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Révision pour imprévision : les contrats concernés

Révision pour imprévision : les contrats concernés

L’introduction de la révision pour imprévision a incontestablement été une mesure-phare de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016. Le nouvel art. 1195 du Code civil permet de solliciter du juge la résiliation ou la modification du contrat dont l’exécution est devenue « excessivement onéreuse » à cause d’un « changement de circonstances imprévisible ».

A ainsi été introduite en droit français une atteinte au principe de l’intangibilité du contrat tel que les parties l’ont initialement voulu et conclu. En attendant de connaître les premières applications judiciaires de cette institution et de savoir si nos tribunaux seront audacieux ou non dans son maniement, il est intéressant de s’interroger sur son champ d’application.

Potentiellement tous les contrats

Tous les contrats conclus à compter du 1er octobre 2016 sont potentiellement concernés, dès lors que l’art. 1195 du Code civil figure parmi les dispositions du droit général des contrats. Les rédacteurs de l’ordonnance de 2016 ont voulu formuler des principes généraux, intemporels et universels, dans la lignée des dispositions rédigées en 1804. Mais ces nouveaux textes généraux prennent place dans un système complexe, où de nombreux contrats spéciaux sont régis par des textes spécifiques ; la révision pour imprévision pourrait venir troubler l’équilibre que ces textes spécifiques ont voulu instituer.

Le contrat de travail est un exemple, l’employeur pouvant en théorie solliciter du juge une réduction des salaires devenus trop lourds à honorer. D’autres contrats pourraient aussi prendre le chemin du tribunal : le contrat de crédit que le prêteur trouvera trop difficile de maintenir ou que l’emprunteur aura des difficultés à rembourser, le contrat d’assurance pesant trop lourd dans les comptes de l’assureur, le bail devenu excessivement onéreux, et ainsi de suite.

Il est même à se demander si l’art. 1195 ne viendra pas jouer un rôle parallèle à celui du droit des entreprises en difficulté, mais avec une approche différente : le nouveau texte n’appréhende pas l’entreprise dans sa globalité pour en opérer le redressement, mais s’intéresse à tel contrat particulier, dont les conditions seront revues par le juge pour le rendre plus supportable.

Des exclusions conventionnelles et légales

Il est possible aux parties de soustraire leur contrat au pouvoir judiciaire de révision. Cela se traduira par des clauses écartant en bloc le texte, ou excluant simplement la faculté de solliciter la résiliation ou la révision judiciaire. La « clause anti-1195 », laissée à l’habileté du rédacteur d’acte, peut d’ailleurs concerner une seule partie ou l’ensemble des contractants.

Une question qui se pose est celle de savoir si la présence dans le contrat de mécanismes d’adaptation, comme une clause de révision de prix par indexation ou une clause de hardship, fonde une exclusion implicite du mécanisme de révision du Code civil. Parce que ce dernier mécanisme déroge au principe de l’intangibilité du contrat, on pourrait considérer qu’il doit être interprété restrictivement, et que les restrictions qui lui sont apportées par les parties doivent être au contraire entendues largement. Il sera peut-être plaidé aussi que certains contrats, par leur fonction de garantie ou par la grande confiance faite à une partie par l’autre, excluent par nature une intervention du juge.

Des exclusions légales spécifiques peuvent aussi exister. La loi de ratification du 20 avril 2018 a introduit une première brèche dans le dispositif, en soustrayant à celui-ci les obligations résultant d’opérations portant sur les titres et les contrats financiers, du moins s’agissant des conventions qui seront conclues à compter du 1er octobre 2018. La promesse de rachat des actions souscrites par un capital-risqueur, lui garantissant de sortir sans subir de perte, se trouve ainsi soustraite au pouvoir de révision du juge.

Il est possible que d’autres secteurs économiques sollicitent une telle exclusion. Alternativement, c’est dans les contrats-type utilisés pour telle ou telle activité que pourra figurer de manière systématique la clause anti-1195. L’avantage de cette exclusion contractuelle est qu’elle pourra plus facilement bénéficier à une seule partie, là où le législateur procédera plus vraisemblablement par exclusion globale, comme cela a été fait pour les titres et contrats financiers.

 

Auteur

Bruno Dondero professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne et of counsel CMS Francis Lefebvre Avocats

 

Révision pour imprévision : les contrats concernés – Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 27 août 2018