Un salarié mis à disposition d’une société peut en présider le comité d’entreprise : analyse d’un arrêt très innovateur
12 janvier 2021
La Cour de cassation décide pour la première fois le 25 novembre 2020 que l’employeur peut déléguer la présidence du comité d’entreprise à un salarié mis à disposition si celui-ci dispose de la qualité et du pouvoir nécessaires à l’information et à la consultation, de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives du comité.
Pour mémoire, un salarié peut, s’il est d’accord, être mis à disposition par son employeur au profit d’une autre société (article L.8241-2 du Code du travail). Dans cette hypothèse, il reste salarié de sa société d’origine.
Rappel des faits
En l’espèce, le Président du comité d’entreprise de l’association Aide maintien accompagnement des personnes âgées (AMAPA) a donné une délégation de pouvoirs pour présider cette instance successivement à Monsieur G et à Monsieur P qui étaient tous les deux des salariés mis à disposition de l’association AMAPA par des entreprises extérieures.
Plus précisément, Monsieur G, salarié de la SARL DG Help (et ancien salarié de l’AMAPA) était mis à disposition de l’association AMAPA pour exercer les fonctions de chargé de mission du président pour la direction opérationnelle et stratégique de l’association.
Ces deux structures étaient présidées par la même personne et avaient des intérêts convergents, l’AMAPA exerçant les activités opérationnelles de DG Help et DG Help exerçant la direction des opérations au sein de l’AMAPA via des conventions de prestation de services et des mises à disposition.
Monsieur P, employé par la SA Doc Gestio, était mis à disposition de l’association AMAPA pour assurer la gestion des ressources humaines au sein de cette dernière.
Estimant que le fait d’avoir délégué la présidence du comité d’entreprise à des salariés mis à disposition constituait un trouble illicite, le CE de l’AMAPA a saisi le président du Tribunal de grande instance en référé.
L’instance représentative du personnel a été déboutée de ses demandes tant en première instance qu’en appel.
Saisie d’un pourvoi en cassation, la Haute juridiction devait déterminer s’il était possible de déléguer la présidence du comité d’entreprise à un salarié mis à disposition de l’entreprise.
Analyse de la décision
Pour trancher cette question, la Cour commence par s’appuyer sur les dispositions de l’article L.2325-1 alinéa 2 du Code du travail, dans sa version applicable au moment des faits, desquelles il ressortait que le comité d’entreprise est présidé par l’employeur assisté éventuellement de deux collaborateurs qui ont voix consultative.
Elle rappelle ensuite que l’employeur peut déléguer ce pouvoir.
Toutefois, elle précise les conditions pour que cette délégation de pouvoirs soit valable.
Elle indique ainsi que le délégataire doit avoir la qualité et le pouvoir nécessaires à  l’information et à la consultation du comité d’entreprise, de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives de celle-ci, en ajoutant, peu important qu’il soit mis à la disposition de l’employeur par une autre entreprise. Cette dernière précision est inédite.
Une fois ces principes posés, elle vérifie concrètement que les deux salariés mis à disposition de l’AMAPA remplissaient les critères qu’elle a édictés. Elle relève, à cet égard, qu’ils disposaient en pratique au sein de l’association de toute l’autorité nécessaire pour l’exercice de leur mission et qu’ils bénéficiaient de la compétence et des moyens pour leur permettre d’apporter des réponses utiles et nécessaires au comité d’entreprise et d’engager l’association dans ses déclarations ou dans ses engagements.
En effet, il ressortait de la convention de mise à disposition de Monsieur G qu’il avait notamment pour mission de présider le comité d’entreprise et qu’il tenait du président de l’association tous les moyens et pouvoirs nécessaires pour ce faire. La convention de mise à disposition de Monsieur P mentionnait pour sa part qu’il disposait de tous les moyens humains du service des ressources humaines et un accès à toute information dont il jugerait la communication nécessaire aux instances représentatives du personnel.
Le pourvoi en cassation est donc rejeté.
Cette décision devrait être pleinement transposable au comité social et économique (CSE) au regard de la rédaction des textes (1) et sans doute aussi à la présidence de la commission santé sécurité et conditions de travail (2) (CSSCT).
L’innovation majeure de cette décision est qu’elle semble écarter l’une des conditions habituellement nécessaires à la validité d’une délégation de pouvoirs, tenant au fait qu’il doit exister un lien hiérarchique entre le délégant et le délégataire, ce qui suppose, en principe, que le délégataire soit salarié de la société concernée.
En acceptant qu’une délégation de pouvoirs soit valablement accordée à un salarié mis à disposition de la société, la Cour de cassation fait fi du fait que le déléguant doive avoir un contrat de travail au sein de la société dans laquelle un ou des pouvoirs lui sont délégués.
Bien évidemment, n’importe quel salarié mis à disposition d’une société ne pourra pas se voir valablement accorder une délégation de pouvoirs pour présider une instance représentative du personnel puisqu’il doit nécessairement avoir la qualité et le pouvoir nécessaires pour mener à bien les procédures d’information et/ou de consultation de l’instance en question.
Relevons par ailleurs que l’entreprise utilisatrice dispose d’un pouvoir de direction et de contrôle sur le salarié qui est mis à sa disposition et cette conséquence inhérente à la mise à disposition a pu être un élément d’appréciation déterminant.
Ainsi, cette décision ne semble pas remettre en cause le fait qu’un tiers à l’entreprise, qui lui ne serait pas juridiquement « mis à disposition » au sens de l’article L.8241-2 précité du Code du travail, tel qu’un avocat ou un consultant en ressources humaines, ne pourrait pas présider une instance représentative du personnel.
Certes, les juges avaient déjà  assoupli la condition relative à l’existence d’un lien hiérarchique en prenant en compte la particularité de la situation des groupes de sociétés. Ainsi, la validité d’une délégation à  un salarié de la société-mère par les dirigeants des filiales du groupe a été reconnue par exemple pour licencier un salarié.
De même, certains arrêts en matière d’hygiène et de sécurité apparaissent avoir admis la validité de délégations de pouvoirs consenties à une seule personne au bénéfice de plusieurs entreprises mais, à chaque fois, dans des hypothèses bien particulières, comme dans le cadre d’une société en participation (3).
S’il est évident que cet arrêt va avoir un intérêt pratique majeur pour les entreprises et les groupes de sociétés, il est loisible de s’interroger sur sa portée. En effet, la décision rendue vaut-elle uniquement pour les délégations de pouvoirs données en matière d’instance représentative du personnel ou est-elle applicable pour les délégations de pouvoirs données dans n’importe quel domaine ?
Car il faut rappeler que la délégation de pouvoirs est une création prétorienne qui permet à un responsable (le délégant) de transférer une partie de ses pouvoirs et la responsabilité pénale qui en découle à un subordonné (le délégataire). Pour être valable elle doit remplir plusieurs conditions cumulatives relatives tant au délégataire qu’au délégant.
De plus, l’employeur peut tout de même rester pénalement responsable et être reconnu coupable de délit d’entrave s’il participe personnellement à la réalisation de l’infraction (4) ou, et c’est une particularité de la délégation de pouvoirs en matière d’institutions représentatives du personnel, pour les mesures relevant par nature de son « pouvoir propre de direction (5) ».
A cet égard, il convient de relever que cette décision a été rendue par la chambre sociale et non par la chambre criminelle de la Cour de cassation si bien qu’il n’est pas certain qu’un transfert de responsabilité pénale pourrait s’opérer à l’égard d’un salarié mis à disposition à qui une délégation de pouvoirs aurait été donnée.
Aussi, au regard de la complexité de la jurisprudence rendue par la Cour de cassation, il est difficile de généraliser la validité d’une délégation de pouvoirs au sein de groupe de sociétés en se fondant uniquement sur les liens qui existent entre le délégant et le délégataire.
Enfin, il est aussi possible de se demander si cette décision vient sécuriser les délégations de pouvoirs données entre membres de sociétés sœurs (n’ayant aucun lien capitalistique) au sein d’un groupe. En effet, l’abandon du critère relatif au lien hiérarchique devrait permettre logiquement de reconnaitre la validité de telles délégations de pouvoirs a minima dans le cadre de mise à disposition. Ce point devra être clarifié par la jurisprudence et des précisions de la Cour de cassation en la matière sont donc encore attendues.
(1) L’article L.2315-23 alinéa 2 du Code du travail dispose que le CSE est présidé par l’employeur ou son représentant, assistant éventuellement de trois collaborateurs qui ont voix consultative.
(2) Article L.2515-39 du Code du travail
(3) Cass. crim. 26 mai 1994 et 18 octobre 1995 ou Cass. crim. 14 décembre 1993 ou 13 octobre 2009
(4) Cass. crim. 20 mai 2003, n° 02-84.307
(5) Cass. crim. 15 mai 2007, n° 06-84.318
Article paru dans les Echos le 12/01/2021
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