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La Cour de cassation tranche en faveur de la divisibilité du contrat de travail en cas de cession partielle d’activité

La Cour de cassation tranche en faveur de la divisibilité du contrat de travail en cas de cession partielle d’activité

Par un arrêt du 30 septembre 2020 estampillé P.B.R.I. et ainsi promis à une large diffusion, la Cour de cassation a jugé qu’en cas de cession partielle d’activité, lorsque le salarié est affecté tant dans le secteur repris, que dans le secteur d’activité cédé, le contrat de travail de ce salarié doit être transféré pour la partie de l’activité qu’il consacre au secteur cédé. La Haute juridiction précise que trois exceptions font obstacle à une telle scission du contrat de travail : lorsque cette scission est (i) impossible, (ii) entraîne une détérioration des conditions de travail de ce dernier, ou (iii) porte atteinte au maintien de ses droits garantis par la directive 2001/23/CE du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements.

Au cas particulier, une salariée qui exerçait les fonctions de secrétaire travaillait au sein d’un cabinet d’avocats interbarreaux, à la fois pour le bureau principal du cabinet situé à Nice et pour l’un de ses cabinets secondaires situé à Menton. Le cabinet, ayant décidé de céder le cabinet secondaire de Menton, a alors notifié à la salariée le transfert de son contrat de travail auprès du cessionnaire à hauteur de 50 % de son temps de travail.

La salariée, non satisfaite de voir ainsi son contrat de travail à temps complet désormais scindé en deux contrats de travail à temps partiel auprès de deux employeurs différents, a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Tout d’abord, le Conseil de prud’hommes juge la prise d’acte justifiée. Puis la Cour d’appel, après avoir constaté que la salariée consacrait 50 % de ses fonctions à l’activité reprise par le cessionnaire en termes de charge de travail, retient qu’elle n’exerçait donc pas l’essentiel de ses fonctions à ce titre et que, par conséquent, son contrat de travail ne devait pas faire l’objet d’un transfert partiel auprès du repreneur. Elle juge ainsi la prise d’acte justifiée, produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La Cour d’appel a ainsi statué conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation en son dernier état en la matière.

Saisie d’un pourvoi en cassation, la Haute juridiction avait à trancher la question épineuse de l’articulation de la jurisprudence retenant le critère de l’essentiel des fonctions avec la jurisprudence admettant la divisibilité du contrat de travail entre le cédant et le(s) cessionnaire(s).

Pour trancher cette difficulté, la Cour commence par procéder à un rappel de l’évolution de sa jurisprudence.

En premier lieu, la Cour jugeait qu’en cas de cession partielle d’activité, le contrat de travail du salarié devait être transféré au cessionnaire pour la partie de l’activité qu’il y consacrait1.

Une telle division du contrat de travail se révélait assez impraticable aussi bien sur le plan juridique que matériel. Pour le salarié concerné, elle entraînait une fragmentation de ses fonctions auprès de deux employeurs, potentiellement néfaste pour son évolution de carrière, en plus de générer une éventuelle dégradation de ses conditions de travail. Cet éclatement du contrat pouvait également être préjudiciable au cédant et au cessionnaire, ainsi privés d’un salarié affecté à temps plein efficacement à leur service.

La Cour est en deuxième lieu revenue sur sa jurisprudence, en jugeant que si le salarié exerçait l’essentiel de ses fonctions dans le secteur d’activité repris par le cessionnaire, son contrat de travail devait alors être transféré en totalité au cessionnaire2. Ainsi, il semblait que le contrat de travail devait être soit transféré en totalité au cessionnaire, soit demeurer en totalité auprès du cédant.

Coup de théâtre, cette solution du « tout ou rien » qui semblait plus pragmatique et plus respectueuse des intérêts des parties est désormais abandonnée par la Cour de cassation, qui casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel et semble ainsi renoué avec sa position jurisprudentielle initiale.

Reprenant à son compte la jurisprudence récente de la Cour de Justice de l’Union européenne3, la Cour de cassation érige ainsi en principe la divisibilité du contrat de travail au prorata de l’exercice des fonctions (ce qui peut d’ailleurs poser en pratique un problème d’appréciation), sous couvert de trois exceptions aux contours hélas encore très flous.

Il reviendra donc aux employeurs de vérifier a priori, non sans difficulté, si les conséquences de la cession sur le contrat de travail du salarié font obstacle à l’application de la règle d’ordre public du transfert automatique du contrat de travail fixée à l’article L.1224-1 du Code du travail, en raison :

    • d’une impossibilité ;
    • d’une détérioration des conditions de travail ;
    • d’une atteinte au maintien des droits des travailleurs garantis par la directive susvisée.

Force est de constater que tant le principe posé que ses exceptions risquent d’engendrer des difficultés pratiques d’appréciation pour les employeurs et les salariés.

A titre d’illustration, si le salarié consacrait 90 % de ses fonctions à l’activité du cédant et 10 % seulement à l’activité du cessionnaire, ce dernier se retrouverait dans l’obligation de fournir du travail pour occuper ce salarié avec une durée de travail très réduite.

En outre, pour certains collaborateurs polyvalents, le taux respectif de chacune des activités peut fluctuer dans le temps, ce qui peut rendre particulièrement délicat de fixer, à un instant T, un pourcentage (moyen ?) de répartition.

Concernant par ailleurs les trois exceptions, elles peuvent donner lieu à des interprétations très factuelles, ce qui est susceptible d’être source de litiges.

Ainsi, le critère tenant à l’impossibilité pourrait se rencontrer en pratique par exemple si le salarié est tenu au respect d’une clause d’exclusivité et/ou de non-concurrence, ou s’il était appelé à exercer ses fonctions au sein de deux établissements géographiquement très éloignés.

S’agissant de la dégradation des conditions de travail, celle-ci pourrait résulter de la perte/modification d’une rémunération variable ou de l’application de conventions collectives de branche et d’accords collectifs d’entreprise différents.

Mais ne pourrait-on pas aussi considérer qu’une scission du contrat de travail en deux contrats à temps réduit, voire plus potentiellement en présence de plusieurs cessionnaires, entraîne, en soi, une dégradation des conditions de travail du salarié ?

L’exception tenant à l’atteinte au maintien des droits des travailleurs garantis par la directive n’est pas plus explicite.

De plus, la Cour laisse ouverte la question des conséquences concrètes de cette solution de contrats multiples.

En principe, le salarié peut en effet s’opposer à toute modification unilatérale de son contrat de travail causée par la cession, autre que le changement d’employeur (comme l’impact sur la rémunération, le lieu de travail). Dans ce cas, le nouvel employeur peut initier un licenciement, pour motif économique lorsque la modification du contrat a été proposée pour un motif non inhérent à la personne du salarié[iv].

La Cour rappelle dans son arrêt que selon le juge européen, dans l’hypothèse où une telle scission du contrat de travail se révélerait impossible à réaliser ou porterait atteinte aux droits dudit travailleur, l’éventuelle résiliation de la relation de travail qui s’ensuivrait serait considérée, en vertu de l’article 4 de la directive, « comme intervenue du fait du ou des cessionnaires, quand bien même cette résiliation serait intervenue à l’initiative du travailleur ».

Or dans sa note explicative de l’arrêt, la Cour indique que « Reste pendante la question des conséquences sur le contrat de travail du salarié d’une situation dans laquelle la division du contrat de travail entraînerait une détérioration des conditions de travail du salarié ou une atteinte au maintien de ses droits garantis par la directive ». En effet la question n’était pas posée à la Cour dans cette affaire.

Le salarié pourrait-il ainsi, en l’absence d’engagement d’une procédure de licenciement, prendre acte de la rupture de son contrat de travail, celle-ci produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le cessionnaire devrait assumer les conséquences financières, à charge le cas échéant pour lui de se retourner contre le cédant ? Ou cela signifie-t-il que toute rupture du contrat de travail produirait nécessairement les effets d’un licenciement sui generis, considéré comme fondé sur une cause réelle et sérieuse ?

Autant de sujets qui restent ouverts et les réponses de la Cour de cassation sur ce point sont dès lors très attendues.

(1) Cass. soc., 22 juin 1993, n° 90-44.705 ; Cass. soc., 9 mars 1994, n° 92-40.916 ; Cass. soc., 2 mai 2001, n° 99-41.960

(2) Cass., 30 mars 2010, n° 08-42.065 ; Cass., soc., 21 septembre 2016, n° 14-30.056

(3) CJUE, 26 mars 2020, ISS Facility Services NV, aff. C-344/18

(4) Cass. soc. 17 avril 2019, n° 17-17.880

Article paru dans Les Echos Executives le 18/11/2020

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