres discussions avec le vérificateur.
Cas d’une holding qui fournit des prestations de référencement à ses filiales
Une société holding, contrôlant des sociétés de distribution dont elle détenait de 99,5% à 100% du capital et auxquelles elle facturait diverses prestations avait consenti, au cours des exercices clos en 2006, 2007 et 2008, des abandons de créances à certaines de ses filiales. L’administration estimait que ces abandons de créance présentaient un caractère financier et n’avait admis que partiellement la perte correspondante en déduction des résultats de la société requérante (en application des règles applicables avant la loi d’août 2012 susvisée). La société soutenait pour sa part que les abandons de créance en cause revêtaient un caractère commercial.
La Cour administrative d’appel a considéré que la société mère n’avait pas de relations commerciales avec ses filiales pour lesquelles elles ne réalisait que des opérations de courtage sans prendre d’engagement s’agissant de la bonne exécution des contrats conclus entre elles et leurs fournisseurs. Elle en a déduit que les abandons de créance litigieux ne revêtaient pas un caractère commercial, quand bien même les dividendes perçus des filiales étaient inférieurs aux chiffres d’affaires réalisés avec elles.
L’affaire est portée devant le Conseil d’Etat qui constate toutefois qu’il ressort des pièces du dossier que la société mère n’était pas seulement une société holding, mais qu’elle fournissait également à ses filiales des prestations de référencement, négociant à cet effet à des conditions tarifaires favorables avec les fournisseurs du groupe. Elle entretenait ainsi des relations commerciales avec ses filiales, avec lesquelles elle réalisait l’essentiel de son chiffre d’affaires, dont le montant était au demeurant très supérieur à celui des dividendes que lui versaient les mêmes filiales. C’est sur la base de ces constatations que le Conseil d’Etat considère que la Cour administrative d’appel a donné aux faits qui lui étaient soumis une qualification juridique erronée en jugeant que l’abandon de créance avait un caractère financier.
Redevenu juge du fond, le Conseil d’Etat juge s’appuie sur les éléments ci-dessus pour réitérer le caractère commercial de l’abandon de créances dès lors que le chiffre d’affaires de la société holding était presque uniquement procuré par ces prestations de service facturées aux sociétés de distribution qu’elle contrôlait, caractérisant ainsi des relations commerciales avec ces sociétés. Le Conseil d’Etat note également que la défaillance éventuelle des sociétés concernées aurait été de nature à amputer significativement sa propre activité. Les abandons de créance accordés sont ainsi reconnus déductibles en totalité (CE, 7 février 2018, n°398676, SARL France Frais).
Quelle portée donner à cette décision ?
On sait que selon la doctrine administrative, le fait qu’une société mère ou qu’une société du groupe assure, pour le compte de ses filiales ou des autres sociétés du groupe, des services internes d’intérêt commun n’est pas, en principe, de nature à caractériser des relations commerciales significatives (BOI-BIC-BASE-50-10 n°160 à jour au 19 janvier 2013). Mais la situation de la société holding était ici assez particulière puisqu’elle jouait au sein du groupe le rôle de centrale de référencement pour une quarantaine de distributeurs de produits frais. Elle centralisait ainsi la négociation et les approvisionnements et ventes, ce qui permettait d’améliorer le pouvoir de négociation du groupe. L’activité de la société holding était donc loin de constituer un simple service administratif. Dans ces conditions, on ne peut à notre sens pas considérer que le Conseil d’Etat prend totalement le contrepied de la doctrine administrative. Mais il en tempère la portée en considération des circonstances de l’espèce.
On peut également observer que parmi les critères pris en compte par le Conseil d’Etat figurent les montants respectifs du chiffre d’affaires réalisé avec les filiales et des dividendes versés par ces dernières, le premier étant nettement supérieur au second. Si cet indice mérite d’être signalé, on souligne qu’il n’est pris en considération qu’à titre accessoire par le Conseil d’Etat qui ne le retient « qu’au demeurant ».
On peut enfin s’interroger sur le point de savoir si la solution serait transposable aux sociétés holdings qui facturent des management fees à leurs filiales. La décision ne permet pas de prendre une position certaine à ce sujet mais il est intéressant de constater que le Conseil d’Etat a ouvert une porte sur la reconnaissance du caractère commercial des relations entre une société mère et ses filiales auxquelles elle rend des services d’intérêt commun. Ceci étant dit, la prudence reste de mise car en l’espèce, les services rendus impliquaient que la holding négocie des conditions tarifaires avec des tiers (ce qui distingue la situation de celle où une holding rend des services purement internes, sans que des tiers ne soient impliqués), et ce, dans le domaine d’activité opérationnelle des filiales (ce qui distingue, ici encore, le cas d’espèce d’une situation où une société mère rendrait des services purement administratifs). Une décision intéressante, qui ouvre des perspectives mais qui nécessite néanmoins un examen prudent au cas par cas avant toute utilisation.
Auteur
Emmanuelle Féna-Lagueny, avocat counsel en matière d’impôts directs au sein du département de doctrine fiscale