Circonstances d’une fraude privant le salarié de son statut protecteur

5 septembre 2017
Le salarié titulaire d’un mandat extérieur à l’entreprise, qui ne prévient son employeur de l’existence de ce mandat que lors de la rupture de son contrat commet un abus de droit annihilant sa qualité de salarié protégé.
Voilà un salarié d’une entreprise de travail temporaire qui, quinze jours avant le terme prévu de sa mission, informe son employeur de sa qualité de conseiller du salarié. Avant même l’échéance de son contrat, qu’il savait non-renouvelé, le salarié saisit le Conseil de prud’hommes d’une action en requalification de son contrat de mission en contrat à durée indéterminée et, notamment, d’une demande en paiement des rémunérations dues jusqu’à la fin de sa période de protection. Il obtient gain de cause devant la Cour d’appel, les juges retenant que le fait de ne pas révéler spontanément sa qualité de conseiller du salarié à l’employeur et de l’en aviser seulement au moment où le salarié estime nécessaire de bénéficier de la protection qui y est attachée ne peut être considéré comme abusif. La Cour de cassation censure sans réserve la décision au motif « qu’une fraude du salarié peut le priver de la protection attachée à son mandat ».
Le statut protecteur du conseiller du salarié
Rappelons que le conseiller du salarié bénéficie bien d’un statut protecteur. En effet, l’article L. 2413-1 du Code du travail impose de saisir l’inspection du travail avant l’interruption ou la notification du non-renouvellement de la mission d’un intérimaire par l’entreprise de travail temporaire. De plus, le mandat de conseiller du salarié figure explicitement dans la liste légale des mandats permettant de bénéficier d’une protection en cas de licenciement (article L. 2411-1 du Code du travail). Pour la mise en œuvre de cette protection, encore faut-il que l’employeur ait eu connaissance de ce mandat extérieur à l’entreprise.
L’information préalable de l’employeur
Dans ce cadre, le salarié ne peut se prévaloir de la protection attachée à ce mandat que si, au plus tard lors de l’entretien préalable au licenciement (Conseil constitutionnel, 14 mai 2012, n°2012-242, QPC), ou, s’il s’agit d’une rupture ne nécessitant pas un tel entretien, au plus tard avant la notification de l’acte de rupture (Cass. soc., 26 mars 2013, n°11-28.269), l’existence de ce mandat a été porté à la connaissance de l’employeur, soit par le salarié lui-même, soit que l’employeur en a été informé par d’autres voies (Cass. soc., 30 sept. 2015, n° 14-17.748).
Quelle fraude ?
En l’espèce, le salarié avait prévenu son employeur avant le terme du contrat, quinze jours précisément. La procédure spécifique devant l’inspection du travail aurait donc valablement pu être mise en œuvre par l’entreprise de travail temporaire. Pour autant, elle ne l’a pas fait et a été suivie par la Cour de cassation dans ses justifications. La société a en effet fait valoir un abus de la part du salarié dans l’usage de sa qualité de salarié protégé. Il n’avait informé son employeur que peu de temps avant l’échéance de la mission et en raison du non-renouvellement de celle-ci. En outre, il avait saisi sans délai le Conseil de prud’hommes, avant même que la société ait pu saisir l’inspection du travail, et avait, auprès d’employeurs précédents, déjà opéré de la sorte. En conséquence, la Cour de cassation a reconnu le caractère frauduleux de l’utilisation du statut protecteur.
Si cette décision est conforme à la jurisprudence, en ce qu’elle reconnaît que la fraude peut priver le salarié des bénéfices de son statut protecteur, sa portée doit être appréciée au regard des circonstances factuelles caractérisant la fraude. Dès lors que l’employeur est informé avant, soit l’entretien préalable, soit la notification de la rupture selon les cas, de ce que le salarié est titulaire d’un mandat extérieur, il lui appartient de mettre en œuvre la procédure adaptée. Les hypothèses avérées de fraude demeurent marginales. La vigilance s’impose et demeure toujours.
Auteur
Damien Chatard, avocat, droit social
Circonstances d’une fraude privant le salarié de son statut protecteur – Article paru dans Les Echos Business le 5 septembre 2017
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