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Quelle sera la fiscalité de demain ? Les propositions de la Commission européenne en matière de fiscalité des entreprises

Quelle sera la fiscalité de demain ? Les propositions de la Commission européenne en matière de fiscalité des entreprises

La Commission européenne a publié le 18 mai une communication intitulée « la fiscalité des entreprises au XXIe siècle ». Cet important document dresse la liste des réformes que la Commission envisage, à court et à moyen terme, pour faire évoluer la fiscalité dans un sens cohérent avec les réflexions engagées au niveau de l’OCDE, du G20 et du Cadre inclusif.

La position de la Commission était attendue. On voit mal, en effet, comment le droit de l’Union européenne pourrait rester inchangé si les projets de « piliers » de l’OCDE dessinés par le Cadre inclusif se transforment en droit positif. On rappelle à cet égard que le « pilier 1 » vise à octroyer aux Etats de marché un droit d’imposer certains profits générés sur leur territoire par des sociétés non-résidentes, même lorsque celles-ci n’y ont pas d’établissement stable. Le « pilier 2 » concerne quant à lui l’imposition minimale des multinationales.

La communication du 18 mai[1] répond en grande partie aux attentes. Elle esquisse toutefois un agenda plus ambitieux que la seule adaptation de la fiscalité européenne à l’évolution du cadre international et propose une réforme plus fondamentale de la fiscalité des entreprises.

  1. La mise en œuvre européenne des « piliers » 1 et 2

L’Union européenne est fortement impliquée dans les négociations internationales sur les « piliers » et le Conseil européen a plusieurs fois indiqué qu’il souhaitait une solution globale et concertée, étant précisé que, quel que soit le résultat des négociations internationales, la Commission annonce que l’Union européenne ira de l’avant.

D’un point de vue pratique, les avancées envisagées diffèrent selon les piliers.

La Commission part du principe que le pilier 1 sera mis en œuvre grâce à une convention multilatérale, et elle présentera une proposition de directive afin d’en assurer l’application coordonnée entre Etats membres de l’Union européenne.

S’agissant du pilier 2, une directive est également annoncée. Elle « reflétera » le modèle de règle élaboré par l’OCDE « avec les ajustements nécessaires » (afin, comprenons-nous, de tenir compte de la spécificité des principes fondamentaux du droit de l’Union européenne). Une réforme de la directive ATAD est donc prévue, notamment en ce qui concerne les règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées qui devront se rapprocher de la règle dite « d’inclusion du revenu ». On rappelle que dans le cadre du pilier 2, cette règle obligerait l’Etat de la société mère d’un groupe à prélever un surcroît d’imposition lorsque le taux effectif d’imposition de certaines entités du groupe est inférieur à un certain seuil, dont on sait depuis peu de temps qu’il devrait être de 15%.

La mise en œuvre du pilier 2 appellera aussi une réforme de la directive « intérêts-redevances » de 2003 qui exonère de toute retenue à la source certains paiements entre entreprises associées. Il s’agira de subordonner cette exonération non seulement à une imposition effective dans l’Etat du bénéficiaire (ce que la Commission recommande déjà depuis longtemps), mais même à l’imposition à un taux minimum.

 

Enfin, la Commission annonce que la mise en œuvre effective des principes du pilier 2 par les Etats tiers sera prise en compte pour établir la liste européenne des paradis fiscaux.

  1. Les autres initiatives anti-optimisation

Une autre réforme d’importance a trait à la transparence renforcée des grandes entreprises. Sera ainsi présentée une proposition pour la publication annuelle du taux effectif d’imposition de certains groupes, taux qui sera calculé en recourant à la méthodologie de l’accord international sur le pilier 2. Cette obligation de publication serait, semble-t-il, indépendante de celle de mettre à disposition du public les informations pays-par-pays qui devrait prochainement donner lieu à une directive.

Une autre proposition sera faite en vue de lutter contre la persistance de sociétés dépourvues de substance (sociétés « écran »). Ainsi, chaque société sera tenue de délivrer à l’administration fiscale l’information lui permettant d’évaluer si elle dispose d’une présence substantielle sur son territoire d’implantation et d’une activité économique réelle, les sociétés ne présentant pas ces caractères se voyant refuser un certain nombre d’avantages fiscaux.

La Commission européenne n’entend cependant pas uniquement lutter contre l’optimisation fiscale agressive, et souhaite aussi aider au développement de l’activité économique dans le contexte post-COVID 19.

  1. Les initiatives relatives à l’amélioration de l’environnement fiscal des entreprises

Dans l’immédiat, la Commission souhaite permettre aux entreprises en pertes de bénéficier d’un traitement fiscal favorable. Elle publie donc, en parallèle de la communication du 18 mai, une recommandation du même jour relative au traitement des déficits en droit interne[2] qui invite les Etats à autoriser le carry-back des déficits subis au titre des exercices 2020 et 2021 sur les bénéfices dégagés au titre des exercices 2017, 2018 et 2019 dans la limite de 3 millions d’euros par exercice déficitaire. Le déficit de 2021 pourrait même donner lieu à une estimation immédiate, sans attendre la fin de l’exercice, pour ouvrir droit à un remboursement plus rapide de la créance de carry-back. On sait que le projet de loi de finances rectificative pour 2021 s’est inspiré de cette recommandation, mais selon des modalités techniques très différentes.

La Commission annonce aussi réfléchir aux moyens de coordonner au niveau européen l’imputation des pertes transfrontalières pour les PME et les autres entreprises qui se trouvent au stade initial de leur expansion européenne. Cette idée figurait déjà dans la proposition de directive sur l’assiette commune de l’IS publiée en 2016, proposition bientôt caduque comme on le reverra plus loin.

Dans le même esprit, la Commission réitère son souhait (qui figurait lui aussi dans la proposition de directive de 2016) que soit mis en place un système de déduction notionnelle pour encourager les entreprises à renforcer leurs fonds propres et atténuer l’incitation structurelle à l’endettement due à la déduction des intérêts. Une proposition spécifique sera émise d’ici au 1er trimestre 2022.

Enfin, la Commission souhaite promouvoir un nouveau cadre pour la fiscalité des entreprises d’ici 2023. Ce cadre aura pour ambition de réduire les charges administratives, supprimer les obstacles fiscaux et créer un environnement plus favorable aux entreprises au sein du marché unique. L’initiative est intitulée « Business in Europe : Framework for Income Taxation » ou « BEFIT ». Elle remplacera la proposition de directive relative à l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), qui sera retirée.

Telle qu’elle se présente, la proposition « BEFIT » n’est pas fondamentalement différente de l’ACCIS : elle repose, comme elle, sur l’harmonisation des règles de calcul du résultat imposable, la détermination d’un résultat du groupe et la réallocation de celui-ci entre les différents Etats membres. La grande différence se trouve dans la clé de répartition du bénéfice global entre Etats. Tandis que l’ACCIS reposait sur une clé tripartite (vente, actifs corporels et main d’œuvre), la nouvelle clé devrait donner davantage de place aux incorporels et surtout permettre aux Etats de marché de récupérer davantage de droits d’imposer. En ce sens, BEFIT se situe dans le prolongement de la démarche initiée dans le cadre du « pilier 1 », avec un souci revendiqué de simplification. Elle s’en distingue néanmoins : alors que le « pilier 1 » est censé s’ajouter aux règles figurant dans les conventions fiscales, les règles du BEFIT remplaceraient purement et simplement les conventions fiscales dans les relations entre Etats membres.

  1. Autres initiatives

La Commission souhaite réformer la directive sur la taxation de l’énergie (directive 2003/96/CE) et lancer une réflexion sur l’évolution de la répartition entre les facteurs les plus taxés dans l’Union européenne. Les impôts sur la consommation étant déjà très élevés, la Commission manifeste une claire préférence pour la promotion à l’avenir d’impôts environnementaux dont l’augmentation pourrait financer la diminution des prélèvements sur le travail.

Enfin la Commission souhaite mettre en place une taxe carbone, une taxe sur les transactions financières et une taxe numérique (la proposition de directive sur la taxe sur les services numériques de 2018 ainsi que celle sur l’établissement stable numérique seront retirées).

  1. Calendrier

Le calendrier des propositions à venir est le suivant :

  • présentation d’une proposition législative visant à remédier aux possibilités de planification fiscale agressive liées à l’utilisation de sociétés écrans – d’ici au 4e trimestre 2021 ;
  • présentation d’une proposition législative visant à instaurer une franchise pour la réduction des incitations fiscales favorisant l’endettement (DEBRA) – d’ici au 1er trimestre 2022 ;
  • présentation d’une proposition législative concernant la publication des taux d’imposition effectifs payés par les grandes entreprises – d’ici à 2022 ;
  • présentation d’une proposition concernant l’initiative « BEFIT » (Entreprises en Europe : cadre pour l’imposition des revenus) – 2023.

[1] COM (2021) 251 final

[2] C(2021) 3484 final

Auteurs

Daniel Gutmann, avocat associé en droit fiscal

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