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Mise en conformité de certains prélèvements et retenues à la source avec le droit de l’Union européenne

Mise en conformité de certains prélèvements et retenues à la source avec le droit de l’Union européenne

Le législateur a entendu tirer les conséquences de plusieurs décisions récentes du Conseil d’État par lesquelles certains dispositifs de prélèvements et de retenues à la source ont été jugés contraire au droit de l’Union européenne. Cette mise en conformité ne fait toutefois pas disparaître les possibilités de contestation de ces dispositifs.

  1. Les modifications apportées à l’article 244 bisB du CGI

Sous réserve des conventions fiscales, l’article 244 bis B du CGI prévoit l’imposition en France des plus-values sur les cessions de participation substantielle[1] des titres d’une société française réalisées par des actionnaires fiscalement domiciliés hors de France.

L’article 2 de la loi de finances rectificative pour 2021[2] a introduit deux mesures distinctes afin de mettre cette retenue à la source en conformité avec le droit de l’UE pour les cessions ou rachats de droits sociaux et les distributions réalisées à compter du 30 juin 2021.

1.1. L’exonération des plus-values réalisées par les OPC étrangers

Afin de prendre en compte une mise en demeure adressée par la Commission européenne[3], le législateur a instauré une exonération du prélèvement pour les OPC étrangers qui sont situés dans un État membre de l’UE ou dans un autre État ou territoire ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale et n’étant pas non coopératif au sens de l’article 238-0 A du CGI. Le bénéfice de cette exonération est soumis à la double condition que l’OPC étranger présente des caractéristiques similaires à celles d’OPC de droit français relevant du Code monétaire et financier et qu’il lève des capitaux auprès d’un certain nombre d’investisseurs en vue de les investir Les OPC établis dans un Etat tiers doivent en outre ne pas participer de manière effective à la gestion ou au contrôle de la société dont les titres sont cédés ou rachetés.

1.2. L’octroi d’un droit à restitution partielle du prélèvement en cas de cession de titres de participation

Depuis l’introduction de l’exonération des plus-values à long terme sur cession de titres de participation détenus dans des sociétés autres qu’à prépondérance immobilière (sous réserve de la réintégration d’une quote-part de frais et charges), l’application du prélèvement aux sociétés étrangères était devenue contestable sur le fondement du droit de l’UE.

Pour assurer la conformité du droit français au droit européen, la doctrine administrative permettait aux sociétés non-résidentes de demander la restitution du différentiel entre le prélèvement et l’impôt théorique qu’elles auraient dû acquitter en France à hauteur de la quote-part de frais et charges si elles avaient pu bénéficier du régime des plus-values à long-terme[4].

Cependant, par sa décision AVM International du 14 octobre 2020, le Conseil d’Etat a jugé, sur le terrain de la liberté d’établissement dont peuvent se prévaloir les sociétés établies dans l’UE, que dans une telle hypothèse le prélèvement devait être totalement restitué – et non seulement partiellement comme le prévoyait la doctrine[5]. En outre, la CAA de Versailles avait étendu le raisonnement aux sociétés établies dans un Etat tiers sur le fondement de la liberté de circulation des capitaux (en considérant notamment que la clause de gel[6], faisant obstacle à l’invocation de cette liberté pour les mesures existantes au 31 décembre 1993, n’était pas applicable) par un arrêt Runa Capital du 20 octobre 2020[7]. Un pourvoi du Ministre contre cet arrêt est toutefois en cours d’instruction par le Conseil d’État et cette solution n’est donc pas définitive.

Le législateur a tiré les conséquences de ces jurisprudences en permettant aux sociétés non-résidentes d’obtenir la restitution de la part du prélèvement qui excède l’impôt sur les sociétés dont elles auraient été redevables si elles avaient été établies en France.

Peuvent bénéficier de ce mécanisme de restitution partielle, les personnes morales ou organismes dont le siège social est situé dans un État membre de l’UE, de l’EEE ou bien dans un État ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d’assistance administrative en matière d’échange de renseignements et de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, sous réserve que ces personnes morales ou organismes ne participent pas de manière effective à la gestion ou au contrôle de la société dont les titres sont cédés ou rachetés[8].

La loi ne précisant pas les modalités de restitution partielle, il convient a priori d’attendre les commentaires que l’administration pourrait apporter sur la procédure à suivre. Toutefois, la mesure ayant été présentée lors des travaux parlementaires comme une légalisation de la procédure déjà prévue par la doctrine administrative, il semble permis de penser que les modalités pratiques seront similaires à celles énoncées par cette dernière[9].

1.3. Les possibilités de contestation encore ouvertes aux contribuables

Les modifications apportées au texte de l’article 244 bis B du CGI ne mettent pas fin à de potentiels contentieux tendant à la restitution partielle ou totale de ce prélèvement.

Pour les cessions ou rachats de droits sociaux réalisés avant le 30 juin 2021 :

  • les sociétés non-résidentes établies dans un Etat de l’UE ou de l’EEE ayant acquitté le prélèvement et ayant obtenu le remboursement du différentiel entre le taux de droit commun et le taux effectif d’imposition applicable aux sociétés résidentes comme le prévoyait la doctrine administrative peuvent réclamer la restitution du solde en se prévalant de la décision AVM international précitée ;
  • les sociétés établies dans un Etat tiers (non visées par la doctrine) peuvent réclamer la restitution totale du prélèvement qu’elles ont versé, sur le fondement de la libre circulation des capitaux en se prévalant de l’arrêt Runa précité.

Pour les cessions ou rachats de droits sociaux réalisés après le 30 juin 2021, les sociétés établies dans un Etat tiers seraient a priori fondées à demander la restitution partielle de la retenue à la source, sur le fondement de la libre circulation des capitaux si la solution de l’arrêt Runa est confirmée par le Conseil d’État, alors même qu’elles ne rempliraient pas la condition d’absence de participation effective à la gestion ou au contrôle fixée par la loi.

En effet ce n’est que si, dans le cadre du pourvoi contre l’arrêt Runa, le Conseil d’État devait considérer que la clause de gel peut être opposée par la France, que les sociétés établies dans un État tiers devraient démontrer que cette participation ne répond pas à la définition d’un investissement direct au sens de la jurisprudence de la CJUE telle qu’elle a été reprise par le législateur[10].

  1. Les modifications envisagées des dispositifs des articles 119 bis, 182 A bis et 182 B du CGI

L’article 7 du projet de loi de finances pour 2022 poursuit la mise en conformité des retenues à la source applicables aux sociétés non-résidentes avec le droit de l’UE. Le Conseil d’État a jugé à plusieurs reprises que l’établissement d’une retenue à la source sur une assiette brute alors que, dans la même situation, une société française serait imposable sur un bénéfice établi après déduction des charges supportées pour l’acquisition et la conservation de ces revenus était contraire aux principes de liberté de circulation des capitaux et de libre prestation de services[11].

C’est pour se mettre en conformité avec cette jurisprudence qu’il a été prévu :

  • d’une part, que les personnes morales et organismes établis dans l’UE ou l’EEE qui perçoivent des revenus de source française entrant dans le champ de l’article 182 B, bénéficient d’un abattement représentatif de charges égal à 10 % des sommes ou produits perçus ; et,
  • d’autre part, que les bénéficiaires des produits et sommes soumis aux retenues à la source prévues aux articles 182 A bis, 182 B et 119 bis, 2 puissent demander une restitution a posteriori de la différence entre l’imposition versée et l’imposition déterminée à partir d’une base nette des charges d’acquisition et de conservation directement rattachées à ces produits et sommes, sous certaines conditions.

Cette procédure de restitution, introduite à l’article 235 quinquies du CGI, serait ouverte aux personnes morales établies dans l’UE et dans l’EEE ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales et n’étant pas un ETNC. Elle serait également ouverte à celles établies dans un Etat tiers qui seraient soumises à la retenue à la source du 2 de l’article 119 bis, sous réserve que cet État ne soit pas un ETNC et que la participation détenue dans la société ou l’organisme distributeur ne permette pas au bénéficiaire de participer de manière effective à la gestion ou au contrôle de cette société ou de cet organisme. Il s’agit là de la même réserve que celle déjà analysée concernant l’article 244 bis B. Toutefois, l’article 119 bis existant déjà au 31 décembre 1993, la clause de gel s’oppose à la contestation de cette réserve.

Dans tous les cas, la restitution serait également conditionnée à ce que les charges d’acquisition et de conservation de ces produits et sommes soient déductibles si le bénéficiaire était situé en France. La restitution ne pourrait enfin intervenir que si les règles d’imposition dans l’État de résidence ne permettent pas au bénéficiaire d’y imputer la retenue à la source.

[1]   Soit une détention directe ou indirecte de plus de 25 % des droits dans les bénéfices sociaux à un moment quelconque au cours de la période de cinq ans précédant la cession.

[2]   Loi n° 2021-953 du 19 juillet 2021 de finances rectificative pour 2021.

[3]   Commission européenne, mise en demeure n° 2020/044 du 30 octobre 2020.

[4]   BOI-IS-RICI-30-20, 01/08/2018, n° 125 à 129.5

[5]   CE, 14 octobre 2020, n° 421524, Sté AVM International Holding.

[6]   TFUE, art. 64.

[7]   CAA Versailles, 20 octobre 2020, n° 18VE03012, Sté Runa Capital Fund I LP.

[8]   Les personnes morales ou organismes dont le siège est situé dans un État ou territoire non coopératif au sens de l’article 238-0 A du CGI sont en revanche exclus du dispositif.

[9]   BOI-IS-RICI-30-20, 01/08/2018, n° 129.5.

[10]   CJCE 12 décembre 2006 aff. 446/04, Test Claimants in the FII Group Litigation, n° 177-182.

[11]  Voir en dernier lieu CE, 11 mai 2021, n° 438135, Sté UBS Asset management Life Ltd.

Article paru dans Option Finance le 22/11/2021

Auteurs

Stéphane Austry, avocat associé en droit fiscal

Adrien Merchadier, avocat en droit fiscal

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