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Conséquences de l’inconstitutionnalité d’une taxe : illustration avec le contentieux relatif à de la taxe de publicité extérieure

Dans une décision n°2013-351 QPC du 25 octobre 2013, société Boulanger, dont l’intérêt dépasse largement celui de la taxe visée, le Conseil constitutionnel accueille une argumentation fondée sur l’incompétence négative du législateur et rappelle aux contribuables qu’il est dans leur intérêt d’anticiper d’éventuelles décisions QPC

La décision du 25 octobre 2013 par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution les dispositions de plusieurs articles du Code général des collectivités territoriales (CGCT) dans leur rédaction résultant de l’article 171 de la loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie qui avait institué une taxe locale sur la publicité extérieure (TLPE) retient l’attention pour deux raisons.

La première, c’est qu’elle constitue une nouvelle illustration en matière de QPC de l’invocation de l’incompétence négative du législateur, en particulier lorsque le législateur omet de définir les modalités de recouvrement d’un nouvel impôt. Elle s’inscrit dans la ligne de la décision n°2012-298 QPC du 28 mars 2013 qui avait déclaré contraire à la Constitution pour la même raison la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

La seconde raison c’est qu’elle précise les conséquences attachées à une déclaration d’inconstitutionnalité en matière fiscale pour le passé.

I – l’omission par le législateur de la définition des modalités de recouvrement de l’impôt peut être utilement invoquée à l’appui d’une QPC

Lorsque la QPC avait été introduite en 2010, de nombreux praticiens du contentieux fiscal avaient considéré que l’abondante jurisprudence dégagée par le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 34 de la Constitution, pour censurer l’incompétence négative du législateur, constituerait un des principaux champs d’application de la QPC en matière fiscale.

Toutefois, par sa décision n°2010-5 QPC du 18 juin 2010 Kimberly Clark, le Conseil constitutionnel avait réduit les espoirs. Il avait en effet estimé que le principe du consentement à l’impôt énoncé par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de1789, dont il découle que c’est au législateur de fixer les règles relatives à l’assiette, aux taux et aux modalités de recouvrement de l’impôt, ne relevait pas des droits et libertés garantis par la Constitution au sens de son article 61-1 (relatif à la QPC). Le Conseil constitutionnel avait ensuite toujours rejeté en matière fiscale (mais pas dans d’autres branches du droit) l’invocation de l’incompétence négative du législateur en estimant qu’il n’avait pas été porté atteinte à des droits et libertés que la Constitution garantit.

L’intervention de la décision QPC sur la taxe additionnelle à la CVAE visée ci-dessus a introduit un important changement. Le Conseil constitutionnel a en effet jugé que « l’absence de détermination des modalités de recouvrement d’une imposition affecte le droit à un recours effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration de 1789 », que « en omettant de définir les modalités de recouvrement de la taxe additionnelle à la CVAE, le législateur a méconnu l’étendue de la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution ».

Dans la décision qu’il vient de rendre, à propos de la TLPE, le Conseil constitutionnel suit exactement le même raisonnement. Certes, dans le cas de la TLPE, le législateur avait bien pris position sur les modalités de recouvrement de la taxe, puisque la loi disposait que « le recouvrement de la taxe est opéré par les soins de l’administration de la commune … percevant la taxe », mais le Conseil constitutionnel juge que le législateur n’avait pas déterminé les modalités de recouvrement avec une précision suffisante.

II – la déclaration d’inconstitutionnalité ne peut être invoquée que si plusieurs conditions sont réunies

Comme pour la taxe additionnelle à la CVAE, les effets de l’omission par le législateur de la détermination des modalités de recouvrement de la TLPE sont très radicaux, puisque cette inconstitutionnalité affecte le principe même de la taxe, si bien que ce ne sont pas seulement les dispositions relatives au recouvrement de la taxe qui sont déclarées inconstitutionnelles mais l’ensemble des dispositions qui avaient institué la taxe. La TLPE se trouve donc privée de base légale et, en toute rigueur, tous les contribuables qui ont acquitté cette taxe devraient pouvoir en obtenir la restitution, pour autant que les délais de réclamation ne soient pas expirés.

Toutefois, la décision du Conseil constitutionnel introduit deux limitations importantes aux possibilités de restitution de la TLPE.

La première résulte de ce que les dispositions relatives au recouvrement de la TLPE qui avaient été instituées par le texte censuré par le Conseil constitutionnel ont été modifiées à la fin de l’année 2011. L’article 75 de la loi de finances rectificative pour 2011 (LFR 2011), applicable depuis le 1er janvier 2012, prévoit ainsi que la TLPE « est payable, sur la base d’un titre de recette établi au vu d’une déclaration annuelle ou d’une déclaration complémentaire de l’exploitant du support publicitaire, à la commune ». Le Conseil constitutionnel semble avoir considéré que cette nouvelle rédaction était suffisante au regard de l’article 34 de la Constitution, puisqu’il est expressément précisé au considérant 18 de la décision que « les dispositions déclarées contraires à la Constitution le sont dans leur rédaction antérieure à leur modification par la LFR 2011 ». L’inconstitutionnalité censurée par le Conseil constitutionnel ne pourrait donc être invoquée que pour obtenir la restitution de la TLPE due au titre des années 2009, 2010 et 2011, pour autant qu’une contestation ait été introduite dans le délai de réclamation, c’est-à-dire, s’agissant ici d’une contribution indirecte, avant le 31 décembre de la deuxième année qui suit la mise en recouvrement de cette taxe.

La seconde limitation tient aux restrictions des effets pour le passé des déclarations d’inconstitutionnalité. Le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution distingue les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité suivant qu’il s’agit d’envisager l’application de la disposition législative déclarée inconstitutionnelle pour l’avenir (cas dans lequel il est prévu que la disposition déclarée inconstitutionnelle est « abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision ») ou de déterminer les conséquences de cette déclaration sur les effets que la disposition a produits dans le passé, cas dans lequel il appartient au Conseil constitutionnel de déterminer « les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ».

Le Conseil constitutionnel a précisé la portée de ces dispositions en estimant que « en principe … la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel » (décisions n°2010-108 QPC et n°2010-110 QPC du 25 mars 2011). La plupart des décisions du Conseil constitutionnel limitent ainsi les effets pour le passé des déclarations d’inconstitutionnalité aux seules « instances en cours » à la date de la décision du Conseil constitutionnel, ce qui signifie que pour les justiciables qui n’auraient pas introduits d’instance avant cette date, il ne sera plus possible de se prévaloir de la déclaration d’inconstitutionnalité, alors même qu’aucune prescription ou forclusion ne serait opposable à la recevabilité d’une instance introduite après la décision.

Le point de savoir ce que constitue une « instance en cours » se présente de manière particulière en matière fiscale en raison du statut spécifique de la réclamation contentieuse qui doit nécessairement précéder toute saisine du juge, et qui constitue, selon une jurisprudence constante du Conseil d’Etat, une « instance ressortissant à la juridiction contentieuse », si bien qu’elle est assimilée à une instance devant les juridictions. Mais, dans sa décision du 25 octobre 2013, le Conseil constitutionnel n’a pas eu recours à cette notion d’instance en cours, puisqu’il a précisé que l’inconstitutionnalité de la loi ne pourra être invoquée qu’à l’encontre des « impositions contestées » avant le 25 octobre 2013, date de la décision du Conseil constitutionnel. Cette référence à la notion de contestation des impositions constitue une précision inédite dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a eu précisément pour objet de tenir compte de la spécificité de la matière fiscale, puisqu’il s’en déduit nécessairement que dès lors qu’une réclamation aura été formée avant le 25 octobre 2013, le cachet de la poste faisant foi, l’imposition devra être regardée comme ayant été contestée avant cette date si bien que l’inconstitutionnalité de la TLPE pourra être utilement invoquée.

A contrario, il s’en déduit également que les redevables de la TLPE qui n’auraient pas introduit de réclamation avant le 25 octobre 2013 ne pourront pas utilement se prévaloir de l’inconstitutionnalité de cette taxe, alors même que les délais de réclamation ne sont pas expirés et qu’il est ainsi encore possible, par exemple, de demander la restitution de la TLPE acquittée en 2011 d’ici le 31 décembre 2013.

La limitation des effets pour le passé des déclarations d’inconstitutionnalité d’une taxe souligne ainsi encore la nécessité pour les contribuables de suivre avec vigilance les affaires renvoyées devant le Conseil constitutionnel à l’occasion de QPC en matière fiscale.

 

A propos de l’auteur

Stéphane Austry, avocat associé au sein du Département Doctrine Fiscale, en charge du développement de l’activité contentieuse du cabinet. En parallèle à ses activités, il est en charge de la pratique fiscale pour tous les cabinets membres du réseau CMS.

 

Article paru dans la revue Option Finance du 2 décembre 2013