Rupture brutale des relations commerciales établies – Champ d’application du texte et impact sur les pratiques
I. Champ d’application du texte
L’article L. 442-6, I 5° du Code de commerce interdit à tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, sous peine de voir sa responsabilité engagée, « de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ».
Ce texte qui sanctionne la rupture brutale d’une relation commerciale établie ne donne pas plus de précision quant à son champ d’application matériel.
C’est la jurisprudence qui façonne la notion de relation commerciale établie. Depuis notre dossier publié sur ce sujet dans cette même revue en mars 2011 (N°85), plusieurs décisions sont venues apporter des précisions s’agissant des relations susceptibles d’être concernées par ce texte. Mais pour autant, la notion de relation commerciale établie devenant, sous l’impulsion des juges, au fil des décisions rendues, de plus en plus accueillante, il est encore difficile d’en arrêter précisément les contours. Cela laisse à penser que cette notion n’a toujours pas atteint sa pleine maturité en 2013.
Cependant, et en toute occurrence, avant de vouloir évoquer ce texte ou pour s’en prémunir, il convient de vérifier deux postulats :
- est-on en présence d’une relation commerciale ? (A).
- cette relation commerciale est-elle établie ? (B).
Il faut ensuite s’interroger sur les formes que peut prendre la rupture brutale (C).
A. Qu’est-ce qu’une relation commerciale ?
La réponse à cette question suppose de s’intéresser aux deux parties à la relation : d’un côté, l’auteur de la rupture ; de l’autre, la victime de la rupture.
1. L’auteur de la rupture
La loi énumère expressément les auteurs potentiels de la rupture. Il s’agit de tout « producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers ». Le commerçant et l’artisan appartiennent à des catégories juridiques définies, ce qui n’est le cas ni du producteur, ni de l’industriel. Il est toutefois admis qu’au travers de ces derniers le législateur a entendu viser l’agent économique qui exerce une activité commerciale qui peut être de production, de distribution ou de prestation de services, comme cela a déjà été rappelé à plusieurs reprises par la Cour de cassation.
Toutefois, la Cour de cassation ne semble pas réserver cette notion aux seuls professionnels qui ont un objet commercial et exercent une activité commerciale stricto sensu. En effet, elle a admis que des mutuelles d’assurance, qui pourtant ont un objet non commercial (art. L. 322-26- 1 al. 1 du Code des assurances), pouvaient être sanctionnées sur le terrain de l’article L. 442-6, I 5° du Code de commerce en cas de rupture brutale de contrats avec leurs partenaires au motif qu’elles interviennent dans le secteur concurrentiel et procèdent à une activité de services (1).
De façon plus anecdotique, et un peu curieusement, la Cour de cassation a indirectement admis qu’un comité d’entreprise pouvait tomber sous le coup des dispositions précitées (2). Or, un comité d’entreprise n’est pas un commerçant qui peut développer une activité commerciale.
En revanche, il est classiquement admis que ne sont pas concernées par l’article L. 442-6, I 5° du Code de commerce, les personnes suivantes :
- les personnes physiques n’exerçant pas une activité commerciale ou artisanale ;
- les personnes morales de droit public (Etat, collectivités territoriales et leurs établissement publics (3)) à l’exception, nous semble-t-il, des EPIC car ces derniers doivent être immatriculés au Registre du commerce et des sociétés ;
- les sociétés civiles, et notamment les sociétés civiles immobilières ;
- les groupements d’intérêt économique et les groupements européens d’intérêt économique lorsque leur objet est civil ;
- les professions libérales (médecins, comptables, enseignants, etc.) y compris les sociétés d’exercice libéral ;
- les associations « loi de 1901 », qui ont un but non lucratif, et n’exercent pas une activité commerciale (4).
2. La victime de la rupture
a) Les personnes concernées
La loi ne donne aucune définition de la victime de la rupture. Il s’agit de la personne qui entretient une relation commerciale avec un producteur, un commerçant, un industriel ou un artisan, auteur de la rupture, c’est-à -dire une personne qui a noué une relation d’affaires.
Ainsi, l’article L. 442-6, I 5° a pu être mis en œuvre au profit :
- d’un architecte personne physique, dans ses relations avec une société commerciale, car même s’il exerce une activité libérale par essence civile, il est bien en relation d’affaires avec un commerçant (Cass. com., 16 décembre 2008, n°07-18.050) ;
- d’une association dans la mesure où les dispositions litigieuses peuvent s’appliquer « quel que soit le statut juridique de la victime du comportement incriminé » (Cass. com., 6 fév. 2007, n°03-20.463, Bull. civ. IV, n°20).
En 2010, la Cour de cassation a même admis que la victime pouvait n’être qu’indirecte en accueillant l’action en responsabilité d’un sous-traitant contre le maître d’ouvrage, auteur de la rupture de relations commerciales établies avec l’entrepreneur principal (Cass. com., 18 mai 2010, n°08- 21.681 Bull. civ. IV, n°89 ; solution rappelée par Cass. com., 15 septembre 2012, n°11-24.425, F-D). Bien qu’il n’existe aucun lien contractuel entre le sous-traitant, lié uniquement à l’entrepreneur principal, et le maître de l’ouvrage, l’action du sous-traitant en rupture brutale a été admise car de nature délictuelle.
C’est d’ailleurs ce que la Cour de cassation a affirmé expressément en septembre 2011 dans un attendu de principe indiquant « qu’un tiers peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la rupture brutale d’une relation commerciale dès lors que ce manquement lui a causé un préjudice » (5). En pratique, si un tiers à une relation commerciale établie rompue brutalement estime que cette rupture lui cause un préjudice, il pourrait obtenir des dommages-intérêts sur le fondement de l’article L. 442-6, I 5°. Pour cela, il lui suffira de démontrer l’existence de son préjudice, c’est-à -dire sa matérialité et le lien de causalité entre ce préjudice et la rupture brutale. En revanche, il ne devrait pas avoir à prouver l’existence d’une faute car celle-ci résulte de la brutalité de la rupture.
On entrevoit les risques que cette jurisprudence nouvelle peut faire courir dans les chaînes de contrats, spécialement dans le secteur de la distribution. C’est pourquoi lorsque la rupture d’une relation commerciale établie est envisagée, il est indispensable d’appréhender le contexte global dans lequel cette relation s’inscrit afin de déterminer, notamment en présence de contrats de sous-traitance, l’ensemble des tiers potentiellement victimes de la rupture.
b) Les personnes exclues.
La seule exigence concernant la victime est que celle-ci soit partie à une relation d’affaires, ce qui exclut nécessairement de cette catégorie les consommateurs. Certaines professions libérales peuvent également être exclues du bénéfice des dispositions de l’article L. 442-6, I 5° lorsque leur statut ou les principes déontologiques régissant leur profession interdisent son exercice à titre commercial (6). Il en est ainsi :
- des médecins. Il a été jugé en 2007 que des médecins liés à une clinique par un contrat d’exercice libéral ne pouvaient pas invoquer les dispositions précitées dans la mesure où l’article 83 du Code de déontologie médicale (devenu l’article R. 4127-19 du Code de la santé publique) prohibe expressément la pratique de la médecine comme un commerce (Cass. com., 23 oct. 2007, n°06-16.774 Bull. civ. IV, n°220) ;
- des notaires. En 2009, la Cour de cassation a jugé que, le statut du notariat interdisant aux notaires de se livrer à des opérations de commerce, un notaire qui se prétendait victime de la rupture brutale de crédits bancaires personnels et professionnels ne pouvait pas se prévaloir des dispositions de l’article L. 442-6, I 5° (Cass. com., 20 janv. 2009, n°07-17.556 Bull. civ IV, n°7) ;
- des conseils en propriété industrielle. En avril 2013, la Cour de cassation a considéré qu’un conseil en propriété industrielle ne pouvait pas se prévaloir de l’article L. 442-6,I 5° faute de pouvoir entretenir une relation commerciale : en effet, la profession de conseil en propriété industrielle étant, aux termes de l’article L. 422-12 du Code de la propriété intellectuelle, incompatible avec toute activité de caractère commercial, « l’activité de conseil en propriété industrielle, quand bien même elle serait exercée sous forme de société commerciale, n’est pas une activité commerciale » (Cass. com., 3 avril 2013, n°12-17.905, P+B).
Enfin, sont également exclues les personnes exerçant une activité régie par des dispositions spéciales dérogeant au droit commun de l’article L. 442-6, I 5°, comme celles d’agence commerciale, de sous-traitance de transport ou de commission de transport (voir infra).
B. Qu’est-ce qu’une relation commerciale établie ?
Une fois que l’existence d’une relation commerciale est démontrée, il convient de rechercher si elle présente bien, en outre, un caractère établi pour que les dispositions de l’article L. 442-6, I 5° trouvent à s’appliquer. Ici encore, c’est l’examen de la jurisprudence qui fournit les éléments d’appréciation de ce critère.
1. Indifférence de l’existence d’un contrat formalisé
La notion de relation commerciale établie visée par la loi ne s’identifie pas à la relation contractuelle. En d’autres termes, elle dépasse et transcende la cadre traditionnel du contrat. Ainsi les dispositions de l’article L. 442-6, I 5° peuvent s’appliquer à la rupture brutale d’une relation non formalisée et verbale, d’une relation contractuelle ou même post-contractuelle, à une relation à durée indéterminée ou déterminée et même parfois à une relation impliquant des personnes autres que les parties initiales.
2. Stabilité de la relation et croyance légitime dans sa poursuite : critères de la relation commerciale établie
La Cour de cassation a défini, dans son rapport annuel pour 2008, la relation commerciale établie comme : « une relation commerciale entre parties qui revêtait avant sa rupture un caractère stable, suivi et habituel, et où la partie victime de l’interruption pouvait raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial » (rapport p. 306). Elle a précisé que « cette anticipation raisonnable peut être démontrée en s’appuyant sur l’existence d’un contrat dont l’échéance est postérieure à la date de la rupture ou sur une pratique passée dont la partie victime de la rupture pouvait inférer que sa relation commerciale s’instaurait dans la durée ».
L’existence d’une relation commerciale établie repose donc sur la conjugaison de deux critères : la stabilité de la relation et la croyance légitime en sa poursuite.
C’est donc la confiance créée dans l’esprit de la victime de la rupture d’une relation régulière et significative qui va être contrôlée par les juges du fond. Cette condition sera remplie chaque fois que pourra être rapportée la preuve d’une relation stable, régulière et significative entre partenaires économiques ayant permis à la victime de croire en l’avenir de la relation et donc en sa pérennité.
a) La RCE et la conclusion de contrats indépendants
Il en résulte qu’une relation commerciale établie ne peut pas être écartée sur le simple motif que la relation n’aurait pas donné lieu à l’établissement d’un accord cadre, à une garantie de chiffre d’affaires ou d’exclusivité et qu’elle résulte de contrats indépendants, successifs ou juxtaposés (Cass. com., 20 mars 2012, n°10-26.220, F-D ; à propos d’une relation commerciale de 20 ans entretenue entre un fabricant de maisons en bois livrées en kit et l’artisan sous-traitant chargé de monter ces maisons au gré des commandes reçues par le fabricant) (7).
De même, à propos de la relation qui unissait depuis quinze ans un fournisseur de gants de ski à la société Décathlon, la Cour de cassation a estimé que l’existence d’une relation commerciale établie ne pouvait pas être exclue du seul fait que les relations contractuelles résultaient de contrats indépendants et que les parties n’avaient pas passé d’accord-cadre et qu’aucun chiffre d’affaires ou exclusivité n’avait été garanti (Cass. com. , 6 sept. 2011, n°10-30.679, F-D ).
b) La RCE et l’absence d’échange permanent et continu
La succession de contrats ponctuels et/ ou indépendants à durée déterminée n’est donc pas forcément contraire à la notion de relation commerciale établie, laquelle n’est pas conditionnée par l’existence d’un échange permanent et continu entre les partenaires économiques.
Ainsi, dans un cas où un négociant en vins louait chaque année depuis quinze ans un stand pendant dix jours à la Foire de Paris, la Cour de cassation a considéré que la relation commerciale entre cet exposant et l’organisateur du salon présentait bien un caractère régulier, significatif et stable dans la mesure où la Foire de Paris ne se tenant qu’une fois par an, les relations entre les parties ne pouvaient matériellement pas se poursuivre en dehors de cette période. Les prestations avaient été fournies chaque année au négociant depuis son immatriculation au RCS ; ce dernier avait fondé sa stratégie commerciale sur cet événement majeur à l’occasion duquel il réalisait un chiffre d’affaires important. Ces éléments permettaient au négociant de croire légitimement en la poursuite de cette relation essentielle à son activité (Cass. com., 15 sept. 2009, n°08-19.200, bull. civ. IV, n°110).
3. Extension de la relation commerciale établie au-delà des parties initiales
La jurisprudence a marqué récemment une nouvelle avancée dans l’appréhension de la notion de relation commerciale établie en considérant que celle-ci pouvait, selon les circonstances, être caractérisée au-delà des parties initiales.
Il est vrai que la Cour de cassation avait déjà admis qu’une même relation pouvait concerner plusieurs personnes successivement. Il en allait ainsi dans le cadre d’une cession de contrat, le contrat étant repris par le cessionnaire par voie d’accord express du cocontractant ou d’avenant, ou par l’effet de la transmission universelle opérée par une fusion ou un apport partiel d’actif.
a) La RCE et nouveau contrat
En novembre 2011, la Cour de cassation est allée plus loin encore en considérant qu’une relation commerciale établie pouvait transcender (y compris en cas de cession de fonds de commerce (8)) une succession de contractants lorsque la relation commerciale poursuivie est fondamentalement la même que celle initiée et s’inscrit dans la « lignée » du précédent contrat (Cass. com., 2 nov. 2011, n°10-25.323, F-D). Au cas particulier, une société A fabricant de meubles avait conclu pendant 25 ans avec la société Mr Bricolage des contrats de référencement renouvelés annuellement. A la suite de difficultés financières, son fonds de commerce avait été acquis, dans le cadre d’un plan de cession, par la société B. Celle-ci avait alors signé avec Mr Bricolage un nouveau contrat de référencement qui n’était que la reprise, à quelques modifications près, du contrat conclu l’année précédente avec la société A. La société Mr Bricolage ayant mis fin à ce contrat, s’est alors posée la question du point de départ de la relation commerciale pour apprécier son caractère établi. La Cour de cassation a approuvé la cour d’appel d’avoir décidé qu’il y avait lieu de faire masse des relations contractuelles successivement entretenues par la société A puis par la société B avec la société Mr Bricolage. En effet car cette dernière avait poursuivi avec la société B la relation commerciale initialement nouée avec la société A, dès lors que le nouveau contrat s’inscrivait dans la lignée des précédents.
b) La RCE et nouveau cocontractant
C’est la même logique que la Cour de cassation a suivie le 25 septembre 2012 en considérant qu’une relation commerciale établie avec un fournisseur pouvait se poursuivre avec un autre partenaire en exécution d’un nouveau contrat si les parties avaient entendu se situer dans la continuation des relations antérieures (Cass. com., 25 sept. 2012 n°11-24.301, F-P+B). En l’espèce, une société française avait importé en France pendant 12 ans des soupes fabriquées par Nestlé Maroc. Nestlé Maroc ayant mis fin à cette relation, elle avait alors conclu un contrat de distribution exclusive de trois ans, renouvelable par tacite reconduction pour une durée indéterminée, avec la société Nestlé France pour la commercialisation des mêmes produits. Nestlé France a dénoncé ce contrat cinq ans plus tard. La Cour de cassation a considéré qu’il y avait lieu, pour apprécier la durée de la relation commerciale établie, de prendre en considération la durée totale des relations instaurées avec Nestlé Maroc puis avec Nestlé France dans la mesure où le contrat conclu avec cette dernière et plus particulièrement son préambule traduisait la volonté des parties de poursuivre et de développer les relations existant entre le distributeur et le groupe Nestlé en s’appuyant notamment sur l’expérience acquise par le premier dans le cadre de son partenariat avec Nestlé Maroc pour la commercialisation des mêmes produits. Ces décisions illustrent l’importance de déterminer les contrats successifs à prendre en compte pour reconstituer l’ensemble de la relation commerciale établie et fixer précisément son point de départ afin de notifier un préavis d’une durée suffisante.
4. Exclusion des relations précaires
A chaque fois qu’elle sera empreinte de précarité ou d’un aléa, la relation commerciale ne sera pas établie au sens de l’article L. 442-6, I 5° du Code de commerce.
a) La RCE et nécessaire connaissance du caractère précaire de la relation
La Cour de cassation a jugé que revêtait un caractère précaire, exclusif de l’application de l’article L. 442-6, I 5°, la relation contractuelle entretenue pendant 3 ans entre la société Europe 1 et la société commerciale gérée par un médecin animateur d’émissions radiophoniques hebdomadaires dans la mesure où chacun des cinq contrats successivement conclus excluait expressément toute reconduction tacite, ce qui était conforme aux usages de la profession. Les usages, connus de l’animateur depuis 15 ans, excluaient toute pérennité, chaque contrat n’étant signé que pour une saison radiophonique. L’intéressé ne pouvait donc légitimement s’attendre à la stabilité de la relation (Cass. com., 12 février 2013, n°12- 13.819, F-D).
Pareillement, il ne saurait y avoir rupture d’une relation commerciale établie lorsque l’une des parties s’est clairement opposée, par lettre recommandée, au renouvellement prévu par tacite reconduction pour une période de 12 mois, même si cette partie a accepté de poursuivre la relation provisoirement, dans l’attente de la négociation d’un nouvel accord (Cass.com., 28 juin 2011, n°10- 16.867).
Jugé également que le non-renouvellement d’un contrat à durée déterminée de deux ans non renouvelable par tacite reconduction n’était pas constitutif d’une rupture brutale de relation commerciale établie, même si ce contrat succédait à une chaîne de contrats ininterrompue. En effet, la « victime » ne pouvait pas ignorer qu’à son échéance le contrat était susceptible, soit de faire l’objet d’une nouvelle négociation, soit de ne pas être renouvelé. En aucun cas l’auteur de la rupture n’avait abusé de la confiance du partenaire en lui laissant croire à la conclusion d’un nouveau contrat (Cass. com., 20 nov. 2012, n°11-22.660, F-G).
b) La RCE et l’appel d’offres
Le caractère établi d’une relation commerciale est également exclu lorsque la conclusion de contrats successifs à durée déterminée intervient après une procédure d’appel d’offres systématique. En effet, le recours à une mise en compétition avec des concurrents avant toute passation de commande prive les relations commerciales de toute permanence garantie et les place dans une situation de précarité ne permettant pas à l’entreprise qui a été plusieurs fois attributaire du marché de considérer que ces relations ont un avenir certain (CA Versailles, 18 sept. 2008, n°07/7891).
La Cour de cassation a, par ailleurs, jugé que la mise en oeuvre d’un appel d’offres exclut la rupture d’une relation commerciale établie si elle s’accompagne d’un préavis suffisant et de la volonté exprimée d’inscrire pour le futur les relations dans un cadre précaire (Cass. com., 20 sept. 2011, n°10- 15.750, F-D). En revanche, si le recours à un appel d’offres n’est que ponctuel et si le partenaire n’annonce pas qu’il y sera recouru de façon systématique et régulière, la relation commerciale ne peut pas être considérée comme précaire (CA Versailles, 27 oct. 2011, n°10/04733).
C. Quelle forme peut prendre la rupture brutale ?
Une fois démontrés l’existence de la relation commerciale et son caractère établi, il convient de s’interroger sur les formes que peut prendre la rupture brutale visée par l’article L. 442-6, I 5° du Code de commerce.
Il peut tout d’abord s’agir de la résiliation unilatérale d’un contrat à durée indéterminée, c’est-à -dire de la cessation totale, à l’initiative de l’une des parties, de toute relation commerciale établie (CA Versailles, 6 déc. 2011, n°10/02110).
La rupture peut également résulter du non-renouvellement d’un contrat à durée déterminée. La Cour d’appel de Paris a ainsi considéré que la prorogation à deux reprises d’un contrat de promotion commerciale, d’une durée initiale d’un an, renouvelable par tacite reconduction, constituait une relation commerciale établie (d’une durée de trois ans). Le non-renouvellement de ce contrat étant donc imprévisible pour la victime, elle en a déduit que l’auteur du non-renouvellement avait engagé sa responsabilité de ce chef (CA Paris, 15 déc. 2005, n°04/24526).
La rupture brutale d’une relation commerciale établie peut aussi prendre la forme d’une rupture partielle chaque fois que l’une des parties va modifier unilatéralement et de façon substantielle des conditions d’un contrat sans qu’il y ait de négociation possible (Cass. com., 9 oct. 2012, n°11-23.549, F-D). En l’espèce, un fabricant français d’appareils électroménagers, qui était en relation commerciale depuis 1997 avec un grossiste exerçant son activité notamment sur le marché maghrébin, avait informé ce dernier en 2006 que, souhaitant réorganiser son activité commerciale sur le marché maghrébin, il n’exécuterait plus les commandes du grossiste à destination de ce marché. Il y avait donc eu rupture partielle de la relation commerciale établie dans la mesure où le fabricant avait privé le grossiste de la possibilité de revendre ses produits sur l’ensemble du marché maghrébin.
II. Impact de la négociation commerciale sur la notion de relation commerciale établie
L’article L. 441-7 du Code de commerce impose aux fournisseurs et distributeurs de formaliser leurs relations commerciales dans un contrat annuel qui doit impérativement être signé avant le 1er mars de chaque année et récapituler le contenu de la négociation commerciale menée entre les parties. Cette obligation de renégociation annuelle pourrait être perçue comme remettant en cause la notion de relation commerciale établie et ce, malgré l’ancienneté des relations entretenues. Il n’en est rien selon la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales (CEPC). Cette dernière a en effet affirmé, dans un avis du 18 février 2010 (10), que « le fait que les négociations entre les parties s’établissent selon un rythme annuel ne fait pas obstacle à la démonstration » du caractère établi de la relation.
De son côté, la jurisprudence a été amenée à considérer que l’absence de formalisation de la relation contractuelle dans un contrat annuel, conformément aux prescriptions de l’article L. 441- 7 précité, ne constituait pas la preuve de l’absence de relations commerciales établies. Ainsi, dans un arrêt du 30 juin 2011 (10), la Cour d’appel de Metz a jugé que l’existence d’un contrat-cadre n’était pas exigée pour caractériser une relation commerciale stable. En l’espèce, le litige opposait une grande enseigne de la distribution à un fabricant de carrelages. Le distributeur prétendait qu’il n’existait pas de relation commerciale établie mais seulement des commandes ponctuelles en raison de l’absence de contrat-cadre annuel conclu avec le fabricant. Cet argument n’a pas été retenu par les juges du fond qui ont rappelé l’indifférence de l’existence d’un contrat cadre. Cette interprétation a, par ailleurs, été retenue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 6 septembre 2011 (11).
Pour autant, les négociations commerciales peuvent avoir une incidence directe sur la poursuite d’une relation commerciale établie. L’article L. 442-6 du Code de commerce pose le principe selon lequel les conditions générales de vente sont le socle de la négociation commerciale tout en prévoyant la possibilité de négocier des conditions particulières de vente en marge des conditions générales et donc de déroger à celles-ci. Or, cette liberté de négociation ne se traduit pas nécessairement par la conclusion systématique d’un accord (A). Par ailleurs, au cours de la négociation, il peut arriver que les parties utilisent la menace de la rupture brutale pour obtenir des conditions de vente plus favorables (B).
A. Négociations tarifaires et rupture brutale
Le Code de commerce, depuis la LME du 4 août 2008, consacre le principe de « libre négociabilité ». Dès lors, dans la pratique, il arrive aux parties de rompre leurs relations contractuelles en raison de l’échec des négociations (1), du refus de l’une des parties de négocier (2) ou d’un changement substantiel de stratégie commerciale (3).
1. L’échec des négociations
Lorsque les négociations commerciales échouent, la question est de savoir si cet échec peut constituer un fait justificatif de la rupture brutale des relations commerciales qui en résulte.
Dans un arrêt du 6 décembre 2011, la Cour d’appel de Versailles (12) a répondu par la négative. En l’espèce, un litige opposait un fabricant de produits de charcuterie à son transporteur. Les parties négociaient chaque année les conditions économiques et financières applicables à leurs relations commerciales. En 2006, les entreprises ne s’entendent pas sur les conditions tarifaires et les négociations échouent. Le chargeur avise alors son cocontractant du non-renouvellement du contrat sans observer de préavis. Il faisait valoir qu’il n’y avait pas de rupture brutale en raison de l’absence d’accord entre les parties sur les conditions juridiques et financières et donc sur la poursuite de leurs relations commerciales.
La Cour d’appel de Versailles n’a pas suivi cette argumentation. Elle a considéré qu’il ne pouvait être soutenu « qu’il n’y [avait] pas eu rupture des relations commerciales mais de simples négociations pré-contractuelles qui [avaient] échoué » en raison de la régularité, du caractère significatif et de la stabilité de la relation commerciale établie entre les partenaires économiques. Elle en a déduit que, quand bien même l’échec des négociations avait effectivement conduit à la cessation des relations commerciales, le fabricant de produits de charcuterie avait engagé sa responsabilité dès lors qu’il avait rompu ces relations sans observer de préavis.
Dans ce cas de figure, d’échec des négociations, la principale difficulté est savoir qui est l’auteur de la rupture.
La CEPC a eu l’occasion de préciser, dans son avis 10-04 (13) du 18 février 2010, que pour déterminer l’auteur, il convient de rechercher les raisons pour lesquelles il n’a pas été possible de dégager un nouvel accord entre les parties.
Toutefois, la CEPC précise qu’il « appartient au juge saisi d’un éventuel contentieux de déterminer laquelle des deux parties est réellement à l’origine de la cessation de la relation commerciale » en fonction des informations recueillies et des circonstances de l’espèce, ce qui en pratique peut conduire à des solutions très variables d’un contentieux à un autre. Ainsi, à titre d’exemple, lorsque les fournisseurs pratiquent une hausse tarifaire qui n’est pas corrélée à la hausse des prix des matières premières, ou qui dépasse largement cette hausse, le juge peut considérer que la rupture des relations commerciales doit être imputée à celui qui pratique cette hausse injustifiée. A l’inverse, dès lors que la hausse est proportionnée à celle du prix des matières premières, l’auteur de la rupture pourrait être le cocontractant qui la refuse.
2. Le refus de négocier
Le refus de négocier, qui peut aboutir à la rupture des relations commerciales, ne soulève pas de difficultés particulières. En effet, dans un arrêt du 3 juillet 2008 (14), la Cour d’appel de Paris a reconnu que le refus intégral des conditions générales de vente d’un fournisseur « [revenait] à ne pas vouloir traiter avec ce fournisseur ». Ce refus intégral caractérise une rupture brutale des relations commerciales.
De son côté, la CEPC (15) distingue, en cas de refus catégorique de négocier, deux hypothèses dépendant des dispositions contractuelles :
- soit les accords arrivés à leur terme prévoyaient le principe d’une renégociation pour la période suivante. Dans ce cas la négociation constitue une obligation contractuelle et la partie qui refuse de négocier est considérée comme responsable d’une rupture brutale des relations commerciales ;
- soit les accords arrivés à leur terme ne prévoyaient pas le principe de négociation pour la période suivante et dans ce cas le refus de renégocier ne constitue pas nécessairement une rupture abusive.
Toutefois, lorsque l’une des parties demande à poursuivre la relation, le refus opposé par l’autre peut être constitutif d’une telle rupture. Ce refus pourrait également constituer une tentative de créer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, susceptible d’être sanctionnée sur le fondement de l’article L.442-6, I 2° du Code de commerce.
3. Le changement de stratégie commerciale
Un changement de stratégie commerciale n’est pas nécessairement un fait justificatif valable pour rompre les relations commerciales. A cet égard, l’arrêt de la Cour de cassation du 6 novembre 2012 (16) est particulièrement illustratif. En l’espèce, un transporteur, qui effectuait fréquemment des transports et des livraisons pour le compte d’une grande enseigne de la distribution, décide de modifier ses tarifs ainsi que le contenu de ses prestations en réduisant notamment le volume des camions mis à disposition du distributeur. Estimant que la prestation fournie n’était plus conforme aux dispositions contractuelles, le distributeur notifie alors, sans préavis, la fin de la relation commerciale au transporteur.
La Cour d’appel a considéré que la modification, proposée avec effet immédiat, autorisait le distributeur à rompre la relation commerciale sans respecter un préavis. La Cour de cassation censure ce raisonnement au motif que la Cour d’appel n’avait pas constaté le caractère non négociable de la proposition de modification des conditions contractuelles : en effet, la simple proposition de modification des conditions contractuelles n’autorise pas la rupture immédiate s’il n’est pas établi que cette proposition n’est pas négociable et ce, quand bien même la modification serait proposée avec effet immédiat et que le cocontractant aurait des craintes de mauvaise exécution du service aux anciennes conditions. La Cour de cassation considère que le distributeur est l’auteur de la rupture alors même que c’est son transporteur qui avait changé sa politique commerciale. Le juge suprême retient ainsi une acception stricte de la notion d’auteur de la rupture alors qu’il aurait été possible de considérer le distributeur comme la victime de ce changement de politique commerciale. Toutefois, cette solution se justifie probablement en raison du rapport de force entre les parties puisque le distributeur était une enseigne puissante de grande distribution dans le secteur du bricolage.
Cette décision se situe dans le prolongement de décisions ayant retenu, d’une part, qu’un fournisseur avait rompu brutalement ses relations commerciales avec un distributeur en modifiant ses conditions tarifaires et de vente ainsi que son circuit de commercialisation (impliquant dorénavant un intermédiaire) (17) et, d’autre part, qu’une société s’était rendue coupable de la rupture brutale de relations commerciales en augmentant ses tarifs et en modifiant ses conditions de règlement sans préavis (18).
B. Négociations commerciales et menace de rupture des relations commerciales
L’article L.442-6, I 4° du Code de commerce interdit « d’obtenir ou de tenter d’obtenir, sous la menace d’une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d’achat ou de vente ».
Cette menace est donc caractérisée dès lors que deux conditions cumulatives sont remplies : la menace doit être utilisée comme moyen de pression (1) et, elle doit l’être pour imposer des conditions tarifaires abusives (19) (2).
1. Le caractère manifestement abusif des conditions commerciales
Ce caractère s’apprécie indifféremment du fait que les conditions aient été obtenues ou simplement demandées sous la menace. Un arrêt du 20 novembre 2012 de la Cour d’appel de Versailles (20) souligne l’importance de la démonstration du caractère manifestement abusif des conditions commerciales sollicitées. En l’espèce, le litige portait sur des modifications de la facturation. En se fondant sur les correspondances échangées entre les parties et sur l’absence de démonstration par la victime du caractère manifestement abusif des modifications proposées (facturation mensuelle d’une provision sur honoraires dite retainer), la Cour d’appel a écarté le moyen fondé sur la menace de rupture abusive des relations commerciales. Ainsi, si la preuve du caractère manifestement abusif des nouvelles conditions commerciales n’est pas rapportée, la menace de rupture n’est pas caractérisée.
En tout état de cause, si cette condition est remplie, il convient de vérifier l’existence de la seconde condition : l’utilisation de la menace comme moyen de pression.
2. La preuve d’une menace
La menace se caractérise par la manifestation de la volonté de rompre les relations commerciales et non de seulement les suspendre.
Ainsi, la Cour d’appel de Rennes a jugé que « si (l’acheteur) s’opposait à l’augmentation du prix de reprise des volailles réclamé par le fournisseur, il n’a jamais envisagé de renoncer à s’approvisionner (…) auprès de celui-ci, revendiquant même des conditions d’exclusivité (…). Le refus annoncé de procéder à la reprise (des produits contractuels) ne s’analyse ni en une menace de rupture, ni en une rupture brutale des relations commerciales mais comme une suspension par (l’acheteur) de ses obligations contractuelles qui, bien qu’elle soit fautive (…) ne traduisait nullement l’intention de celui-ci de rompre ou de menacer de rompre, même partiellement les relations d’affaires nouées avec (le fournisseur), mais seulement d’exercer des pressions, au demeurant inadmissibles, afin de contraindre (ce dernier) à renoncer à son augmentation de prix. »
Pour que sa responsabilité puisse être engagée sur le fondement de l’article L. 442-6, I 4° du Code de commerce, l’auteur de la rupture doit nécessairement avoir sollicité son cocontractant préalablement à la rupture. A cet égard, la Cour d’appel de Douai a rejeté le grief de déréférencement abusif avancé par un fournisseur à l’encontre d’un distributeur au motif que ce dernier « n’a pas tenté d’obtenir des avantages dérogatoires sous la menace d’une rupture puisque la société (le distributeur) n’a pas sollicité sa cocontractante (le fournisseur) au préalable mais lui a notifié d’emblée la fin des relations en lui disant que son offre n’était pas bien placée ; il n’y a eu aucun chantage préalable ni aucune menace, (le fournisseur) ayant constaté avec surprise cette rupture, considérée par (lui) comme soudaine » (21). La Cour d’appel a également écarté le grief de la rupture brutale en raison du respect d’un délai de préavis de quatre mois alors que les relations n’étaient pas régulières.
En revanche, la menace de rupture a été retenue dans un cas où une société avait tenté d’obtenir sous la menace d’une cessation d’approvisionnement des conditions de paiement manifestement abusives par rapport aux obligations qui avaient été définies et négociées entre les parties (22).
De même, la demande par un fournisseur du versement à la commande d’un acompte de 80% par virement, dérogatoire aux conditions générales de vente et imposée avec la menace implicite mais claire de ne plus livrer dans le but de lutter contre les impayés, constitue une menace de rupture abusive au motif qu’ « un seul impayé […] ne saurait constituer une raison légitime et suffisante de modification des conditions commerciales, et ce d’autant qu’il a été régularisé sous quinzaine » (23).
La Cour d’appel d’Aix en Provence (24) a aussi retenu la responsabilité pour menace de rupture abusive d’un fabricant en considérant que ce dernier « ne pouvait pas, au motif des difficultés économiques et de taux de rentabilité insuffisants de son activité, tenter d’obtenir, sous la menace qu’il a mise à exécution, d’arrêter brutalement la fourniture de produits, une revalorisation tarifaire » de 7% sur l’ensemble de la gamme de produits. En l’espèce, le cocontractant du fournisseur avait déjà concédé une revalorisation tarifaire de 1%, qui s’était toutefois révélée insuffisante. Le fournisseur avait alors proposé une revalorisation plus importante en cours d’année en indiquant que faute d’accord, il serait contraint d’arrêter ses livraisons. Le fournisseur plaidait que cette revalorisation était possible car son cocontractant, qui était une grande enseigne de distribution, pouvait également répercuter la hausse tarifaire. La Cour a considéré « qu’il est manifestement abusif de tenter d’obtenir une renégociation d’une grille tarifaire à effet au 1er janvier [valable pour l’ensemble de l’année] alors qu’elle venait d’être fixée par un protocole d’accord transactionnel après d’âpres discussions ». Cette solution se justifie dès lors que la relation est définie annuellement et que le fournisseur aurait dû anticiper ce cas de figure à l’occasion de la revalorisation de son contrat annuel.
In fine, le contentieux relatif à la menace de rupture brutale des relations commerciales est un contentieux encore limité mais qui connaît un développement certain. Pour l’heure, même si l’examen de la menace de rupture brutale relève d’un contentieux spécifique, ce moyen est rarement invoqué isolément (CEPC, Rapport d’activité 2010/2011). Il est, en effet, fréquemment soulevé à l’appui d’autres griefs, dont notamment :
- la rupture brutale ou partielle, lorsque la menace a été mise en oeuvre (art. L. 442-6, I 5° C. com.) ;
- le déséquilibre significatif, lequel permet lui aussi de lutter contre l’abus dans le cadre du principe de libre négociation (art. L. 442-6, I 2° C. com.) ;
- l’abus de dépendance économique (art. L. 420-2 C. com.), lequel permet également de sanctionner le fait de soumettre son partenaire à des conditions commerciales injustifiées (CA Rennes, 21 juin 2011, RG 10/03680).
Notes
1. Cass. com., 14 sept. 2010, n°09-14.322, Bull. civ. IV, n°135. Saisie dans cette affaire d’un litige relatif à la rupture de conventions d’agrément conclues par deux mutuelles d’assurance avec un réparateur automobile, elle a jugé que « le régime juridique des sociétés d’assurances mutuelles, comme le caractère non lucratif de leur activité, ne sont pas de nature à les exclure du champ d’application des dispositions relatives aux pratiques restrictives de concurrence dès lors qu’elles procèdent à une activité de service ». La Cour d’appel de Riom dans une décision du 23 février 2011, n°10/01169 opposant également une mutuelle d’assurance à une société d’expertise automobile a confirmé cette solution.
2. Cass. com., 3 avril 2013, n°12-17.163, F-D. Cet arrêt toutefois n’a pas été publié au bulletin. Il est donc à considérer avec une certaine mesure, d’autant que c’est pour manque de base légale que l’arrêt d’appel a été cassé. En l’espèce, la Cour de cassation a reproché à la cour d’appel de ne pas avoir vérifié si un comité d’entreprise qui avait conclu un protocole d’accord avec une société commerciale pour gérer un parc de distributeurs de boissons avait respecté un prévis suffisant.
3. TGI Paris 4 janv. 2011, RG 09/11289 ayant exclu l’application de l’article L. 442- 6, I 5° à la Chambre nationale des huissiers de justice car celle-ci est un établissement public qui n’exerce pas d’activité commerciale.
4. CA Douai 13 février 2012, n°10/09275 : litige opposant une société de transport à une association d’action sanitaire et sociale de Lille (ASRL) : « Attendu que les dispositions de l’article L.442-6 I 5 du Code de commerce … ne sont applicables qu’aux producteurs, commerçants, industriels ou personnes immatriculées au registre des métiers, ce qui n’est pas le cas de l’ASRL, association de la loi de 1901, à but non lucratif ».
5. Cass. com., Bull. civ. IV, n°126, 6 sept. 2011, n°10- 11.975. Signalons toutefois, que cet arrêt prend le contre-pied d’un arrêt rendu en 2004 par la Cour de Cassation (Cass. com., 3 nov. 2004, n°02-17.078, F-D). La Cour avait jugé qu’un revendeur ne pouvait se plaindre de la rupture brutale de la relation commerciale établie liant son cocontractant importateur en France des produits qu’il distribuait et le fabricant. Cependant, cet arrêt du 6 septembre 2011 répond à une évolution logique de la jurisprudence car la Cour de Cassation dans un arrêt du 6 octobre 2006 rendu en Assemblée plénière avait admis que la responsabilité contractuelle d’une partie pouvait être invoquée par un tiers au contrat comme faute délictuelle pour obtenir réparation du dommage subi du fait de ce manquement contractuel. L’arrêt du 6 septembre 2011 transpose la jurisprudence du 6 octobre 2006 sur le terrain délictuel au droit de la distribution : la faute délictuelle commise par une partie à l’égard de son cocontractant pour rupture brutale et qui cause un dommage à un tiers autorise ce tiers à rechercher la responsabilité délictuelle de l’auteur de la rupture.
6. Ces personnes peuvent toujours invoquer les articles 1134 et 1135 du Code civil relatifs à l’exécution de bonne foi des conventions et à l’article1147 du Code civil relatif à l’inexécution des obligations contractuelles.
7. « Attendu qu’en se déterminant par de tels motifs, insuffisants à caractériser l’absence de relation commerciale régulière, stable et significative ( ) la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
8. Laquelle n’opère pas de plein droit transfert des contrats sauf exception (contrats de travail principalement).
9. CEPC, 18 févr. 2010, avis 10-04.
10. CA Metz, 30 juin 2011, n°06/03699.
11. Cass. com., 6 sept. 2011, n°10-30.679, F-D.
12. CA Versailles, 6 déc. 2011, n°11/02110.
13. CEPC, avis n°10-04, préc.
14. CA Paris, 3 juil. 2008, cité dans CEPC, avis 10-04.
15. CEPC, avis 10-04, 18 févr. 2010, préc.
16. Cass, com,, 6 nov. 2012, n°11-26.554, F-D.
17. Cass. com., 23 oct.2012, n°11-24.775, F-D.
18. Cass. com., 20 mars 2012, n°08-14.062, F-D.
19. CA Rennes, 21 juin 2011, n°10/03680. Jugé que « si la menace de rupture ou la rupture brutale de relations commerciales sont susceptibles d’engager la responsabilité de leur auteur en application de l’article L. 442-6, I, 4° et 5° du Code de commerce, c’est ( ) lorsque les circonstances entourant les négociations commerciales ou la cessation des relations d’affaires dénotent la volonté de l’un des partenaires commerciaux de rompre avec brutalité ou d’utiliser la menace de rupture comme moyen de pression à l’effet d’imposer des conditions (tarifaires) abusives ».
20. CA Versailles, 20 nov. 2012, n°11/05909.
21. CA Douai, 10 fév. 2011, n°08/08213.
22. CA Aix-en-Provence, 15 juin 2011, n°11/03547.
23. CA Grenoble, 20 oct. 2011, n°09/01678.
24. CA Aix-en-Provence, 7 sept. 2011, n°09/17983.
A propos des auteurs
Nathalie Pétrignet, avocat associée, spécialisée en matière de droit de concurrence national et européen, pratiques restrictives et négociation commerciale politique de distribution et aussi en droit des promotions des ventes et publicité.
Francine Van Doorne-Isnel, Avocat counsel, spécialisée en droit commercial et droit de la distribution
Article paru dans le Dossier Rupture brutale des relations commerciales établies, Journal des sociétés, n°110 – Juillet 2013