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Une obligation de non-concurrence doit-elle toujours être rémunérée ?

La pratique du M&A éprouve depuis longtemps l’usage qui consiste à stipuler une obligation de non-concurrence à la charge de l’associé cédant afin que celui-ci n’entrave pas l’activité sociale sitôt qu’il a quitté la société.

L’intérêt d’une telle clause est loin d’être anodin, car la jurisprudence a toujours refusé de consacrer le principe d’une obligation de non-concurrence à la charge d’un associé en place (dernièrement : Cass. com. 10 septembre 2013) et a fortiori d’un associé qui quitte la société. Stipuler une telle clause dans un protocole de cession de parts sociales ou d’actions peut donc être très stratégique pour le nouvel acquéreur.

Mais dans le même temps, une telle clause empêche le cédant d’exercer une activité dans le même secteur d’activité, ce qui pose indiscutablement la question de la contrepartie financière : celle-ci est-elle obligatoire ?

On a pu le penser, par analogie avec les règles qui président la matière en droit du travail. La chambre sociale de la Cour de cassation, au nom du « principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle », juge depuis 2002 qu’une contrepartie financière est indispensable pour que la clause soit valable. On s’était alors demandé si l’exigence d’une telle « rémunération » devait être réservée aux seules clauses de non-concurrence conclues par un salarié ou si, au contraire, elle devait être étendue à l’obligation de non-concurrence souscrite par un associé cédant ses parts sociales ou ses actions.

Un premier arrêt, rendu le 15 mars 2011 par la chambre commerciale de la Cour de cassation avait jugé qu’une contrepartie financière était obligatoire lorsque l’associé cédant était également salarié de la société. A l’évidence, on n’avait trouvé dans cet arrêt qu’une partie seulement de la réponse : qu’en était-il si le cédant n’était pas salarié de la société ?

Un arrêt rendu le 31 janvier 2012 avait ensuite décidé qu’une clause de non-réaffiliation qui n’était pas rémunérée était licite. L’avancée était certaine, mais rien n’était pourtant encore dit. Quelques mois plus tard, par un arrêt du 3 avril 2012, la chambre commerciale opérait un rapprochement frontal entre les deux clauses laissant présager que la même solution devait être retenue à propos d’une clause de non-concurrence. A nouveau saisie d’une clause de non-concurrence non rémunérée, la chambre commerciale dans un arrêt du 12 février 2013, laissait planer le doute, en écartant la clause au motif qu’elle n’était pas limitée dans l’espace. Puis, le 2 octobre 2013, la première chambre civile de la Cour de cassation avait jugé, à propos d’un mandataire d’assurance, que la clause de non-concurrence était valable même sans contrepartie financière. Avait-on enfin trouvé notre réponse ? Pas encore, car cette solution était justifiée par le « caractère exclusivement libéral de l’activité de mandataire de l’intéressé ».

Il a donc fallu attendre l’arrêt du 8 octobre 2013 pour que la chambre commerciale de la Cour de cassation lève toute ambiguïté : « Une clause de non-concurrence prévue à l’occasion de la cession de droits sociaux est licite à l’égard des actionnaires qui la souscrivent dès lors qu’elle est limitée dans le temps et dans l’espace et proportionnée aux intérêts légitimes à protéger. » Jusque-là, les conditions sont classiques. Mais, ajoute la Cour, « sa validité n’est subordonnée à l’existence d’une contrepartie financière que dans le cas où ces associés ou actionnaires avaient, à la date de leur engagement, la qualité de salariés de la société qu’ils se sont engagés à ne pas concurrencer ».

L’absence de publication de l’arrêt, si elle laisse artificiellement penser que la solution était acquise, au moins depuis 2011, ne le fera malgré tout pas passer inaperçu. On sait en effet désormais qu’un protocole de cession peut librement prévoir une obligation de non-concurrence non rémunérée à la charge du cédant à moins que celui-ci ne soit, au moment de la signature, salarié de la société.

La rémunération d’une clause de non-concurrence n’est donc pas systématique, ce qui ne manquera pas de satisfaire les acquéreurs. Ceci étant, la lumière portée sur l’aspect financier de la question ne doit pas faire oublier que, même dépourvue de contrepartie financière, la clause ne sera valable que si elle est, d’abord, limitée dans le temps, ensuite, limitée dans l’espace, enfin, proportionnée aux intérêts légitimes de la société.

A propos des auteurs

Isabelle Buffard-Bastide, avocat associée. Spécialisée en fusions & acquisitions – private equity, elle intervient plus particulièrement dans les domaines du droit des sociétés, fusions & acquisitions, private equity (pour des fonds d’investissement, pour les vendeurs dans le cadre de LBO / OBO, pour les managers), droit boursier, statut des dirigeants  et entreprises en difficulté.

Nicolas Callies, avocat associé. Il est spécialisé dans la réorganisation de grands groupes industriels et d’établissements financiers, dans l’accompagnement lors de négociation avec les partenaires sociaux dans des contextes de crise, dans l’assistance à l’occasion de la négociation annuelle obligatoire et de négociation de statut collectif, d’accords seniors, GPEC, droit syndical… dans les contentieux collectifs (contestation désignation d’expert, élections professionnelles…), l’épargne salariale (négociation d’accords d’intéressement, de participation et plan d’épargne dans de grands groupes), la formation en matière sociale des directeurs d’agence d’un établissement financier et de directeurs de magasin et responsables régionaux d’un groupe de distribution, le contentieux prud’homaux, le statut des dirigeants et l’assistance lors des contrôles URSSAF et contentieux sécurité sociale.

 

Article paru dans la revue Option Droit & Affaires du 11 décembre 2013