Salarié absent : le licenciement sans remplacement effectif n’est pas nécessairement nul

2 mai 2016
En application du principe de non-discrimination, tout licenciement d’un salarié en raison de son état de santé est nul de plein droit. Toutefois, la jurisprudence autorise le licenciement justifié, non pas directement par la maladie du collaborateur, mais par les perturbations causées dans le fonctionnement de l’entreprise par ses absences répétées ou prolongées si elles rendent nécessaire son remplacement définitif.
La Cour de cassation a confirmé, dans un arrêt du 27 janvier 2016 (n°14-100.84), que le licenciement notifié pour ce motif alors que le salarié n’a pas été remplacé n’est pas nécessairement discriminatoire et donc nul. Retour sur un motif de licenciement tentant mais exigeant.
Le licenciement d’un salarié malade pour absences répétées ou prolongées doit être utilisé avec précaution
L’absence prolongée ou répétée d’un salarié malade trouble nécessairement l’activité d’une entreprise : les tâches habituellement accomplies par ce collaborateur doivent être réparties entre les présents ou il convient d’organiser son remplacement temporaire, ce qui n’est pas toujours facile selon les secteurs et fonctions concernés. Face à cette situation, l’employeur peut s’interroger sur l’opportunité d’initier une procédure de licenciement à l’encontre du salarié absent. C’est à partir de là que la prudence est de mise : une telle procédure, qui n’est envisageable qu’en cas d’absence pour maladie non-professionnelle ne peut être mise en œuvre que si plusieurs exigences posées par la Cour de cassation sont réunies.
Au préalable, il convient de vérifier les éventuelles garanties prévues par la convention collective applicable
L’employeur doit en effet s’assurer que la convention collective applicable dans l’entreprise ne contient pas de clause prévoyant une garantie d’emploi protégeant le salarié absent pour maladie d’une mesure de licenciement pendant un certain délai. Ce type de clause interdit à l’employeur de licencier le salarié malade pendant toute la période qu’elle fixe. A titre d’illustration, la convention collective des Ingénieurs et Cadres de la Métallurgie interdit le licenciement des salariés absents pour maladie pendant la période de maintien du salaire à 100 %, soit entre 3 et 6 mois selon l’ancienneté du salarié.
Ensuite, l’employeur doit être en mesure d’établir que le licenciement est justifié par les conséquences objectives de l’absence du salarié sur le fonctionnement de l’entreprise
Le licenciement du salarié absent pour maladie suppose, en application de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, que deux conditions soient réunies :
- 1re condition : l’absence prolongée ou répétée du salarié doit perturber le fonctionnement de l’entreprise. Sur ce point la taille de l’entreprise, son secteur d’activité, la nature du poste occupé par le salarié sont généralement pris en compte ;
- 2e condition : le remplacement définitif du salarié doit être nécessaire. Cette condition implique qu’une solution temporaire ne soit pas envisageable et qu’un recrutement en CDI intervienne concomitamment au prononcé du licenciement (ou peu de temps après).
Ces conditions sont cumulatives et doivent expressément figurer dans la lettre de licenciement.
Quels risques encourt l’employeur qui licencie un salarié absent sans procéder à son remplacement ?
C’est l’objet de la décision rendue par la Cour de cassation le 27 janvier 2016. Dans cette affaire, une salariée adjointe au responsable d’une station-service, licenciée en raison de ses absences répétées, considérait que son licenciement était nul et sollicitait sa réintégration. Son raisonnement était le suivant :
- le licenciement d’un salarié pour un motif lié à son état de santé est nul car discriminatoire ;
- seule la situation objective de l’entreprise, dont le fonctionnement est perturbé par l’absence du salarié, peut justifier valablement son licenciement si ces perturbations entraînent la nécessité de procéder à son remplacement définitif ;
- si ces conditions ne sont pas réunies, le motif réel du licenciement n’est pas la situation objective de l’entreprise mais l’état de santé du salarié absent, ce qui est constitutif d’une discrimination.
Ce raisonnement a pu, par le passé, être entendu par les juges (Cass. Soc. 29 septembre 2004 et 9 juin 2010). Clarifiant sa position, la Cour de cassation, dans son arrêt du 27 janvier 2016 qu’elle destine à la publication, a posé le principe suivant : le licenciement d’un salarié prononcé en raison des dysfonctionnements causés au sein de l’entreprise par ses absences répétées est dépourvu de cause réelle et sérieuse et non pas nul s’il n’a pas été procédé à son remplacement définitif.
Il résulte de cette décision que les sanctions prévues par les articles L. 1235-3 et suivants sont applicables : le salarié a droit à des dommages et intérêts dont le montant ne peut être inférieur à 6 mois de salaire s’il a plus de deux ans d’ancienneté au sein d’une entreprise d’au moins 11 salariés, mais ne saurait obtenir sa réintégration.
Le risque de nullité du licenciement n’est toutefois pas totalement exclu
Il est important de noter que la Cour de cassation ne ferme pas complétement la porte à la nullité du licenciement. Elle relève en effet que les juges du fond ont examiné les circonstances de fait et considéré qu’aucun élément ne laissait présumer l’existence d’une discrimination. Elle considère donc que le seul fait de ne pas remplacer le salarié licencié en raison des perturbations causées par son (ou ses) absence(s) ne suffit pas, en-soi, à laisser présumer l’existence d’une discrimination. Toutefois, rien n’interdit au salarié de soumettre au juge d’autres éléments venant à l’appui de sa thèse.
Auteur
Emilie Bourguignon, avocat en droit social.
Salarié absent : le licenciement sans remplacement effectif n’est pas nécessairement nul – Article paru dans Les Echos Business le 2 mai 2016
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