Dans quel cadre désigner un délégué syndical ?

30 juin 2016
Dans plusieurs arrêts récents, la Cour de cassation vient préciser le régime applicable au périmètre de désignation des délégués syndicaux (DS). Celui-ci a en effet été modifié, sans trop de publicité, par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, alors même que les conséquences ne sont pas négligeables.
Dissociation des périmètres du Comité et des DS
Depuis la loi du 20 août 2008 relative notamment à la représentativité syndicale, la Cour de cassation1 considérait que, sauf accord collectif prévoyant un périmètre plus restreint, le périmètre de désignation des DS était identique à celui du comité d’entreprise ou d’établissement. Cela se justifiait par le fait que la représentativité se mesure en application de cette loi au regard des résultats des élections du comité.
En réponse aux critiques, notamment des organisations syndicales qui réclamaient la faculté de désigner un DS au plus près des salariés, la loi du 5 mars 2014 a modifié l’article L. 2143-3 alinéa 4 du Code du travail et prévoit désormais, conformément d’ailleurs à sa jurisprudence initiale2, que la désignation d’un DS «peut intervenir au sein de l’établissement regroupant des salariés placés sous la direction d’un représentant de l’employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques». La Cour de cassation3 a précisé qu’aucun accord collectif n’était nécessaire pour désigner un DS dans ce périmètre dès lors que les conditions susvisées étaient remplies.
En cas de contestation d’une désignation effectuée dans ce cadre, le Tribunal d’Instance doit nécessairement vérifier si les critères de l’établissement sont réunis et ce, même si ce périmètre a déjà servi à la mise en place des délégués du personnel4. C’est alors au syndicat concerné de démontrer que les critères légaux sont effectivement remplis au niveau retenu. Cette situation suscite cependant une interrogation : comment faut-il apprécier la représentativité de l’organisation syndicale qui désignera un DS dans un périmètre plus restreint que celui du comité qui s’avère être le niveau de mesure de sa représentativité ? La Haute juridiction ne s’est pas encore prononcée sur ce point.
Un même périmètre pour tous les syndicats d’une même entreprise ?
La rédaction du texte conduit par ailleurs à se demander si un syndicat peut désormais, de manière unilatérale, décider de désigner un DS soit, sur le périmètre du comité d’entreprise ou d’établissement, soit à un niveau moindre5.
En effet, l’article L. 2143-3 alinéa 4 du Code du travail précise que la désignation peut intervenir dans un cadre plus restreint : il pourrait donc s’agir d’une simple faculté pour le syndicat.
Mais à l’encontre de cette analyse, on peut notamment invoquer une difficulté pratique : dans quel cadre et avec quelles parties devront se dérouler les négociations collectives si un syndicat décide de désigner un DS au même niveau que le comité alors qu’un autre syndicat le ferait au sein d’un établissement distinct plus petit ? Un débat que devra trancher la Cour de cassation.
En tout état de cause, à supposer qu’un syndicat ait le choix quant au périmètre de désignation, il ne peut pas désigner un DS à deux niveaux différents.
La condition d’effectif applicable à la désignation d’un DS
En principe, une telle désignation s’effectue dans les entreprises ou établissements d’au moins 50 salariés. Toutefois l’application du dernier alinéa de l’article L. 2143-3 du Code du travail, conduit certains auteurs à s’interroger sur son articulation avec son premier alinéa qui lui seul prévoit expressément cette condition d’effectif minimum. Il semble notamment au regard des articles R. 2143-2 et 3 du Code du travail que l’effectif minimal de 50 salariés soit toujours requis. Cette position mériterait d’être confirmée, étant précisé que le découpage en établissements distincts de niveaux inférieurs à celui retenu pour le comité ne devrait pas avoir pour effet de priver des établissements de moins de 50 salariés de représentation syndicale s’ils sont inclus dans le périmètre d’un établissement au sens du comité d’au moins 50 salariés disposant d’organisation syndicale représentative6.
Certes à deux reprises7, la Cour de cassation, faisant expressément application de la loi du 5 mars 2014, a reconnu à un syndicat la possibilité de désigner un DS au sein d’un établissement inférieur à 50 salariés. Il sera cependant relevé à cet égard, et ce point est essentiel, que dans ces deux affaires, des accords d’établissements permettaient la constitution de comités d’établissement en deçà de 50 salariés. Les DS avaient précisément été désignés au sein du même périmètre que ces comités d’établissement conventionnels. Il est donc prématuré d’étendre cette jurisprudence à toute désignation de DS, même en l’absence d’accord collectif.
Le caractère d’ordre public des dispositions relatives au périmètre de désignation des DS
La Cour de cassation a précisé que les dispositions de désignation des DS étaient d’ordre public et a, de ce fait, très récemment8 invalidé les dispositions d’un accord collectif antérieur à la loi du 5 mars 2014 retenant un cadre de désignation identique à celui du Comité d’entreprise.
A la lecture de cet arrêt, il apparait donc qu’un accord collectif ne puisse plus prévoir un périmètre de désignation de DS restreint au comité d’entreprise car cela serait moins favorable que la loi.
Mais un accord collectif pourrait sans doute permettre de résoudre une partie des difficultés pratiques susvisées car la sécurité juridique ne semble pas encore au rendez-vous.
Notes
1 Cass. Soc. 18 mai 2011, n°80-60.383
2 Cass. Soc. 24 avril 2003, n°01-60.876
3 Cass. Soc. 12 avril 2016, n°15-60.200
4 Cass. Soc. 24 mai 2016, n°15-20.168
5 Cass. Soc. 6 janvier 2016, n°15-12.967. Ce périmètre ne peut qu’être un périmètre plus restreint que le Comité d’entreprise ou d’établissement selon le cas.
6 Cass. Soc. 30 mai 2001, n°00-60.006
7 Cass. Soc. 18 mars 2015, n°14-16.596 ; Cass. Soc. 12 avril 2016, n°15-21.233
8 Cass. Soc. 31 mai 2016, n°15-21.175
Auteurs
Marie-Pierrre Schramm, avocat associée, spécialisée en conseil et en contentieux dans le domaine du droit social
Justine Vasse, avocat en droit social
Dans quel cadre désigner un délégué syndical ? – Article paru dans Les Echos Business le 29 juin 2016Related Posts
Ordonnance relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économiqu... 27 septembre 2017 | CMS FL

Mise en place du CSE : le sort des mandats 2019... 2 janvier 2019 | CMS FL

Fermeture de site : la recherche d’un repreneur est obligatoire... 23 septembre 2013 | CMS FL
Temps partiel : analyse critique des errements législatifs... 11 février 2014 | CMS FL
Nouvelle convention d’assurance chômage : quels enjeux pour les entrepris... 7 avril 2014 | CMS FL
Les heures supplémentaires exonérées et défiscalisées : comment ça marche ... 12 mars 2019 | CMS FL

Grossesse et licenciement : pas de protection «absolue» en cas d’arrêt de t... 10 novembre 2022 | Pascaline Neymond

Co-emploi : la société mère peut superviser ses filiales... 17 juillet 2014 | CMS FL
Articles récents
- Maladie et congés payés : nouvelles perspectives
- Les personnes engagées dans un projet parental sont protégées des discriminations au travail
- Le licenciement d’un salarié victime de harcèlement est-il toujours nul ?
- Entretien préalable : faut-il informer le salarié de son droit de se taire ?
- Courriels professionnels : un droit d’accès extralarge
- La loi élargit l’action de groupe à tous les domaines en droit du travail
- Exploitation du fichier de journalisation informatique à des fins probatoires : les conditions posées par le juge
- Enquêtes de mesure de la diversité au travail : les recommandations de la CNIL
- Violation de la clause de non-concurrence et remboursement de la contrepartie financière : une règle qui s’applique si la clause n’est pas valable
- Transposition de la directive : la transparence des rémunérations dès l’embauche