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Temps partiel : analyse critique des errements législatifs

A peine 3 semaines après être entrée en vigueur, la nouvelle durée hebdomadaire minimale de 24 heures du travail à temps partiel vient d’être déclarée suspendue à compter du 22 janvier 2014 et jusqu’au 30 juin 2014.

Sur le fond, la mesure est sage compte-tenu des difficultés de mise en Å“uvre de ce nouveau dispositif (I). Mais on ne peut que regretter le flou qui préside à sa mise en Å“uvre (II). Pour le long terme ce sujet appelle d’autres solutions (III).

I. Les 24 Heures minimum : des difficultés mal anticipées

Rendons à César ce qui est à César. La responsabilité de l’introduction de ce minimum de 24 heures ne revient pas au Gouvernement, mais aux partenaires sociaux, signataires de l’ANI du 11 janvier 2013. La négociation donnant-donnant marque ici ses contraintes.

Or, les difficultés concrètes avaient manifestement été sous-estimées en plaçant la barre trop haut puisque ces 24 heures sont bien au-delà du classique mi-temps et ignorent la diversité des situations que l’on peut rencontrer en pratique.

Qui plus est, prisonnier du respect de l’accord, le législateur n’a pas entrepris le travail qui aurait été nécessaire pour résoudre les principales difficultés techniques qui pouvaient être anticipées. Tout problème devait ainsi trouver sa solution dans le renvoi aux accords de branche étendus censés permettre d’organiser les aménagements nécessaires. Or, un an après l’ANI et 6 mois après la loi, le bilan était clair : seules 4 branches étaient parvenues à un tel accord.

II. Une suspension précipitée

Dès lors, l’ensemble des entreprises se trouvaient au 1er janvier, date d’entrée en vigueur de la loi, devant de nombreuses interrogations. Les nouveaux embauchés avaient droit aux 24 heures (sauf à demander expressément à y déroger) et les salariés déjà à temps partiel pouvaient demander l’allongement à due concurrence de leur temps de travail, l’employeur ne pouvant refuser, à défaut d’accord de branche étendu qu’en raison d’une « impossibilité d’y faire droit compte-tenu de l’activité économique de l’entreprise » (avec toutes les difficultés que peut générer l’interprétation de cette notion).

Cette date du 1er janvier étant gravée dans le marbre de la loi, ni le Ministère ni les partenaires sociaux n’y pouvaient plus rien. Le règlement de la difficulté a donc demandé une certaine créativité … C’est en conséquence par un simple Communiqué que le Ministère a annoncé le 10 janvier la suspension du dispositif par une future disposition législative intégrée au projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale présenté le 22 janvier au Conseil des Ministres. Légitimement, la rumeur s’est répandue d’une non-entrée en vigueur du dispositif. Or le projet de loi énonce que : « Pour permettre la négociation prévue à l’article L. 3123-14-3 du code du travail, l’application des dispositions de l’article L. 3123-14-1 du même code et du VIII de l’article 12 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi est suspendue jusqu’au 30 juin 2014. Cette suspension prend effet à compter du 22 janvier 2014 ».

Notons sur le plan juridique la bizarrerie de cette marche arrière qui intervient à la fois trop tard et trop tôt :

  • En tout état de cause, la loi est entrée en vigueur et ne sera suspendue, non pas dès le 1er janvier, comme espéré par certains, mais à compter du 22 janvier. Pendant toute cette première période, les entreprises étaient donc tenues d’avoir respecté la loi. Notons que le non-respect de la durée minimale de 24 heures, pour des contrats conclus pendant cette période, pourrait conduire les salariés concernés à demander l’application de la loi ainsi que des dommages et intérêts. Mais cette infraction n’est pas pénalement sanctionnée.
  • Cette suspension à compter du 22 janvier demandera une disposition rétroactive puisque la nouvelle loi ne sera pas promulguée, si elle est votée, avant fin février au plus tôt ; mais il est sérieusement permis de s’interroger sur l’opposabilité rétroactive de cette mesure à des salariés ayant été embauchés ou ayant formulé leur demande de passage à 24 heures dans l’intervalle, courant du 22 janvier à mi-février.

Ajoutons, une difficulté rédactionnelle qui illustre la complexité de l’exercice. Les renvois précités dans le projet de loi aboutissaient à suspendre aussi la nouvelle majoration de 10% des heures complémentaires accomplies en-deçà du dixième de la durée contractuelle de travail. Le Ministère a précisé qu’il s’agissait d‘une erreur rapidement purgée par un amendement en commission. La majoration de 10% n’est donc pas suspendue et reste bien applicable.

III. Quelle solution pour l’avenir ?

Le report au 30 juin 2014 de la date d’entrée en vigueur de la durée minimale de 24 heures par semaine devrait sans doute permettre à certaines des branches professionnelles les plus affectées de trouver des accords.

Cela ne suffira pas, cependant, à régler le problème. Les difficultés rencontrées dans les négociations conduiront parfois à une impasse. Par ailleurs, certaines entreprises connaissent des problématiques spécifiques au sein de leur branche … ou ne sont pas soumises à un accord de branche. Est-il enfin souhaitable que la même question connaisse des solutions différentes d’une branche à l’autre ?

On doit donc constater que le renvoi exclusif à l’accord de branche étendu a fait la preuve de ses limites pour l’élaboration d’une règle de droit simple et opérationnelle.

Le praticien en tirera deux souhaits en forme de recommandation pour les autorités publiques pour remédier aux lacunes de la négociation de branche.

Sur certains points qui intéressent l’ensemble des branches et des entreprises (mi-temps thérapeutique inférieur à 24h – est-ce une contrainte personnelle ? -, contrats de remplacement – qui peuvent, au regard des dispositions sur le CDD, imposer un contrat de moins de 24h -, caractère temporaire ou pérenne des contraintes personnelles…), c’est au législateur qu’il appartient d’apporter les compléments nécessaires aux insuffisances de la loi du 14 juin 2013.

Et pour ce qui est par exemple des aménagements pratiques de l’organisation du travail impliquant dérogation au minimum de 24 heures, il serait judicieux, sans remettre en cause l’autorité d’un éventuel accord de branche, de laisser toute sa place à la négociation d’entreprise.

 

A propos de l’auteur

Marie-Pierrre Schramm, avocat associée, spécialisée en conseil et en contentieux dans le domaine du droit social

 

Article paru dans Les Echos Business du 10 février 2014

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