Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Haut

Produits phytopharmaceutiques : les ventes bientôt sévèrement encadrées?

Produits phytopharmaceutiques : les ventes bientôt sévèrement encadrées?

Depuis le Grenelle de l’environnement de 2008, la France est engagée dans une démarche de réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques (« PPP »), dont font notamment partie les herbicides, les fongicides, les insecticides et les bactéricides. Le plan Ecophyto 2, adopté en 2015 et co-piloté par les ministères de l’agriculture et de l’environnement, a ainsi fixé un objectif de baisse de l’utilisation de ces produits de 25% à l’horizon 2020 et de 50% à l’horizon 2025.

C’est dans ce contexte que le Gouvernement a déposé, le 1er février dernier, son projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable (« projet de loi »).

Afin de diminuer l’utilisation des PPP, le Gouvernement a proposé des mesures destinées à en réduire les ventes. Il est en particulier question d’interdire certaines pratiques commerciales (1) et d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour séparer les activités de vente et de conseil (2).

A l’heure des discussions parlementaires sur ce projet, un point d’étape s’impose.

1. Prohibition de certaines pratiques commerciales à l’occasion des ventes de PPP

Partant du constat que certaines pratiques commerciales « peuvent conduire à la vente de produits dont l’usage ne répond ni aux besoins réels des utilisateurs, ni aux principes de la protection intégrée des cultures […] »1 le Gouvernement a proposé d’éviter toute incitation commerciale à utiliser des PPP « de façon inappropriée ».

L’article 14 du projet de loi interdit ainsi les remises, rabais et ristournes (« les 3R »), la différenciation des conditions générales et particulières de vente, la remise d’unités gratuites et toutes pratiques équivalentes à l’occasion de la vente de PPP2.

Cette interdiction viserait tous les fabricants et les revendeurs, notamment les coopératives, situés sur le territoire national ainsi que les importateurs, sous peine d’amendes3.

A l’heure actuelle, l’Assemblée nationale et le Sénat sont en désaccord sur la mesure proposée par le Gouvernement : adoptée par l’Assemblée nationale, elle a été supprimée par le Sénat. En particulier, le Sénat a refusé la mesure au regard du risque qu’elle puisse venir mécaniquement augmenter les charges pesant sur les agriculteurs.

Le Parlement procède en ce moment à un nouvel examen de cette mesure et les derniers éléments rendus publics laissent à penser que le principe de l’interdiction de certaines pratiques commerciales à l’occasion de la vente de PPP devrait être voté4.

Le périmètre des pratiques commerciales visées pourrait en revanche être réduit (par exemple, comme le propose le Sénat, aux seules pratiques commerciales fondées sur le montant d’achat ou le volume des produits à l’exclusion de celles qui accompagnent des services rendus à l’acheteur, notamment en termes de stockage ou de formation).

2. Habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnances pour séparer les activités de vente et de conseil en matière de PPP

La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (« LAAF« )5 a introduit le principe d’un conseil stratégique annuel obligatoire, distinct des opérations de vente, destiné à encourager les exploitants à davantage de sobriété ou à recourir à des alternatives moins nocives pour l’environnement ou la santé.

Désireux de « prévenir tout conflit d’intérêts qui pourrait résulter de la coexistence chez un même opérateur des activités de conseil et de vente de produits phytopharmaceutiques » et de « garantir aux utilisateurs professionnels un conseil annuel individualisé qui concoure effectivement à la réduction de l’utilisation, des risques et des impacts des produits phytopharmaceutiques », le Gouvernement a proposé de légiférer par ordonnances sur la séparation des activités de conseil et de vente de PPP (article 15 du projet de loi)6.

Si l’article 15 du projet de loi ne constitue pas en lui-même une mesure visant à séparer ces activités, il renseigne sur les mesures que pourrait adopter le Gouvernement si cet article est voté par le Parlement :

  • le Gouvernement pourrait interdire de cumuler les activités de conseil et de vente au sein de la même structure ;
  • toutefois cette séparation ne saurait être totale : le vendeur conserverait la possibilité de dispenser des informations relatives à l’utilisation, aux risques et à la sécurité d’emploi des produits.

Certains se sont inquiétés du fait que cette mesure pourrait signifier la fin du conseil gratuit pour les agriculteurs. D’autres opposants à ce projet ont aussi souligné qu’une telle séparation allait singulièrement compliquer l’activité des coopératives qui cumulent les deux activités.

Malgré ces critiques et désaccords, il semble que l’Assemblée nationale et le Sénat s’entendent sur le principe d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances sur la séparation des activités de conseil et de vente. En revanche, un désaccord persiste sur le fait d’imposer ou non une séparation capitalistique des structures7.

***

Au total, si les mesures exposées ci-dessus sont adoptées par le Parlement, elles contraindront les acteurs du secteur phytopharmaceutique, en particulier les industriels et les coopératives, à réviser leurs pratiques et leur organisation.

Toutefois, les éléments dont nous disposons aujourd’hui peuvent être amenés à évoluer significativement, les discussions parlementaires étant toujours en cours.

Notes

1 Etude d’impact du projet de loi, page 99.
2 Cet article prévoit également l’interdiction des pratiques commerciales similaires portant sur des gammes de produits liées à l’achat de PPP.
3 Le montant maximal de ces dernières, pour l’instant fixé à 15.000€ pour une personne physique et à 75.000€ pour une personne morale, pourrait être amené à évoluer au cours des discussions parlementaires.
4 Rapport fait au nom de la commission mixte paritaire, page 13 et annexe au rapport de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale (nouvelle lecture).
5 Loi n°2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
6 Le Gouvernement demande au Parlement l’autorisation de prendre, par ordonnances, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. Cela lui permet d’agir plus rapidement qu’en suivant le parcours législatif classique.
7 Annexe au rapport de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale (nouvelle lecture).

 

Auteurs

Jean-Baptise Thiénot, avocat counsel, droit de la propriété intellectuelle, réglementation des produits de santé

Marine Devulder, avocat, droit européen et droit des produits de santé