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Licences distinctes sur le brevet européen et sur le brevet français protégeant une même invention : des évolutions

Licences distinctes sur le brevet européen et sur le brevet français protégeant une même invention : des évolutions

Il n’est pas rare qu’un inventeur dépose, afin de protéger une même création, un brevet français et un brevet européen. Par la suite, se pose la question de l’exploitation séparée de ces deux brevets. Ainsi, la cession de l’un sans l’autre est naturellement prohibée dans tous les cas de figure, puisque cela aboutirait à faire coexister deux droits de propriété distincts et concurrents en France sur la même invention.

L’article L.614-14 du Code de la propriété intellectuelle dispose en effet :

« Une demande de brevet français ou un brevet français et une demande de brevet européen ou un brevet européen ayant la même date de dépôt ou la même date de priorité, couvrant la même invention et appartenant au même inventeur ou à son ayant cause, ne peuvent, pour les parties communes, faire l’objet indépendamment l’une de l’autre d’un transfert, gage, nantissement ou d’une concession de droits d’exploitation, à peine de nullité ».

Mais dans certains cas, la nullité encourue est absolue, et invocable par tous, tandis que dans d’autres, elle est relative et ne peut être invoquée que par les seuls cocontractants.

Ainsi, en matière de concessions de licence, une partie de la doctrine considère que la nullité encourue devrait être relative. En effet, ces contrats ne départissent pas l’inventeur de son droit de propriété, et seuls les licenciés disposant de droits concurrents sur une même invention sont susceptibles d’être lésés.

En 2008, le tribunal de grande instance de Paris a toutefois rejeté cette analyse, faisant une application littérale de l’article L. 614-14 du CPI (TGI Paris, 20 février 2008, RG 2006/14907). Il indiquait, en termes très clairs que « le législateur a entendu prémunir tant les tiers que les co-contractants contre la coexistence sur une même invention et sur un même territoire, après délivrance définitive des titres« , et ce sans établir de distinction « entre les contrats transférant la propriété du titre de propriété à titre définitif ou opérant un transfert des droits d’exploitation à titre temporaire« .

Dans une autre espèce, la Cour de cassation semble aujourd’hui nuancer cette analyse, au détour d’une formulation qui pourrait être de principe. Elle indique qu’une demande de brevet français ou un brevet français et une demande de brevet européen ou un brevet européen ayant la même date de priorité, couvrant la même invention et appartenant au même inventeur, ne peuvent, « pour les parties communes, faire l’objet indépendamment l’une de l’autre d’une concession de droits d’exploitation » (Cass. Com, 16 décembre 2014, n°13-23.986).

La Cour de cassation indique également que la société licenciée des brevets pour la France ne disposant pas, selon la lettre de son contrat, d’un droit exclusif d’exploitation sur les demandes de brevets français, la cour d’appel n’aurait pas dû rejeter en bloc le moyen formé par les sociétés appelantes en nullité de la licence. La formule semble indiquer, par a contrario, que si une exclusivité territoriale avait été aménagée entre les différents contrats de licence (la licence sur le brevet français étant exclusive, et la licence sur le brevet européen excluant explicitement la France), le licencié français aurait pu en revanche valablement agir, en l’absence de nullité absolue de son contrat. Cette approche pragmatique doit être saluée, même si l’articulation entre des champs d’application géographiques distincts peut, dans une économie mondialisée, s’avérer complexe.

 

Auteurs

Anne-Laure Villedieu, avocat associée en de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.

Hélène Chalmeton, juriste au sein du Département droit des affaires, en charge du knowledge management.