Le motif de licenciement des « précisions » attendues mais incomplètes
1 octobre 2020
Le ministère du Travail a publié le 15 juillet 2020 un questions-réponses explicitant les dispositions de la procédure de précision du motif de licenciement issue des ordonnances Macron du 22 septembre 2017.
Les incertitudes de la procédure
L’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, souhaitant sécuriser les relations de travail, a créé, la possibilité pour l’employeur de préciser, après la notification du licenciement, les motifs de celui-ci, soit à la demande du salarié, soit de sa propre initiative[1].
Ainsi, dans les 15 jours suivant la notification du licenciement, le salarié peut demander à l’employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé, des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement. L’employeur dispose alors d’un délai de 15 jours après la réception de la demande du salarié pour en apporter, s’il le souhaite, confirme le ministère du Travail[2].
Si le salarié ne formule pas une telle demande, l’irrégularité que constitue une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne prive pas, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse et ouvre droit à une indemnité ne pouvant excéder un mois de salaire[3].
En outre, dans le délai de 15 jours suivant la notification du licenciement, l’employeur peut également, dans les mêmes formes, de sa propre initiative, préciser les motifs du licenciement. La lettre de licenciement « complétée » fixe alors les limites du litige[4].
L’application de ces nouvelles dispositions a suscité plusieurs interrogations pratiques sur lesquelles le ministère du Travail tente aujourd’hui d’apporter des réponses.
Simples « précisions » des motifs…
Il semblait déjà résulter de l’utilisation du verbe « préciser » que cette possibilité était limitée à l’explication et la clarification d’un motif préexistant dans la lettre de licenciement.
Le ministère confirme aujourd’hui cette position en énonçant « qu’il s’agit d’apporter d’éventuelles précisions sur les circonstances, les dates, les lieux ou des compléments se rapportant aux motifs invoqués dans la lettre initiale ».
Cette faculté « ne permet pas d’insérer un nouveau motif ou de motiver après coup un licenciement qui ne l’était pas initialement » alerte également le questions-réponses[5].
Le ministère illustre par ailleurs son propos en donnant comme exemple le cas du licenciement pour inaptitude dans l’hypothèse où la lettre de licenciement a omis de mentionner que le reclassement était impossible.
Cette position de l’administration parait conforme à la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation qui considère, de manière constante, que ne constitue pas l’énoncé « d’un motif précis de licenciement », l’inaptitude physique d’un salarié, sans mention de l’impossibilité de reclassement[6].
Néanmoins, la frontière entre la simple précision et le complément n’est pas aisée et donnera lieu, certainement, à des contentieux, qui permettront sans doute d’apprécier les conséquences concrètes de cette nouvelle mesure.
… qui peuvent être apportées ou sollicitées dans un délai de 15 jours à compter de la réception de la lettre de licenciement
Les précisions peuvent être demandées par le salarié ou apportées par l’employeur « dans un délai de 15 jours suivant la notification du licenciement »[7].
Le questions-réponses indique que ce délai court à compter de la date de réception de la lettre de licenciement par le salarié quelle que soit la partie prenant l’initiative d’adresser un second courrier[8].
Il est toutefois dommage que le ministère n’ait pas également indiqué expressément qu’en l’absence de dispositions dans le texte, le décompte devrait se faire en jours calendaires (et non en jours ouvrés ou ouvrables).
La mention dans la lettre de licenciement de la faculté pour le salarié de demander des précisions n’est pas obligatoire, mentionne, en outre, le ministère alors même que celle-ci figure pourtant dans les modèles de lettre de licenciement issus du décret n°2017-1820 du 29 décembre 2017[9].
Cette procédure de précision modifierait le point de départ du délai de prescription mais pas celui du préavis
Alors que l’article L.1471-1 alinéa 2 dispose que l’action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par 12 mois « à compter de la notification de la rupture », l’administration considère qu’en cas de précision des motifs « c’est la lettre de licenciement précisée qui fixe les limites du litige » et que « le délai de prescription court donc à partir de cette seconde lettre ».
C’est, en conséquence, à compter du jour où le salarié a une connaissance complète du motif de son licenciement que la prescription commencerait à courir, l’Administration empruntant vraisemblablement ici les règles de base de droit civil[10].
Si l’on suit cette logique, le délai de prescription qui aurait, nous semble-t-il commencé à courir à compter de la notification de la rupture serait alors interrompu et non suspendu.
En revanche, le début du préavis se situe bien à la présentation de la lettre recommandée initiale notifiant le licenciement[11]. La procédure de précision n’a ainsi aucune conséquence sur le point de départ dudit préavis, ce qui semble juridiquement fondé.
A une époque où les notifications publiées par le ministère se multiplient et où la question de la portée et de leur valeur juridique ne cesse de faire débat, les premières décisions de la chambre sociale de la Cour de cassation sur ces différents points seront les bienvenues.
(1) Articles L.1235-2 et R.1232-13 du Code du travail
(2) Question n°6
(3) Article L.1235-2 alinéa 3 du Code du travail
(4) Article L.1235-2 alinéa 2 du Code du travail
(5) Question n°5
(6) Voir notamment : Cass. soc., 21 mars 2018, n°16-29.073 ; Cass. soc., 3 juin 2020, n°18-25.757
(7) Article R.1232-13 du Code du travail
(8) Questions n°7 et 8
(9) Question n°3
(10) Article 2224 du Code civil
(11) Question n°11
Article paru dans Les Echos Executives le 01/10/2020
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