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Très petites entreprises (TPE) : un accès étendu et facilité à la négociation collective

Très petites entreprises (TPE) : un accès étendu et facilité à la négociation collective

L’ordonnance n°2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective a profondément remanié les modalités de négociation dans les entreprises en fonction de leur effectif et a ouvert de nouvelles perspectives aux entreprises en matière de négociation collective, en particulier pour les petites et très petites entreprises pour lesquelles les modalités de conclusion d’un accord collectif sont étendues et simplifiées.


Le présent article propose un focus sur les nouvelles règles de négociation dans les entreprises de moins de 11 salariés. Il sera suivi, dans les prochaines semaines, par d’autres études consacrées à la négociation dans les entreprises de 11 à moins de 50 salariés puis à la négociation dans les entreprises d’au moins 50 salariés.

Jusqu’à l’entrée en vigueur des dispositions issues de l’ordonnance relative au renforcement de la négociation collective, soit jusqu’à la publication du décret du 28 décembre 2017 (n°2017-1767), les entreprises dépourvues d’élus du personnel et donc de délégués syndicaux – ce qui est le cas des entreprises de moins de 11 salariés qui ne sont pas tenues d’organiser de telles élections – ne pouvaient négocier et conclure un accord collectif qu’avec un ou plusieurs salariés mandatés par une organisation syndicale représentative dans la branche ou, à défaut, au niveau national interprofessionnel.

La négociation, et par la même la signature d’un accord collectif, n’était donc possible que si un salarié acceptait de solliciter un tel mandatement auprès de ces organisations syndicales. Une fois ce mandatement réalisé, il était loisible aux parties de négocier sur l’ensemble des thèmes couverts par le Code du travail.

L’exigence d’un tel mandatement par des organisations syndicales professionnelles ou interprofessionnelles -dont les entreprises de moins de 11 salariés sont souvent très éloignées en pratique- rendait quasiment inexistante la négociation collective dans ces entreprises.

Une négociation facilitée sur un champ étendu

L’ordonnance du 22 septembre 2017 prévoit désormais que, dans les entreprises dépourvues de délégué syndical dont l’effectif est inférieur à 11 salariés, l’employeur peut proposer directement aux salariés un projet d’accord portant sur l’ensemble des thèmes ouverts à la négociation collective.

Ainsi, ces entreprises pourront plus facilement négocier des accords collectifs portant notamment sur la durée du travail (réduction du temps de travail sur l’année, forfait annuel en heures ou en jours, etc.) alors que, jusqu’à présent, la plupart d’entre elles n’avaient, faute de mandatement syndical, d’autres possibilités que d’appliquer les dispositions de la convention collective de branche, lorsqu’elles existaient, pour bénéficier de ces dispositifs.

Désormais, les petites entreprises vont pouvoir mettre en place des dispositifs qui n‘étaient pas prévus par la branche en signant des accords collectifs à leur niveau. Elles pourront même, puisque dorénavant la loi fait primer l’accord d’entreprise sur l’accord de branche (sauf dans les domaines et dans les conditions limitativement énumérés par les articles L.2253-1 et L.2253-2 du Code du travail) déroger, par leur accord collectif, aux dispositions des conventions et accords de branche.

Une validité subordonnée à une consultation du personnel.

Toutefois, pour être valable et produire ses effets, l’accord devra être approuvé à la « majorité des deux tiers du personnel ». La question se pose ici de savoir si « le personne » dont il s’agit s’entend de celui qui est physiquement à l’effectif au moment de la consultation, de l’effectif calculé en équivalent temps plein, dans les conditions visées à l’article L.1111-2 du Code du travail, ou enfin de celui qui a effectivement voté. En l’absence de toute précision dans les textes sur ce point, il semble qu’il y ait lieu de considérer que celui-ci est constitué de toutes les personnes liées à l’entreprise par un contrat de travail à la date du déroulement de la consultation. Cette solution n’est pas dépourvue de logique s’agissant de l’approbation d’un accord collectif qui a vocation à s’appliquer, en principe, aux seuls salariés de l’entreprise.

Cette consultation du personnel, qui ne peut avoir lieu qu’à l’issue d’un délai de 15 jours courant à compter de la communication à chaque salarié du projet d’accord, doit être organisée pendant le temps de travail, en l’absence de l’employeur, et dans des conditions garantissant le caractère personnel ainsi que le secret de la consultation.

Cette précaution vise naturellement à permettre aux salariés de se prononcer librement et à éviter qu’ils puissent faire l’objet de pressions de la part de leur employeur.

Il en résulte que l’employeur devra organiser un véritable vote, ce qui suppose que la question posée aux salariés soit clairement énoncée (« approuvez-vous l’accord relatif à [ …] instituant […]? »), que des bulletins (oui/non) et des enveloppes soient mis à leur disposition, et qu’une urne et un isoloir soient installés dans l’entreprise.

Il ne saurait donc être question de valider l’accord en faisant signer aux salariés une liste d’émargement.

Ainsi, contrairement aux autres accords collectifs qui sont signés par l’employeur et des représentants des salariés identifiés (délégués syndicaux ou, en leur absence, élus du personnel), l’accord collectif conclu dans une entreprise de moins de 11 salariés suppose, d’une part, sa signature par l’employeur et, d’autre part, annexé à l’accord, un procès-verbal matérialisant la consultation des salariés, et attestant que celui-ci a bien été approuvé par les deux tiers de ces derniers.

L’accord ainsi conclu devra en revanche, comme tous les autres accords collectifs, faire l’objet d’un dépôt auprès de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, (DIRECCTE) du lieu de sa conclusion.

L’apport de ces nouvelles modalités de négociation doit cependant être relativisé. En effet, s’il ne fait aucun doute que l’ordonnance du 22 septembre 2017 a largement étendu le champ des possibles en matière de négociation collective dans les très petites entreprises, les dispositifs susceptibles d’être négociés sont parfois d’une grande complexité technique et juridique et nécessitent que ces entreprises, souvent dépourvues de moyens en interne, puissent bénéficier d’un accompagnement pour l’élaboration de leur projet.

Signalons enfin que la loi portant ratification des ordonnances, définitivement adoptée le 14 février dernier, a fait l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel le 21 février.

S’agissant des nouvelles modalités de négociation dans les entreprises de moins de 11 salariés, le Conseil constitutionnel devra se prononcer dans le délai d’un mois sur la question de savoir si celles-ci portent atteinte au principe de participation et de liberté syndicale garanti par l’alinéa 8 du préambule de la constitution de 1946. Ce n’est qu’à compter de la décision du Conseil que seront définitivement connues les nouvelles modalités de négociation dans les très petites entreprises.

 

Auteurs

Béatrice Taillardat Pietri, adjoint du responsable de la doctrine sociale

Rodolphe Olivier, avocat associé, droit social

 

Très petites entreprises (TPE) : un accès étendu et facilité à la négociation collective – Article paru dans Les Echos Exécutives le 12 mars 2018
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