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Plus-values immobilières des « corporations » américaines : l’épreuve de l’assimilation

Plus-values immobilières des « corporations » américaines : l’épreuve de l’assimilation

Selon le Conseil d’Etat, une « corporation » du Delaware doit être assimilée à une société par actions simplifiée française.

Dans une décision « Société World Investment Corporation » (CE, du 2 avril 2021, n° 427880) le Conseil d’Etat, interrogé sur les modalités de calcul de la plus-value de cession d’un immeuble en France, a jugé qu’une « corporation » du Delaware devait être assimilée à une société par actions simplifiée française, dès lors que la responsabilité de ses associés était limitée à leurs apports.

  1. Plus-values immobilières des non-résidents : l’enjeu lié à l’impôt applicable

La société World Investment Corporation (« WIC »), créée en 1986 sous la forme d’une « corporation » du Delaware avait acquis, l’année de sa constitution, un immeuble situé à Paris. En 2008, la société décide de vendre cet immeuble et réalise, à cette occasion, une plus-value de 1,8 million d’euros.

La société a déclaré cette plus-value et acquitté l’imposition correspondante, déterminée en application de l’article 244 bis A du Code général des impôts (« CGI »), selon les modalités d’imposition prévues pour les personnes morales passibles de l’impôt sur les sociétés (« IS ») en France. Considérant toutefois qu’elle ne satisfaisait pas aux critères énoncés au 1 de l’article 206 du CGI définissant le champ des sociétés soumises à l’IS, la société a assorti sa déclaration de plus-value d’une réserve par laquelle elle faisait valoir que les modalités de calcul du prélèvement applicable à sa situation étaient celles des personnes relevant de l’impôt sur le revenu (« IR »).

Précisons que l’enjeu pour la société était lié au fait qu’un assujettissement à l’IR entraîne l’application d’un abattement pour durée de détention de 10 % par an au-delà de la cinquième année de détention, alors qu’un assujettissement à l’IS procède d’une logique inverse, avec un abattement de 2 % par an sur le prix d’acquisition, qui aboutit à une assiette taxable plus importante en cas de détention longue.

  1. Les critères d’assujettissement à l’IS en France : l’activité de la société étrangère n’est que subsidiaire

L’article 206,1 du CGI énonce deux critères alternatifs d’assujettissement à l’IS : (i) l’assujettissement à raison de la forme pour les personnes morales qui, quel que soit leur objet, sont constituées selon les formes juridiques énumérées par cet article et (ii) l’assujettissement à raison de l’activité pour toute autre personne morale se livrant à des opérations de caractère lucratif.

S’agissant du premier critère d’assujettissement, les règles applicables pour les sociétés étrangères ont été fixées par une décision de principe « Société Artémis », rendue par le Conseil d’Etat en 2014[1]. A l’occasion de cette décision, le Conseil d’Etat a dégagé un « principe d’assimilation » selon lequel les juges doivent dans un premier temps identifier au regard de l’ensemble des caractéristiques de la société étrangère, le type de société française à laquelle elle pourrait être assimilée. Puis, dans un second temps, en déduire le régime applicable au regard de la loi fiscale française. C’est ainsi que le Conseil d’Etat a considéré qu’un « General Partnership » américain était assimilable à une société de personnes française et donc, qu’il devait être soumis au régime de l’article 8 du CGI (régime de la « translucidité » fiscale).

Quant au second critère d’assujettissement à l’IS, le Conseil d’Etat avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur son application au cas d’espèce, dans le cadre d’un précédent arrêt rendu en 2018. En effet, la Cour administrative d’appel (« CAA ») de Paris[2], se fondant exclusivement sur le critère de l’activité, avait refusé d’assimiler la société WIC à une structure soumise à l’IR au motif que cette société n’apportait pas la preuve qu’elle n’exerçait pas une activité lucrative au sens de l’article 206,1 du CGI. Le Conseil d’Etat avait censuré cet arrêt en considérant que la Cour avait « inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis » dès lors que l’immeuble avait toujours été mis à la disposition gratuite de parents des associés de la société [3].

Le Conseil d’Etat, saisi d’un second pourvoi à la suite de cet arrêt, confirme toutefois que l’analyse de l’activité de la société étrangère n’est que subsidiaire, dès lors que l’entité étrangère est assimilée à une société de capitaux française compte tenu de ses caractéristiques.

  1. Les difficultés d’application du principe d’assimilation : une nouvelle illustration

L’application du principe d’assimilation consiste à faire « entrer de force »[4] l’entité étrangère dans une catégorie juridique française en utilisant différents critères.

La décision Société Artémis n’est pas très explicite sur les critères d’assimilation à utiliser en pratique. Le Rapporteur public, dans ses conclusions sous cet arrêt, avait identifié plusieurs critères parmi lesquels (i) le caractère connu ou non de l’identité des associés, (ii) la possibilité pour ces derniers de céder librement leurs parts et, surtout (iii) l’étendue de leur responsabilité personnelle en cas de pertes réalisées par la société[5].

L’exercice d’assimilation est difficile lorsqu’il s’agit d’analyser des entités « hybrides » comme les Limited Liability Company (« LLC ») américaines, sociétés inconnues du droit français, et en particulier lorsqu’elles sont constituées dans l’Etat du Delaware où le droit est particulièrement souple et renvoie aux statuts le soin de préciser les caractéristiques sociales essentielles de la société en fonction des choix de leurs fondateurs.

La jurisprudence témoigne des difficultés d’application du principe d’assimilation aux LLC. Certaines décisions paraissent même contradictoires : ainsi, alors que la CAA de Marseille a considéré que la responsabilité limitée de ses associés ne suffisait pas, en soi, à assimiler une LLC à une société de capitaux française[6], la CAA de Nancy a retenu une solution contraire[7].

Mais même dans le cas apparemment plus simple d’une « corporation », l’exercice d’assimilation peut s’avérer périlleux. Ainsi, la CAA de Paris, en se fondant sur une mauvaise interprétation du Code du Delaware, avait considéré que la responsabilité des associés n’était pas limitée à leurs apports et que la société WIC ne pouvait donc pas être assimilée à une société de capitaux française.

Saisi pour la deuxième fois en cassation, le Conseil d’Etat juge au fond et se livre à une analyse circonstanciée des caractéristiques juridiques de la société. Il relève ainsi que la société WIC a été créée avec un faible capital social, qu’elle a pour objet de réaliser toute activité conforme à la loi du Delaware et que ses titres sont librement négociables. Ces critères ne sont toutefois pas considérés comme suffisants pour trancher la question.

Le Conseil d’Etat juge également que « sauf mention contraire figurant dans le certificat de constitution, les associés d’une « corporation » ne peuvent être tenus au paiement des dettes de la société en dehors de l’hypothèse où ils sont rendus responsables du fait de leurs agissements personnels. Or le certificat de constitution de la société WIC (…) ne comportait aucune mention contraire ». La responsabilité des associés était donc, sur la base du certificat de constitution de la société, limitée à leurs apports.

Prenant le contre-pied de la Cour, la Haute Juridiction décide ainsi que la société WIC est assimilable à une société par actions simplifiée de droit français, lesquelles sont passibles de l’impôt sur les sociétés[8] et ce, « sans qu’il soit besoin d’examiner le caractère lucratif de son activité ».

La responsabilité des associés semble donc, une nouvelle fois[9], être le critère essentiel pour assimiler des entités étrangères avec des entités françaises, même si le Conseil d’Etat privilégie la méthode du faisceau d’indices et prend aussi en considération le montant du capital social (dont la faiblesse permet d’écarter dans certains cas l’assimilation d’une société étrangère à une SA française), la liberté de cession des titres et dans une moindre mesure l’objet social.

Par ailleurs, Le Conseil d’Etat semble indiquer que les dispositions de l’article 244 bis A ne seraient applicables qu’aux cessions réalisées par des personnes morales qui « relèveraient, si elles étaient résidentes de France, de l’impôt sur les sociétés », créant ainsi une ambiguïté sur le champ d’application du prélèvement. Toutefois, il nous semble que cela relève plus de la maladresse de plume dans la mesure où, aux termes mêmes de l’article 244 bis A, il ne fait aucun doute que les entités étrangères ne relevant pas de l’impôt sur les sociétés cédant un immeuble en France sont soumises à l’impôt sur la plus-value en France, quelle que soit leur forme (sous réserve des conventions internationales bien sûr).

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