« Aviseurs » ou « Lanceurs d’alerte » … faudra-t-il choisir son camp ?

5 avril 2017
La loi Sapin 2 a créé un statut protecteur pour les lanceurs d’alerte désintéressés. Quelques mois plus tard la loi de finances a créé la possibilité de verser une indemnité aux aviseurs de l’administration fiscale. Comment combiner ces deux textes ? Quelle protection pour l’aviseur indemnisable ?
Les aviseurs de l’administration fiscale – « L’aviseur fiscal » : côté pile, l’éventualité d’une indemnité ; côté face, l’absence d’anonymat.
L’article 109 de la loi de finances pour 2017 (n°2016-1917) prévoit que le « Gouvernement peut autoriser l’administration fiscale à indemniser toute personne étrangère aux administrations publiques, dès lors qu’elle lui a fourni des renseignements ayant amené à la découverte d’un manquement aux règles fixées aux articles … ».
Les informations visées concernent les problématiques de :
- résidence fiscale ;
- rémunérations illégales d’agents publics dans le cadre de transactions internationales ;
- transferts indirects de bénéfices à l’étranger ;
- participations dans des sociétés établies dans un paradis fiscal ;
- rémunérations à des prestataires étrangers pour des services réalisés en France ;
- rattachement des bénéfices réalisés en France ;
- paiements à des résidents étrangers soumis à un régime fiscal privilégié.
Les renseignements ainsi collectés peuvent être exploités par les services fiscaux sans pour autant présenter un vice de procédure. Une exception concerne toutefois les informations qui n’auraient pas été régulièrement obtenues par la personne les ayant communiquées à l’Administration, et dans l’hypothèse où cette dernière se serait placée dans le cadre d’une procédure dite L16 B du Livre des Procédures Fiscales (cas des visites autorisées par la voie judiciaire) dont l’encadrement est particulier.
Le nouveau texte de loi, entré en vigueur le 1er janvier 2017, est une disposition transitoire qui est destinée à s’appliquer à titre expérimental pendant deux ans.
Elle ne peut toutefois être mise en œuvre qu’en vertu d’un arrêté du ministre chargé du budget fixant les conditions et modalités de l’indemnisation.
On relèvera que ce texte n’a fait l’objet d’aucune codification et on s’étonnera du peu de réactions qu’il a pu occasionner depuis son adoption par les parlementaires.
Est-ce en raison de l’absence de parution de texte réglementaire à ce jour qui le prive pour l’heure de toute portée, ou est-ce en raison de son évidente contradiction avec une autre disposition légale récente ?
Les lanceurs d’alertes au sein d’entreprises
Depuis la loi Sapin 2 (loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016) tout salarié divulguant des informations concernant son employeur sur des faits susceptibles d’être qualifiés de crime ou de délit peut bénéficier, en tant que « lanceur d’alerte », de la garantie de l’anonymat et d’une protection contre le licenciement et les sanctions. Toutefois la loi précise que l’action du lanceur d’alerte doit rester désintéressée.
Il résulte de ce qui précède que la loi Sapin 2 et la loi de finances peuvent avoir un champ d’application commun dès lors qu’un salarié a connaissance de manquements fiscaux de son employeur susceptibles de revêtir une qualification de délit, tel que par exemple en cas de fraude fiscale ou de délit comptable (articles 1741 et 1743 du code général des impôts). Se posera dans ce cas la question de la procédure à suivre par le salarié et du caractère désintéressé de son action.
En effet en premier lieu, le lanceur d’alerte loi Sapin ne peut pas directement communiquer l’information à l’Administration, il doit suivre la procédure interne à l’entreprise et la communiquer en premier lieu, dans les conditions fixées par son employeur, à son supérieur ou à la personne désignée à cet effet. Ce n’est que si ces derniers n’accomplissent aucune diligence « dans un délai raisonnable » que le lanceur d’alerte pourra s’adresser aux autorités administratives (dans le cas qui nous intéresse, à l’administration fiscale) ou aux autorités judiciaires.
En second lieu le lanceur d’alerte doit agir de « manière désintéressée ». La première analyse de ce texte conduit à considérer que le lanceur d’alerte ne doit pas tirer de son alerte un avantage financier. C’est la compréhension la plus commune et celle qui parait ressortir des débats à l’assemblée nationale. La seconde analyse consiste à considérer que le lanceur d’alerte ne doit pas non plus avoir un intérêt personnel même non financier à lancer l’alerte. Cette question a été posée par Charles de Courson (Rapp. 4045 en deuxième lecture à l’AN) qui suggérait de préciser que le désintéressement s’entendait de façon financière : « je pense que le qualificatif « de manière désintéressée » pose problème. Si on le garde, il faut y apporter une précision et écrire « de manière financièrement désintéressée », car un lanceur d’alerte a toujours un intérêt à agir : il peut être mû par des considérations éthiques ou un désir de vengeance, par exemple. Les motivations d’un être humain peuvent être très compliquées. D’aucuns pourront expliquer que tel lanceur d’alerte est intéressé parce qu’il vise son ancien conjoint dont il a divorcé dans la douleur … En ajoutant « financièrement », il devient clair que la personne ne doit pas avoir été payée pour dénoncer. Soit on ajoute ce terme, soit on supprime toute référence au désintéressement ». L’assemblée n’a pas souhaité ajouter la précision suggérée, ce qui pourrait laisser à penser que le désintéressement doit non seulement être financier mais aussi moral. Dans ces conditions une alerte concernant l’employeur du lanceur, portée à la connaissance de l’administration fiscale et susceptible de faire l’objet d’une indemnité, peut difficilement être considérée comme désintéressée, même si le lanceur d’alerte n’est pas certain d’obtenir une indemnité.
La conséquence de ce débat est importante. En effet, seuls les lanceurs d’alerte désintéressés qui respectent les conditions fixées par la loi Sapin 2 peuvent vraisemblablement prétendre à l’anonymat et à la protection créée à leur profit par la loi. La loi de finances, pour sa part, n’a pas créé de protection particulière pour les aviseurs.
Si les informations transmises concernent leur employeur, les aviseurs vont donc devoir se demander, d’une part, s’ils s’inscrivent dans la procédure loi Sapin ou non et, d’autre part, s’ils peuvent prétendre à une protection.
Dernière question, la loi ne dit pas comment la contrepartie financière reçue par l’aviseur sera analysée au plan fiscal : s’agirait-il d’un revenu non commercial à soumettre au barème progressif de l’impôt sur le revenu ? Les aviseurs non anonymes mériteront d’être avertis !
Auteurs
Alain Herrmann, avocat associé en droit social.
Christophe Frionnet, avocat associé en droit fiscal
« Aviseurs » ou « Lanceurs d’alerte » … faudra-t-il choisir son camp ? – Article paru dans Les Echos Business le 5 avril 2017
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