Impact des absences d’un salarié en forfait-jours sur ses jours de repos

17 mars 2016
Alors qu’il a pour vocation de simplifier le régime de la durée du travail des intéressés, le forfait-jours donne régulièrement lieu à des décisions qui en alimentent la complexité. C’est notamment le cas lorsque le salarié est absent.
Arrêt maladie et forfait-jours
Bien que l’arrêt-maladie soit une situation courante, il aura fallu 11 ans à la jurisprudence pour avoir l’occasion d’en définir le régime en s’y reprenant à deux fois pour clarifier la question.
Dans un premier temps, en 2011, l’employeur avait retiré à un salarié en forfait-jours des jours de repos en raison de son absence pour maladie. Confirmant la position que l’Administration avait prise dès 2000, la Cour a condamné cette pratique au motif que «le retrait d’un jour de réduction du temps de travail en raison d’une absence pour maladie a pour effet d’entraîner une récupération prohibée par l’article L212-2-2 –devenu L3122-27- du Code du travail». La plupart des commentateurs en avaient déduit qu’il était prudent de ne pas toucher aux jours de repos des cadres en forfait-jours absents pour maladie au motif que le forfait-jours s’inscrirait dans une logique forfaitaire signifiant que l’ensemble des jours de repos seraient attribués en début d’année (et non dans une logique d’acquisition au fil de l’eau, en fonction du temps de travail comme pour les jours de congés payés ou de RTT des cadres en décompte horaire).
Mais la Cour de cassation a précisé son analyse dans un nouvel arrêt du 16 décembre 20151, assorti d’un commentaire sans équivoque et d’une grande publicité (P+B+R+I, ce qui signifie que cet arrêt doit être publié dans tous les rapports et bulletins de la Cour et même sur son site Internet). Dans cette affaire, un salarié, directeur d’agence bancaire, contestait les retenues opérées sur son compteur de jours de congés, en se prévalant de la décision précitée. La Cour lui a cependant donné tort. Elle en a profité pour préciser sa pensée.
Si la récupération jour pour jour demeure illégale (ce qui était le cas dans l’affaire tranchée en 2011), il n’est pas interdit de recalculer le nombre de jours de repos du forfait cadres «proportionnellement affecté par ses absences non-assimilées à du travail effectif». Au cas particulier, nous dit le communiqué, l’intéressé travaillant 205 jours sur l’année et disposant de 35 jours de repos, le mode de calcul prévu par l’accord aboutissait à ce qu’il lui fallait être absent 6,61 jours (205/31) pour qu’un jour de repos lui soit retiré. Dans sa décision, la Cour cite d’ailleurs l’article L3141-6 selon lequel «L’absence du salarié ne peut avoir pour effet d’entraîner une réduction de ses droits à congé plus que proportionnelle à la durée de cette absence». Si cet article figure dans les dispositions sur les congés payés, la Haute juridiction semble vouloir en tirer ici un principe plus général.
Il est donc désormais clairement possible de tenir compte des absences (maladie ou autres) du salarié en forfait-jours pour réduire ses droits à des jours de repos, mais encore faut-il le faire de façon strictement proportionnelle.
Les brèves absences pour grève … ou autres
Comme les salariés en forfait-jours ne travaillent pas selon une référence horaire, les «absences» inférieures à une journée (ou à une demi-journée selon les accords) ne sont pas en principe comptabilisées et n’ont alors pas d’impact notamment sur le salaire. L’employeur ne peut pas davantage reprocher au salarié en forfait-jours de ne pas être présent sur la plage horaire «classique» du reste du personnel.
En revanche, l’employeur a la faculté, par exemple sur le fondement d’une absence à une réunion nécessaire à l’accomplissement de sa mission, de sanctionner un salarié en forfait-jours : le motif de la sanction, liée à une ou des absences, doit ainsi être démontré à travers une exécution défectueuse de sa mission.
Et cette absence de comptabilisation des absences inférieures à la journée ou à la demi-journée a posé un problème d’application en cas de grève de quelques heures d’un salarié en forfait-jours : combiner le principe du non-paiement des seuls temps de grève avec un décompte de la durée du travail en jours n’allait en effet pas de soi dès lors que si une retenue sur salaire est opérée du fait de la grève, elle doit l’être pour tout salarié participant à un tel mouvement.
A défaut de stipulation sur le sujet dans l’accord collectif, la Cour de cassation a été pragmatique puisqu’elle a autorisé l’employeur à opérer une retenue égale au produit du nombre d’heures de grève par un salaire horaire «reconstitué» tenant compte de 3 éléments : salaire, nombre de jours travaillés prévus par la convention de forfait et durée légale du travail, ou durée applicable aux cadres soumis à l’horaire collectif si elle est supérieure2.
Lorsque, par simplification, l’accord collectif exclut, pour les salariés en forfait-jours, toute retenue en cas de suspension du contrat de travail inférieure à la journée ou demi-journée, cette règle doit aussi être appliquée en cas de grève3.
Le projet de loi El Khomri
Le projet de loi de réforme du Code du travail prévoit de modifier le régime des forfaits-jours, principalement pour en sécuriser le dispositif et mieux l’ouvrir aux petites entreprises. Cette sécurisation devrait inciter de nombreuses branches et entreprises à réviser leurs accords collectifs sur ce sujet. On sait, en effet, que si la jurisprudence a, jusqu’ici, régulièrement condamné les accords existants, les praticiens sont en peine de décrypter dans ces décisions la piste de solutions claires et sécurisées.
Dans le cadre de ces révisions, les négociateurs seraient bien inspirés d’inscrire des clauses clarifiant le régime des absences, en conformité avec la jurisprudence ci-dessus. Le projet de loi les y invite d’ailleurs, puisque l’accord collectif devra désormais déterminer «les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période.» (nouvel article L3121-62-I).
On notera également que le projet de loi faciliterait la révision des conventions collectives en vigueur. Lorsque cette révision aurait pour objet la mise en conformité des forfaits-jours avec les nouvelles dispositions légales, l’exécution de la convention individuelle de forfait se poursuivrait, en effet, sans qu’il y ait lieu de requérir l’accord de chaque salarié.
Notes
1 Cass. soc. 16-12-2015 n°14-23.731 : RJS 1/09 n°43)
2 Cass. soc. 13-11-2008 n°06-44.608 : RJS 1/09 n°43
3 Cass. soc. 4-3-2009 n°07-45.291 : RJS 5/09 n°439
Auteur
Marie-Pierrre Schramm, avocat associée, spécialisée en conseil et en contentieux dans le domaine du droit social.
En savoir plus
![]() | LEXplicite.fr est une publication de CMS Francis Lefebvre Avocats, l’un des principaux cabinets d’avocats d’affaires internationaux. Notre enracinement local, notre positionnement unique et notre expertise reconnue nous permettent de fournir des solutions innovantes et à haute valeur ajoutée en droit fiscal, en droit des affaires et en droit du travail. |
Impact des absences d’un salarié en forfait-jours sur ses jours de repos – Article paru dans Les Echos Business le 16mars 2016
A lire également
Covid-19 : les entreprises peuvent-elles continuer à imposer à leurs salariés... 20 avril 2021 | CMS FL Social

Employeurs : quelles mesures prendre face au coronavirus ?... 3 mars 2020 | CMS FL Social

Pas de répit pour les employeurs en 2019!... 21 février 2019 | CMS FL

La Cour de cassation suspend-elle la chasse aux accords forfait-jours ?... 30 août 2017 | CMS FL

Salariés étrangers : attention aux risques de travail illégal... 2 janvier 2014 | CMS FL
Modification du contrat de travail pour motif économique : attention au reclass... 18 décembre 2020 | CMS FL Social

L’obligation de sécurité de résultat : des excès au recadrage... 29 février 2016 | CMS FL

Salarié absent : le licenciement sans remplacement effectif n’est pas né... 2 mai 2016 | CMS FL

Articles récents
- Actualité jurisprudentielle des élections professionnelles : les derniers arrêts de la Cour de cassation
- Contentieux URSSAF : de la nécessité de saisir correctement la Commission de Recours Amiable
- De la difficulté de mettre en jeu la responsabilité de l’Etat pour violation manifeste du droit de l’UE
- Le droit du travail maritime : un dispositif pour partie applicable aux salariés sur les projets de construction des éoliennes en mer
- Transfert de déficits en cas de fusion : un champ plus large que prévu
- Contrepartie au temps de déplacement professionnel : derniers éclairages de la Cour de cassation
- Nouvelle convention collective de la Métallurgie : Le forfait annuel en jours (Episode 9)
- Répartition d’actifs d’un FCPR dit « fiscal » : la date d’acquisition des parts n’est pas une condition d’application du régime des plus-values à long terme
- Contrôle des déficits reportables non imputés relatifs à des exercices prescrits
- Licenciement d’un salarié protégé : les contours du préjudice en cas de contentieux