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Le barème des indemnités prud’homales : une fausse bonne idée ?

Le barème des indemnités prud’homales : une fausse bonne idée ?

L’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 a instauré un (nouveau) barème d’indemnisation afférent au licenciement abusif ou dépourvu de cause réelle et sérieuse. Contrairement au tableau référentiel précédemment en vigueur et introduit par le décret n°2016-1581 du 23 novembre 2016 (cf. article R 1235-22 du Code du travail), qui n’était qu’indicatif, le nouveau barème, applicable aux licenciements prononcés après le 24 septembre 2017, est obligatoire et s’impose au juge prud’homal.

Appelé de leurs vœux par les employeurs et les syndicats patronaux qui y voient davantage de visibilité à l’occasion des licenciements qu’ils sont amenés à opérer et par voie de conséquence moins de réticences à recruter des collaborateurs, décrié par les organisations syndicales qui estiment que cette « barémisation » porte atteinte au principe de réparation intégrale du (des) préjudice (s) subi (s) par les salariés, ce nouveau barème d’indemnisation semble aller dans le sens d’une limitation, pour ne pas dire d’une diminution drastique du nombre de saisines des conseils de prud’hommes (chacun a bien compris que c’était l’un des objectifs recherchés, quand bien même il n’est pas exprimé aussi clairement).

A titre de simple illustration, un salarié qui compte moins d’un an d’ancienneté et qui ne peut à présent escompter qu’un mois de salaire tout au plus pourra être enclin, du fait du nouveau barème, à renoncer à saisir la justice, singulièrement s’il est amené à engager des frais pour assurer sa défense.

Le barème obligatoire n’ayant pas vocation à s’appliquer dans un nombre important de situations, on peut penser également que les contentieux prud’homaux vont naître sur d’autres sujets que les salariés n’avaient pas forcément imaginés jusqu’alors.

Ainsi, l’application du barème, salué par beaucoup de praticiens du droit social, va entraîner son lot d’inconvénients et d’effets pervers, dont certains n’ont semble-t-il pas été suffisamment mesurés par les rédacteurs de l’ordonnance du 22 septembre 2017.

1. Le nouveau barème : une clarification et une uniformisation de l’indemnisation des salariés

Contrairement au précédent tableau indicatif de l’article R 1235-22 du Code du travail, le nouveau barème, dorénavant visé à l’article L 1235-3 du Code du travail :

  • procède à une distinction – en fonction de l’ancienneté – entre les salariés travaillant dans des entreprises comptant 11 salariés et plus, et ceux liés à des employeurs embauchant au plus 10 salariés,
  • et prévoit, pour chaque année d’ancienneté, à titre d’indemnisation du licenciement considéré comme abusif ou dépourvu de cause réelle et sérieuse :
    – un nombre minimal de mois de salaire (le plus faible : 0 mois de salaire pour un salarié comptant moins d’un an d’ancienneté ; le plus élevé : 3 mois de salaire),
    – et un nombre maximal de mois de salaire (le plus faible : 1 mois de salaire si le salarié compte moins d’un an d’ancienneté ; le plus élevé : 20 mois de salaire si le salarié compte 29 ans et plus d’ancienneté).

On peut déplorer que l’ordonnance ne précise pas la base de calcul de l’indemnité, exprimée en nombre de mois de salaire. S’agit-il de la moyenne d’un nombre de mois déterminé ? S’agit-il du dernier mois de salaire avant la rupture du contrat de travail ?

Ceci étant dit, le barème devrait conduire à observer, en toute logique, une uniformisation de l’indemnisation allouée aux salariés réussissant à faire trancher par le juge que leur licenciement n’est pas légitime, quel que soit le conseil de prud’hommes saisi, et quelle que soit la section compétente, amenée à connaître de la contestation portant sur ledit licenciement.

Le salarié n’aura donc plus guère d’intérêt, comme on le voyait parfois, à saisir le conseil de prud’hommes qui, jusqu’alors, pouvait être réputé plus favorable à ses intérêts qu’un autre, tout aussi géographiquement compétent.

Les créateurs et fournisseurs de logiciels évoluant dans le monde de la « justice prédictive » vont quant à eux nécessairement, en bien ou en mal, être impactés par cette nouvelle donne judiciaire.

2. Le barème est obligatoire et s’impose au juge prud’homal

Avant l’ordonnance du 22 septembre 2017 :

  • le salarié qui justifiait d’au minimum deux ans d’ancienneté et travaillait dans une entreprise comptant au moins 11 salariés, avait l’assurance, dans l’hypothèse où son licenciement était considéré par le conseil de prud’hommes comme dépourvu de cause réelle et sérieuse, de percevoir une indemnité de ce chef d’un montant équivalent à 6 mois de salaire. Aucun plafond ne lui étant imposé, il était susceptible de percevoir une indemnité nettement plus conséquente, au regard de son âge, de sa forte ancienneté, d’une situation personnelle difficile, d’une période de chômage allongée… pour peu, bien entendu, que ce salarié soit en mesure de démontrer concrètement, via des pièces probantes, l’étendue de son (ses) préjudice (s),
  • le salarié qui ne remplissait pas l’une ou l’autre de ces deux conditions cumulatives, était indemnisé par le conseil de prud’hommes à due proportion du préjudice réellement subi et effectivement démontré par l’intéressé, sans minimum ni maximum.

Ces méthodes d’indemnisation sont à présent révolues. Il appartiendra dorénavant aux conseils de prud’hommes, chargés d’apprécier la légitimité des licenciements – pour motif personnel ou d’ordre économique – prononcés postérieurement au 24 septembre 2017, d’appliquer le barème qui s’impose dorénavant à eux et de fixer le juste quantum de l’indemnité qu’ils envisagent d’allouer aux salariés, en tenant compte bien entendu des limites minimales et maximales mentionnées dans le barème.

3. Le montant octroyé aux salariés par le conseil de prud’hommes peut être au final inférieur à celui que ces derniers pouvaient légitimement escompter en saisissant le conseil de prud’hommes

L’une des spécificités nouvellement offertes au juge prud’homal tient au fait que celui-ci, sous réserve de respecter le minimum et le maximum qui s’imposent à lui, aura à présent la possibilité (il s’agit cette fois d’une disposition facultative et non obligatoire), pour fixer le quantum de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de tenir compte du montant de l’indemnité de licenciement allouée par l’employeur au moment de la rupture du contrat de travail, ou de celle qu’il est susceptible d’allouer audit salarié (par exemple en cas de requalification d’un licenciement pour faute grave en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de requalification d’une prise d’acte ou d’une démission en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur, etc.).

Concrètement, un salarié comptant une forte ancienneté et se voyant de ce fait octroyer une indemnité de licenciement d’un montant conséquent, pour ne pas dire dans certains cas très élevé, pourra bénéficier d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le quantum se situera plus près du minimum que du maximum.

A l’inverse, le conseil de prud’hommes aura la possibilité, face à un salarié ayant perçu une faible indemnité de licenciement, d’octroyer à celui-ci une indemnité pour licenciement abusif ou dépourvu de cause réelle et sérieuse se situant à proximité de la limite maximale.

L’ordonnance du 22 septembre 2017 prévoit également que les indemnités réparant certaines irrégularités observées en matière de licenciement économique (telles que le non-respect par l’employeur des procédures de consultation des représentants du personnel ou d’information de l’autorité administrative, du non-respect de la priorité de réembauchage, de l’engagement d’une procédure de licenciement pour motif économique dans une entreprise ou le comité d’entreprise ou les délégués du personnel, et demain le comité social et économique, n’ont pas été mis en place alors que l’entreprise est assujettie à cette obligation et qu’aucun procès-verbal de carence n’a été établi) peuvent se cumuler avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais seulement dans la limite des montants maximaux prévus par le barème.

Voilà encore une source possible d’indemnisation qui s’amenuise pour le salarié.

4. L’augmentation à prévoir des contentieux portant sur la nullité des licenciements, ainsi que des saisines prud’homales pour de tout autres raisons que la rupture du contrat de travail

Le barème d’indemnisation prévu en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché de l’une des nullités suivantes (cf. article L 1235-3-1 du Code du travail) : violation d’une liberté fondamentale, harcèlement moral ou sexuel, licenciement discriminatoire, licenciement consécutif à une action en justice justifiée par une discrimination ou en matière d’égalité professionnelle entre hommes et femmes ou encore en matière de dénonciation de crimes et délits, licenciement lié à l’exercice d’un mandat par un salarié protégé, non-respect des protections spécifiques attachées à la grossesse, la maternité, la paternité, l’adoption et l’éducation des enfants, comme des protections dont bénéficient les personnes victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

En pareil cas, si le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail, ou si sa réintégration est impossible, il a droit à une indemnité au moins égale aux salaires des 6 derniers mois. Aucun plafond n’est fixé dans cette hypothèse.

Etant précisé qu’une telle indemnisation est due sans préjudice du paiement du salaire qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité lorsqu’elle est liée au non-respect des protections afférentes à la maternité ou la paternité ou du statut protecteur, ainsi que le cas échéant de l’indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.

Il ne fait guère de doute que les salariés et leurs conseils, privés du niveau d’indemnisation escompté sous le régime antérieur à l’ordonnance du 22 septembre 2017, vont être davantage tentés que précédemment d’aller sur le terrain de la nullité du licenciement pour ne pas se sentir liés par le barème.

Il est tout aussi prévisible que ces mêmes salariés et leurs conseils, à l’occasion des saisines à venir, vont davantage que précédemment rechercher minutieusement les manquements de leurs employeurs à leurs obligations légales, contractuelles ou conventionnelles aux fins de présenter des demandes concernant par exemple les éléments de salaire qui pourraient leur être dus, la durée du travail et son lot de remise en cause des forfaits jours ou du statut de cadre dirigeant, l’égalité de traitement, la discrimination, le harcèlement, etc.

Il est donc probable que les dossiers contentieux à venir, s’ils seront certainement moins importants en nombre, seront vraisemblablement plus conséquents en termes d’enjeux financiers, de volume de pièces et de technicité.

Ce qui pourrait conduire à une augmentation du taux de départage et parallèlement à un allongement des délais judiciaires… dans un contexte où ces affaires seront tranchées, dès le début de l’année 2018, par de nouveaux conseillers prud’homaux dont certains manqueront à l’évidence d’expérience judiciaire.

Ce n’était bien sûr pas l’effet recherché par les auteurs des ordonnances.

Mais de leur côté, les praticiens, au premier rang desquels les avocats et les organisations syndicales, ont déjà réfléchi à la riposte judiciaire qui leur permettra de minimiser l’impact pour les salariés -en particulier ceux qui sont âgés et/ou présentent une forte ancienneté- du barème obligatoire.

 

Auteur

Rodolphe Olivier, avocat associé en droit social

 

Le barème des indemnités prud’homales : une fausse bonne idée ? – Article paru dans Les Echos Exécutives le 27 octobre 2017