Titres identifiables et titres fongibles : le mode de calcul des plus-values de cession revisité ?
Dans un arrêt Langry du 8 juin 2016, le Conseil d’Etat vient de juger que la règle «premier entré, premier sorti» (PEPS) est d’application impérative pour les besoins du calcul d’une plus-value professionnelle, que les titres concernés soient identifiables ou non.
Selon que la plus-value de cession de titres est réalisée (i) par une personne physique agissant dans le cadre de son activité professionnelle ou par une société soumise à l’impôt sur les sociétés (on parle alors de plus-value «professionnelle») ou (ii) par une personne physique agissant dans le cadre de la gestion de son patrimoine privé (on parle dans ce cas de plus-value «privée»), le mode de calcul de la plus-value imposable diffère du fait d’une rédaction différente tant des textes de loi que de la doctrine administrative.
Ces divergences peuvent être sources de confusion et la décision rendue par le Conseil d’Etat le 8 juin 20161 est l’occasion de refaire le point sur les différentes règles applicables en matière de calcul des plus-values de cession de titres de même nature acquis à des dates différentes, qui, si elles ont été précisées par cette décision, n’en demeurent pas moins complexes.
Les plus-values professionnelles : PEPS comme méthode universelle
Dans l’affaire Langry, une personne physique agissant dans le cadre de son activité professionnelle avait acquis en 1999 des parts numérotées d’une entreprise agricole à responsabilité limitée pour 15,24€ par part sociale. Le 5 juillet 2005, il avait procédé à une augmentation de capital par apport en numéraire en échange duquel il avait reçu des parts numérotées d’une valeur unitaire de 47€. Dans la foulée, il a cédé le même jour et au même prix de 47€ les parts dont les numéros correspondaient à celles qui venaient d’être émises lors de l’augmentation de capital. Considérant qu’il était en mesure de déterminer le prix d’acquisition de chaque titre cédé, le contribuable n’a déclaré aucune plus-value.
Mais le Conseil d’Etat a relevé que le 6 de l’article 39 duodecies du CGI (auquel renvoie l’article 151 nonies applicable à la plus-value du contribuable en cause) dispose que : «les cessions de titres compris dans le portefeuille sont réputées porter par priorité sur les titres de même nature acquis ou souscrits à la date la plus ancienne». Les hauts magistrats en ont déduit, conformément aux conclusions du rapporteur public, que l’emploi du verbe «réputer» (par opposition à celui de «présumer») étant caractéristique d’une règle obligatoire, la numérotation des titres ne pouvait pas être de nature à remettre en cause l’application de cette règle PEPS.
La règle PEPS, qui semble pourtant à première vue favorable au contribuable dans le contexte des plus-values professionnelles (puisque, rappelons-le, le régime fiscal des plus-values à long terme s’applique dès lors que les titres ont été détenus depuis au moins deux ans), peut ainsi s’avérer moins avantageuse notamment, dans le cas fréquent, où la valeur d’un titre s’est largement appréciée entre deux acquisitions ou souscriptions successives. En effet, il convient également de rappeler que même si l’article 39 duodecies du CGI ne le précise pas expressément, la règle PEPS suppose de retenir non seulement la date d’acquisition du titre le plus ancien mais également son coût d’acquisition propre (article 38 octies de l’annexe III au CGI), ce qui exclut d’appliquer la méthode dite du coût unitaire moyen pondéré (CUMP).
Ce n’est en effet que sous certaines conditions que la méthode CUMP peut être appliquée et uniquement pour des titres de participation : (i) lorsqu’il est procédé à la cession de la totalité de la ligne de titres en l’absence de cession partielle antérieure, (ii) lorsque la méthode CUMP a également été appliquée sur le plan comptable et (iii) si l’application de la méthode CUMP n’entraîne pas l’apparition d’une moins-value à court terme ou n’a pas pour effet d’en majorer le montant.
En outre, il convient de souligner que la règle PEPS s’applique lorsque les titres cédés acquis à des dates différentes sont «de même nature», c’est-à -dire selon les commentaires de l’Administration2 lorsqu’il s’agit de titres qui «sont émis par une même collectivité et confèrent à leurs détenteurs les mêmes droits au sein de la collectivité émettrice». Ainsi, des actions de préférence par exemple, conférant des droits différents, ne sont pas des titres de même nature que les actions ordinaires de la société émettrice, et les plus-values afférentes à chacune de ces deux catégories se calculent de manière autonome.
L’article 39 duodecies du CGI prévoit enfin que les titres reçus en échange d’un apport ou d’une scission soumis au régime de l’article 210 B du CGI ne sont pas concernés par la règle PEPS jusqu’à l’échéance du délai de conservation de trois ans des titres reçus prévu par cet article. Pendant ce délai, les cessions sont réputées porter en priorité sur les titres acquis ou souscrits indépendamment de l’opération d’apport ou de scission.
Les plus-values privées : une distinction entre titres identifiables et titres fongibles
La question de la détermination de la date et du prix d’acquisition des titres cédés est également essentielle pour les plus-values privées. En effet, depuis le 1er janvier 2013, les plus-values de cession de titres réalisées par des particuliers sont soumises à l’impôt sur le revenu au barème progressif après application, le cas échéant, d’un abattement pour durée de détention s’échelonnant entre 50 % et 85 % selon les cas.
En la matière, la combinaison du 1 quinquies et du 3 de l’article 150-0 D du CGI conduit à appliquer les méthodes CUMP et PEPS. Il est en effet précisé, d’une part, qu’ «en cas de cession d’un ou plusieurs titres appartenant à une série de titres de même nature acquis pour des prix différents, le prix d’acquisition à retenir est la valeur moyenne pondérée d’acquisition de ces titres » et, d’autre part, qu’ «en cas de cessions antérieures de titres […] pour lesquels le gain net a été déterminé en retenant un prix d’acquisition calculé suivant la règle de la valeur moyenne pondérée d’acquisition prévue au premier alinéa du 3, le nombre de titres ou droits cédés antérieurement est réputé avoir été prélevé en priorité sur les titres ou droits acquis ou souscrits aux dates les plus anciennes».
A la lumière des règles d’interprétation mises en évidence par la décision du Conseil d’Etat précitée, on pourra s’interroger sur l’obligation d’appliquer ces méthodes de calcul. En effet, le verbe «réputer» est encore une fois employé pour imposer la méthode PEPS et la conjugaison au présent du verbe «être» en ce qui concerne l’application de la méthode CUMP ne semblerait pas laisser de place à une méthode alternative.
Cependant, à la différence des plus-values professionnelles, les commentaires administratifs opposables relatifs aux plus-values privées apportent des précisions par rapport aux textes de loi et distinguent clairement les titres identifiables des titres fongibles3. Ils posent le principe selon lequel les plus-values sur titres identifiables sont calculées en retenant la date et le prix d’acquisition propres à chaque titre cédé, alors que celles sur les titres fongibles sont déterminées en ayant recours aux méthodes CUMP et PEPS.
Afin de retenir la méthode appropriée, il convient donc de comprendre ce qui distingue un titre identifiable d’un titre fongible.
Les titres de sociétés sont en principe fongibles. Pour l’Administration fiscale il s’agit de «ceux appartenant à une série de titres de même nature acquis pour des prix différents (et à des dates différentes)». Quant aux titres identifiables, l’administration les définit comme «ceux pour lesquels le cédant connaît, à la date de leur cession et pour chacun d’entre eux, leur date et prix d’acquisition ou de souscription» et donne comme exemples les «titres numérotés» et «les titres inscrits sur un registre tenu par la société».
Ainsi, les titres identifiables sont notamment ceux qui sont numérotés et ceux qui figurent dans des sous-comptes d’actionnaires différents. Les commentaires administratifs admettent également que, lorsqu’un contribuable détient des titres de même nature sur plusieurs comptes chez un ou plusieurs intermédiaires, les méthodes CUMP et PEPS soient appliquées de manière autonome par chacun de ces intermédiaires et compte par compte4.
Il en ressort que le contribuable personne physique qui aura pris le soin de ménager la possibilité d’identifier les titres qu’il détient (que ce soit en numérotant des parts sociales ou bien en isolant des actions dans des sous-comptes particuliers) disposera du choix d’opposer à l’Administration le texte de loi qui retient les méthodes CUMP et PEPS ou sa propre doctrine qui permet une identification titre par titre5.
En conclusion, les règles de détermination des plus-values imposables répondent à des logiques différentes selon que la plus-value est professionnelle ou privée et qu’elle porte sur des titres identifiables ou fongibles. Il convient donc d’être vigilant à chaque opération pour anticiper les effets que peut avoir l’application de l’une ou l’autre de ces règles.
Notes
1 CE, 8 juin 2016, n°387826, Langry
2 BOI-BIC-PVMV-30-30-10 n°110
3 BOI-RPPM-PVBMI-20-20-20-20 n°50 à 130 et BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-40 n°1 à 50
4 BOI-RPPM-PVBMI-20-20-20-20 n°130
5 Cf. sur le sujet notre article L’ «identification» des titres : un réflexe utile pour la gestion des plus-values ?, paru dans Option Finance le 22 juin 2015 n°1323
Auteurs
Florian Burnat, avocat en droit fiscal
Damien Basson, avocat en droit fiscal
Titres identifiables et titres fongibles : le mode de calcul des plus-values de cession revisité ? – Article paru dans le magazine Option Finance le 25 juillet 2016
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